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Alors il observa l'effrayante irritation. des seins et de la bouche, découvrit sur la peau du corps des macules de bistre et de cuivre, recula, égaré, mais l'oeil de la femme le fascinait et il avançait lentement, essayant de s'enfoncer les talons dans la terre pour ne pas marcher, se laissant choir, se relevant quand même pour aller vers elle; il la touchait presque lorsque de noirs Amorphophallus jaillirent de toutes parts, s'élancèrent vers ce ventre qui se soulevait et s'abaissait comme une mer. Il les avait écartés, repoussés, éprouvant un dégoût sans borne à voir grouiller entre ses doigts ces tiges tièdes et fermes; puis subitement, les odieuses plantes avaient disparu et deux bras cherchaient à l'enlacer; une épouvantable angoisse lui fit sonner le coeur à grands coups, car les yeux, les affreux yeux de la femme étaient devenus d'un bleu clair et froid, terribles. Il fit un effort surhumain pour se dégager de ses étreintes, mais d'un geste irrésistible, elle le retint, le saisit et, hagard, il vit s'épanouir sous les cuisses à l'air, le farouche Nidularium qui bâillait, en saignant, dans des lames de sabre.

Il frôlait avec son corps la blessure hideuse de cette plante; il se sentit mourir, s'éveilla dans un sursaut, suffoqué, glacé, fou de peur, soupirant: – Ah! ce n'est, Dieu merci, qu'un rêve.

C HAPITRE IX

Ces cauchemars se renouvelèrent; il craignit de s'endormir. Il resta, étendu sur son lit, des heures entières, tantôt dans de persistantes insomnies et de fiévreuses agitations, tantôt dans d'abominables rêves que rompaient des sursauts d'homme perdant pied, dégringolant du haut en bas d'un escalier, dévalant, sans pouvoir se retenir, au fond d'un gouffre.

La névrose engourdie, durant quelques jours, reprenait le dessus, se révélait plus véhémente et plus têtue, sous de nouvelles formes.

Maintenant les couvertures le gênaient; il étouffait sous les draps et il avait des fourmillements par tout le corps, des cuissons de sang, des piqûres de puces le long des jambes, à ces symptômes, se joignirent bientôt une douleur sourde dans les maxillaires et la sensation qu'un étau lui comprimait les tempes.

Ses inquiétudes s'accrurent; malheureusement les moyens de dompter l'inexorable maladie manquèrent. Il avait sans succès tenté d'installer des appareils hydrothérapiques dans son cabinet de toilette.

L'impossibilité de faire monter l'eau à la hauteur où sa maison était perchée, la difficulté même de se procurer de l'eau, en quantité suffisante, dans un village où les fontaines ne fonctionnent parcimonieusement qu'à certaines heures l'arrêtèrent; ne pouvant être sabré par des jets de lance qui plaqués, écrasés sur les anneaux de la colonne vertébrale, étaient seuls assez puissants pour mater l'insomnie et ramener le calme, il fut réduit aux courtes aspersions dans sa baignoire ou dans son tub, aux simples affusions froides, suivies d'énergiques frictions pratiquées, à l'aide du gant de crin, par son domestique.

Mais ces simili-douches n'enrayaient nullement la marche de la névrose; tout au plus éprouvait-il un soulagement de quelques heures, chèrement payé du reste par le retour des accès qui revenaient à la charge, plus violents et plus vifs.

Son ennui devint sans borne; la joie de posséder de mirobolantes floraisons était tarie; il était déjà blasé sur leur contexture et sur leurs nuances; puis malgré les soins dont il les entoura, la plupart de ses plantes dépérirent; il les fit enlever de ses pièces et, arrivé à un état d'excitabilité extrême, il s'irrita de ne plus les voir, l'oeil blessé par le vide des places qu'elles occupaient.

Pour se distraire et tuer les interminables heures, il recourut à ses cartons d'estampes et rangea ses Goya; les premiers états de certaines planches des Caprices, des épreuves reconnaissables à leur ton rougeâtre, jadis achetées dans les ventes à prix d'or, le déridèrent et il s'abîma en elles, suivant les fantaisies du peintre, épris de ses scènes vertigineuses, de ses sorcières chevauchant des chats, de ses femmes s'efforçant d'arracher les dents d'un pendu, de ses bandits, de ses succubes, de ses démons et de ses nains.

