Выбрать главу

Jehan ne prit pas la peine de regarder en arrière. Il entendait les routiers sortir de la grange. En trois bonds il traversa le courtil, passa au travers de la haie et fila tout droit

Lus ronUi'r surlaii-nl la jj'i'atïge.

d'instinct vers un petit bois qui par bonheur se perdaitdans un pli de terrain à l'abri de la lune.

Les routiers en désordre étaient tombés sur leur camarade; ils avaient hésité un instant avant de se lancer à la poursuite de l'ombre qu'ils avaient à peine entrevue.

— Allons donc ! allons donc ! cria le chef, laissez là l'imbécile qui s'est fait assommer et attrapons l'homme... Camarades nous étions épiés, l'homme a certainement entendu, il nous le faut ou tout est manqué... Hardi, compagnons, du jarret! nous le tenons!

Jehan fonçait h travers le taillis comme une trombe, le bois par malheur n'était pas profond et de l'autre côté c'était la plaine découverte en pleine lumière, sous un ruissellement d'étoiles, dans la nuit claire et froide. Mais il avait une avance de plus de deux cents pas et une fois sous les arbres, invisible aux poursuivants, Jehan pointa sans hésiter vers la gauche, suivit le bois dans sa plus grande longueur pendant que les routiers perdaient quelques minutes en hésitations.

Par ici! par ici! cria le chef, je l'ai entendu! Eparpillez-vous à dix pas les uns des autres, faites silence et g'agnez vivement le bout du bois.

Par bonheur, au bout du bois, Jehan rencontra un terrain en partie défriché, encore rempli de broussailles, avec de grosses souches çà et là, et des troncs abattus. Plus loin, le sol s'escarpait, formant une ligne de collines ondulées. Courbé, sautant de buisson en buisson, presque à quatre pattes parfois, évitant les points éclairés, Jehan atteignit le haut de la colline. 11 était temps, les routiers sortaient du bois. Il les vit après un court conciliabule gravir la pente en sondant chaque trou, chaque repli broussailleux.

— Bons chiens de chasse, se dit Jehan après avoir soufflé une minute, mais vous ne tenez pas encore votre gibier, détalons vite ! Heureusement ma mère m'a donné de bonnes jambes...

Détalons 1

Les routiers.

VI

UNE l'OiRsuni: mouvementée

Le soleil se levait blafard derrière les masses de nuages qui promettaient encore de la pluie pour la journée. Depuis trois heures peut-être Jehan couraitou marchait, le plus possible à couvert sous bois, quand il rencontrait des bois, ou dans des sentiers accidentés, à travers champs. Le gibier ne s'était pas laissé prendre. Pendant longtemps il avait senti les chasseurs sinon sur ses talons, du moins à courte distance. Maintenant il croyait être sûr de les avoir dépistés ou distancés.

Il n'y avait plus de danger immédiat. Mais Jehan, les coudes au corps, réglant le mieux possible sa respiration, courait toujours, l'œil et l'oreille aux aguets, évitant les villages et les grandes routes. Où se trouvait-il exactement? les villages étaient-ils en la possession de l'ennemi? Il l'ignorait. Mais il se savait à peu près dans la bonne direction, marchant du côté delà rivière d'Oise, vers le pays de Senlis. Car son parti était pris, coûte que coûte, il lui fallait arriver là-bas avant les routiers pour sauver Bonvarlet, lui faire quitter sa route pour aller avec lui à Compiègne, avertir le gouverneur Flavy et Jehanne la Lorraine des trahisons qui se préparaient.

11 y laisserait sa vie si le sort le voulait, mais plutôt que de voir le pauvre Bonvarlet tomber dans l'embuscade, il attaquerait les routiers, même seul.

