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— Ah! ah ! dit l'abbé se tournant vers Jehan, encore toi garnement ! Voyons, que te reproche-t-on? Qu'as-tu fait encore?

— Rien, monseigneur, rien qu'essayer, avec mon art et mes faibles moyens, de travailler à l'édification et à l'amélioration de mon prochain, voilà tout l

— Ce qu'il a fait, monseigneur, s'écria Rongemaille, tenez, regardez en l'air ! voyez cette gargouille !

L'abbé, les moines et Flavy levèrent la tête, ébahis,

— Quoi? Eh bien? Cette gargouille?

— Ah! dit Flavy en riant, je vois, moi. Ah! Ah! male-peste, maître Rongemaille, votre effigie au portail de la noble abbaye, quel honneur, et vous vous plaignez!

— Je me plains, mes-sire, d'être ainsi pour-traicturé en animal diabolique, d'être exposé à la risée de tousles passants, car voyez comme ce misérable gueux m'a représenté?

— Mon ami Jehan, tu es coupable, dit l'abbé sévèrement, maître Rongemaille a raison de se plaindre, tu n'avais pas le droit de le pourtraicturer ainsi...

— J'ai voulu représenter l'Avarice qui est un bien vilain péché capital, monseigneur, fit Jehan la mine contrite, ce n'est pas ma faute si maître Rongemaille veut absolument se reconnaître... Il est certain qu'il n'est pas joli, joli, mais est-il vraiment aussi laid que ma gargouille?

— Entendez-vous le gueux ! s'écria Rongemaille. Monseigneur ! je demande justice ! Ça ne peut pas se passer à moins d'une pendaison!

— Je t'avais pourtant averti, Jehan, fit l'abbé; il y a déjà

— Regardez cette gargouille !

dans tes autres sculptures certaines oreilles d'âne qui ont chagriné un honnête bourgeois... cette fois, je reçois une plainte formelle, je suis obligé de sévir...

— Justice, monseigneur! faites bonne et sévère justice ! clama Rongemaille.

— Monseigneur! dit Jacques Bonvarlet qui était descendu du portail et s'était approché de l'abbé, vous savez que Jehan n'est pas un méchant garçon... il a eu tort, c'est certain, mais il y a certaines excuses à son méfait...

— Je sais, fît l'abbé, je sais, maître Bonvarlet, inutilede plaider pour votre élève. Je dois bonne et prompte justice à tous sur le territoire de l'Abbaye et je veux faire justice. Eu conséquence, toutes choses vues et entendues, je reconnais le bien-fondé de la plainte portée en mon tribunal par maître Rongemaille, homme notable, bourgeois de Compiègne connu et apprécié, et je condamne Jehan des Torgnoles à la prison, au pain et à l'eau...

— Je réclame, monseigneur, dit Rongemaille, j'aimerais mieux la potence pour ce va-nu-pieds, et justement sa gargouille pourrait en servir...

— Silence! dit rudement Flavy.

— Je le déclare coupable de médisance envers son prochain et je le condamme à la prison, au pain et à l'eau... pour deux heures !

Un formidable éclat de rire, en dépit de tout respect,

Certaines oreilles d'âne.

accueillit la sentence de l'abbé. Jehan baissa la tête comme un homme accablé, tandis que Ron-gemaille levait en signe de protestation ses deux bras en l'air. — Allons ! cria Guillaume de Flav}' après avoir ri comme les autres; la cause est jugée et bien jugée ! Qu'on se retire ! Comme capitaine de la ville, j'entends maintenir la tranquillité. Or donc, que tous marchands qui ont à vendre, vendent, que tous ceux qui ont à acheter légumes ou poulaille pour leur cuisine achètent, et que les autres s'en aillent à leurs affaires... Nous sommes en guerre, je ne permets ni bruit ni tumulte !

— Mais!... dit l'obstiné Rongemaille.