Puis, il parcourut toutes les autres séries de ses eaux-fortes et de ses aquatintes, ses Proverbes d'une horreur si macabre, ses sujets de guerre d'une rage si féroce, sa planche du Garrot enfin, dont il choyait une merveilleuse épreuve d'essai, imprimée sur papier épais, non collé, aux visibles pontuseaux traversant la pâte.

La verve sauvage, le talent âpre, éperdu de Goya le captait; mais l'universelle admiration que ses oeuvres avaient conquise, le détournait néanmoins un peu, et il avait renoncé, depuis des années, à les encadrer, de peur qu'en les mettant en évidence, le premier imbécile venu ne jugeât nécessaire de lâcher des âneries et de s'extasier, sur un mode tout appris, devant elles.

Il en était de même de ses Rembrandt qu'il examinait, de temps à autre, à la dérobée; et, en effet, si le plus bel air du monde devient vulgaire, insupportable, dès que le public le fredonne, dès que les orgues s'en emparent, l'oeuvre d'art qui ne demeure pas indifférente aux faux artistes, qui n'est point contestée par les sots, qui ne se contente pas de susciter l'enthousiasme de quelques-uns, devient, elle aussi, par cela même, pour les initiés, polluée, banale, presque repoussante.

Cette promiscuité dans l'admiration était d'ailleurs l'un des plus grands chagrins de sa vie; d'incompréhensibles succès lui avaient, à jamais gâté des tableaux et des livres jadis chers; devant l'approbation des suffrages, il finissait par leur découvrir d'imperceptibles tares, et il les rejetait, se demandant si son flair ne s'épointait pas, ne se dupait point.

Il referma ses cartons et, une fois de plus, il tomba, désorienté, dans le spleen. Afin de changer le cours de ses idées, il essaya des lectures émollientes, tenta, en vue de se réfrigérer le cerveau, des solanées de l'art, lut ces livres si charmants pour les convalescents et les mal-à-l'aise que des oeuvres plus tétaniques ou plus riches en phosphates fatigueraient, les romans de Dickens.

Mais ces volumes produisirent un effet contraire à celui qu'il attendait: ces chastes amoureux, ces héroïnes protestantes, vêtues jusqu'au cou, s'aimaient parmi les étoiles, se bornaient à baisser les yeux, à rougir, à pleurer de bonheur, en se serrant les mains. Aussitôt cette exagération de pureté le lança dans un excès opposé; en vertu de la loi des contrastes, il sauta d'un extrême à l'autre, se rappela des scènes vibrantes et corsées, songea aux pratiques humaines des couples, aux baisers mélangés, aux baisers colombins, ainsi que les désigne la pudeur ecclésiastique, quand ils pénètrent entre les lèvres.

Il interrompit sa lecture, rumina loin de la bégueule Angleterre, sur les peccadilles libertines, sur les salaces apprêts que l'Église désapprouve; une commotion le frappa; l'anaphrodisie de sa cervelle et de son corps qu'il avait crue définitive, se dissipa; la solitude agit encore sur le détraquement de ses nerfs; il fut une fois de plus obsédé non par la religion même, mais par la malice des actes et des péchés qu'elle condamne; l'habituel sujet de ses obsécrations et de ses menaces le tint seul; le côté charnel, insensible depuis des mois, remué tout d'abord, par l'énervement des lectures pieuses, puis réveillé, mis debout, dans une crise de névrose, par le cant anglais; se dressa et la stimulation de ses sens le reportant en arrière, il pataugea dans le souvenir de ses vieux cloaques.

Il se leva et, mélancoliquement, ouvrit une petite boîte de vermeil au couvercle semé d'aventurines.

Elle était pleine de bonbons violets; il en prit un, et il le palpa entre ses doigts, pensant aux étranges propriétés de ce bonbon praliné, comme givré de sucre; jadis, alors que son impuissance était acquise, alors aussi qu'il songeait, sans aigreur, sans regrets, sans nouveaux désirs, à la femme, il déposait l'un de ces bonbons sur sa langue, le laissait fondre et soudain, se levaient avec une douceur infinie, des rappels très effacés, très languissants des anciennes paillardises.