Ils étaient donc neuf, pensait-il en sa route, j'en ai abattu un qui, je crois, est mal en train de courir maintenant... Reste huit... Je connais leur plan, quatre dans l'embuscade en avant de Senlis, quatre en arrière de la ville. Je vais en avant. Oh ! j'arriverai ! Je verrai Bonvarlet avant eux et l'avertirai, ils ne le tiennent pas, quand je devrais leur tomber dessus... J'ai une faim de loup... Courir ainsi creuse... Et je n'ai plus mon bissac ! Rien dans les champs! Il me faudrait passer près des villages pour trouver des jardins, des raves et des oignons... Mon dîner d'hier qui était le seul repas de la journée est loin ! Tais-toi, mon estomac, ne réclame pas... sois raisonnable, je te revaudrai ça un autre jour, si je peux !... d'ailleurs tu devrais commencer à t'habi-tuer à la diète !...

En passant près d'un petit ruisselet, Jehan sejeta à terre pour boire un peu et se reposer cinq minutes à l'abri d'un bouquet d'arbres. Son estafilade à l'épaule, à laquelle il ne pensait pas en courant, lui fit faire une grimace douloureuse. 11 eut un instant la tentation de mettre un peu d'eau fraîche sur sa blessure, mais le sang avait séché et collé ses vêtements, il valait mieux n'y pas toucher.

— Quelle chance, se dit-il, que ce soit à l'épaule gauche ! A l'autre cela m'empêcherait de manier convenablement mon

Johaii se jeta à terre.

assomme-brigands, mon brise-carcasse à routiers! Mais la droite est bonne et je le leur montrerai!

Il se leva et fit un rapide moulinet avec son bâton ferré.

— Tout va bien ! en route !

Pas de routiers à l'horizon. Certainement ils avaient abandonné la poursuite et repris la route de Senlis. Jehan chercha à s'orienter. C'était à quelques lieues de Gisors qu'il avait eu cette heureuse chance de rencontrer les routiers et d'être mis au courant de leur plan. 11 avait dû obliquer vers le Sud pour leur échapper, mais il avait depuis repris la bonne route. Senlis devait être encore à sept ou huit lieues. Il fallait aller passer l'Oise du côté de Beaumont et piquer ensuite le long des forêts pour couper la route de Bonvarlet avant l'endroit dangereux.

Par malheur la pluie qui menaçait depuis l'aube com-

Sous les averses

mença bientôt à tomber. Petite pluie d'abord, averse violente ensuite. Lèvent soufflait; quand un nuage avait crevé, un autre arrivait en grande course du fond de l'horizon et se déversait sur la plaine et sur le pauvre piéton trempé bien vite jusqu'aux os.

Jehan ne s'en inquiétait pas. Ce qui le consolait c'est que la pluie tombait aussi sur les routiers. Il se les représenta pataugeant derrière lui sous l'averse, dans les chemins boueux; cela le fît rire et lui redonna des jambes. Cette pluie lui fît même gagner trois quarts d'heure. Comme il ruisselait SOUS la bourrasque, il songea qu'il était bien inutile d'aller chercher un pont pour traverser l'Oise. Le plus simple c'était de marcher droit à la rivière et de la franchir à la nage. Jl n'en serait pas beaucoup plus mouillé.

Des collines bordant la rivière il put apercevoir une étendue' de pays, bien mélancolique sous la bourrasque qui faisait rouler les gros nuages et crever les averses. Des plaines parsemées de masses vertes, de gros bouquets de bois qui peu à peu se serraient et se réunissaient pour ne plus former qu'une immense forêt occupant tout l'horizon, presque sans solution de continuité, sous divers noms : forêt de Chantilly, forêt de Halatte, bois divers à perte de vue, se reliant sous \ erberie et Béthisy à la grande forêt de Guise ou de Compiègne. Jehan dévala au grand trot la pente de la colline et sauta sans hésitation dans l'Oise. Oui, vraiment, on n'y était pas plus mouillé qu'à travers champs.

En abordant sur l'autre rive il se secoua comme un chien