— Vous ! maître Rongemaille, n'ameutez point le populaire pour faire juger si vous êtes plus beau ou plus laid que cette image. Si vous ne vous taisez, je prie le seigneur abbé de faire grâce entière au coupable.

Je demande qu'on les ponde tous !

Au fond des cachots.

Guillciuette travaillait à reproduire ces rinceaux.

Le sculpteur Jacques Bonvarlet habitait une petite maison dans un quartier fort tranquille, en vue des prairies où la rivière d'Oise coulait nonchalamment, en bonne petite rivière prenant ses aises, aimant à s'étaler sous les saulaies et même, quelquefois, après les pluies, à s'en aller vagabonder à travers champs, jusque vers les collines de Picardie qui l'encadrent à courte distance.

Ce quartier solitaire s'éparpillait dans les anciens jardins d'un palais des rois carlovingiens, le palais de Charle-magne, comme l'appelait le populaire, abandonné ou détruit; il en restait près de la rivière une grosse tour, la tour Beau-regard, qui subsiste encore aujourd'hui après dix siècles, et ruinée seulement depuis trois cents ans.

Sur l'emplacement du palais de Charlemagne, il y avait alors un couvent de JacobinS; et quelques rares maisons. L'une de ces maisons était celle de Bonvarlet, ancienne dépendance du palais sans doute, bâtie sur terrain élevé. Les fenêtres de son unique étage regardaient d'un côté pardessus le rempart, vers la tour Beaure-gard et le pont traversant l'Oise. De l'autre côté, c'était la ville, des toits et des toits, des pignons, des flèches d'églises et la forêt bleuissant au loin. De vieux murs croulants, encadraient le verger rempli de f>-rands eterros arbres, poiriers, pommiers, pruniers,

Au pied de la lour Beauregard.

ques-uns semblaient presque d'âge à avoir vu passer dans le palais Charlemagne et le paladin Roland, et ne portaient plus sur leurs branches tordues que les pampres d'une vigne envahissante.

En cette maison enfouie sous les arbres, Guillemette Bon-varlet, la fille du maître sculpteur, n'aurait rien appris du tumulte occasionné à cinq minutes de chemin, au parvis Saint-Corneille, par l'élève de son père, Jehan des Torgnoles, si la servante Martinotte, en rentrant du marché, ne s'était hâtée de monter en sa chambre pour lui raconter l'événement.

Guillemette étaitune enfantblonde et fraîche, aux traits réguliers et fins, avec un nez d'une ligne idéalement pure, des yeux de candeur profonds et doux comme un ciel de printemps, limpides et claires fenêtres de son âme. Essayer d'esquisser un portrait plus détaillé est bien inutile, Guillemette ressemblait à toutes les statues de Vierges et de saintes que son père sculptait depuis vingt-cinq ans. Elle n'était pas née que déjà son père taillait son image dans la pierre, ce qui s'explique très naturellement, car Guillemette était le vivant portrait de sa mère défunte. Vingt-cinq ans auparavant, c'était le visage de la mère que, sans le vouloir, le sculpteur reproduisait; c'était maintenant celui de la fille.

Assise devant une grande table sur laquelle était étalé un grand dessin de rinceaux pour une frise sculptée, Guillemette travaillait à reproduire ces rinceaux avec son aiguille

Guillemette Bouvarlet.

et des fils de nuances diverses, sur une toile destinée à quelque somptueuse crédence. Elle leva la tête à la brusque entrée de la servante, comprenant à son allure que celle-ci devait avoir sur la langue quelque nouvelle la démang-eant fortement.

— Eh bien, Martinotte, dit-elle malicieusement, que rapportez-vous du marché? Beurre frais, très cher, choux et poireaux, seulement pas encore de cerises, n'est-ce pas?

— Attendez deux mois pour les cerises, si elles osent mûrir avec ces Anglais de malédiction, qui sont par les champs ! Aujourd'hui vous l'avez dit, le beurre est encore augmenté... Mais

Marliiiotto.

VOUS ne savez pas autre chose?

— Non, quoi donc?