Max Gallo
de l’Académie française
1940
De l’abîme à l’espérance
Récit
XO
ÉDITIONS
© XO Éditions, Paris, 2010
ISBN : 978-2-84563-453-4
« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
CHARLES DE GAULLE
18 juin 1940
« Jamais dans l’histoire des conflits humains, tant d’hommes n’ont dû tant de choses à un si petit nombre de leurs semblables. »
WINSTON CHURCHILL
20 août 1940
En hommage à ceux qui ont choisi
de résister dès 1940.
PROLOGUE
D’une guerre à l’autre
1914 – 1939
« Et maintenant il faut gagner la paix. C’est peut-être plus difficile que de gagner la guerre… »
Georges CLEMENCEAU,
6 novembre 1918
« Nous sommes, nous, la France, au bord de l’abîme. »
Charles DE GAULLE,
13 novembre 1938
Ils avaient eu vingt ans en 1914.
En ce mois d’août de cette année-là, ils n’imaginaient pas qu’on les jetait dans une guerre où périraient dix millions d’hommes – 1 300 000 pour la seule France –, où d’autres par millions seraient blessés, défigurés, « gueules cassées », aveuglés, gazés, morts en sursis. Qu’ils seraient marqués à vie, dans leur âme, dans leur mémoire, dans leur corps par cette Première Guerre mondiale.
Et que l’Europe, l’étal de cette boucherie de quatre années, n’en sortirait pas apaisée, mais lourde de nouveaux affrontements, d’une Deuxième Guerre mondiale qui éclaterait en septembre 1939, à peine vingt-cinq années plus tard.
Les anciens combattants de 1914-1918 auraient à peine quarante-cinq ans.
Des millions d’entre eux seraient de nouveau mobilisés.
Ils avaient cru que la Première Guerre mondiale serait, comme ils l’espéraient, la « der des der », et voilà qu’on leur distribuait uniformes, casques, armes, et qu’ils marchaient au pas aux côtés de leurs fils !
Ils défilaient devant les monuments aux morts de leurs villes et de leurs villages, sur lesquels les noms de leurs camarades, tombés à Verdun, au Chemin des Dames, sur les bords de la Baltique ou sur les rives de la Vistule, s’entassaient comme des corps dans une fosse commune européenne.
Eux ne les avaient pas oubliés, ces camarades enfouis dans la boue des tranchées.
Mais les gouvernants n’en parlaient plus ou alors ils les invoquaient pour justifier la nouvelle guerre. Mais eux, les anciens combattants de la Première Guerre mondiale, ils marchaient sans enthousiasme, comme dans un cauchemar. Il fallait donc « remettre ça », la guerre, le massacre. Ils songeaient à ces camarades tombés dans des offensives inutiles puisque tout recommençait :
Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri[1].
Et pourtant, au mois de novembre 1918, quand le lundi 11 avait retenti le clairon de l’armistice, ils avaient hurlé, comme si enfin ils étaient libérés de cette angoisse qui depuis quatre ans les avait habités chaque jour.
Les rues et les places de Paris, de Londres, avaient été envahies par une foule en liesse.
On chantait, on dansait, on s’embrassait. La paix était là, et à Paris, à Londres, elle était victorieuse. On entourait les soldats des États-Unis venus par centaines de milliers livrer en France les derniers combats contre l’Allemagne qui avait enfin capitulé.
On oubliait l’amertume des combattants allemands, on ignorait celle d’un caporal décoré de la croix de fer de première classe, Adolf Hitler, et de millions de ses camarades humiliés et rageurs.
Ils avaient combattu sur le sol français. Jamais ils n’avaient vu leur patrie souillée par l’ennemi et voilà qu’ils étaient vaincus !
Ils pensaient trahison et déjà revanche.
Certains créaient, alors qu’on n’avait pas encore signé la paix (elle le serait à Versailles, en 1919), des Freikorps, des corps francs, qui allaient combattre pour empêcher qu’on arrachât à l’Empire allemand vaincu les terres colonisées jadis par les chevaliers Teutoniques.
La France victorieuse dessinait les frontières : les populations allemandes des Sudètes devenaient tchécoslovaques, citoyennes de ce nouveau pays, la Tchécoslovaquie, que la diplomatie française faisait surgir des ruines de l’Empire austro-hongrois.
À Vienne, on regrettait déjà la splendeur impériale, on acceptait mal de n’être que l’Autriche, et non plus l’empire des Habsbourg. Et certains regardaient vers Berlin.
Mais comment résister ? Les Français vainqueurs imposaient le Diktat de Versailles.
On ouvrait un « corridor » en terre allemande, pour que la Pologne pût accéder à la mer Baltique. Et tant pis si la ville allemande de Dantzig se trouvait devenir une enclave germanique, isolée en territoire polonais.
La joie régnait à Londres et à Paris, mais la violence surgissait à Berlin, à Vienne, dans toutes les villes de Russie, entraînées dans la guerre civile qui depuis la révolution de novembre 1917 embrasait ce qui n’était plus l’empire des tsars mais le pays des soviets, là où, par la terreur déjà, s’enracinait ce que Lénine et les siens, Trotski, Staline appelaient le « socialisme ».
Et l’on rêvait de révolution communiste, à Berlin, à Munich, à Rome.
Ainsi, la guerre mondiale à peine close accouchait-elle du rêve de la révolution bolchevique mondiale.
On regardait le « soleil » de l’Égalité se lever à l’est, on fondait dans tous les pays des partis communistes. On voulait renverser ces pouvoirs, ce système capitaliste, qui avaient provoqué la guerre mondiale.
Face à ce projet, un autre camp, celui de l’ordre, de la défense de la patrie, se raidissait.
Dès 1919, un agitateur socialiste italien, Benito Mussolini, fondait le Parti fasciste, patriote, regroupant des dizaines de milliers d’anciens combattants.
En octobre 1922, au terme d’une Marche sur Rome, il devenait chef du gouvernement.
Il créait le premier État fasciste, « totalitaire » – ce mot inventé par les Italiens.
À Munich, le 9 novembre 1923, Adolf Hitler et son parti national-socialiste tentaient un putsch, qui échoua.
Tous les germes des conflits futurs sont semés.
Le rêve de paix et de Société des Nations – une institution à laquelle les États-Unis refuseront d’adhérer et qui a été créée pour empêcher que les conflits ne donnent naissance à la guerre – s’éloigne.
Clemenceau, qui avait à partir de 1917 dirigé le gouvernement français, l’avait dit en 1918 : « Et maintenant il faut gagner la paix. C’est peut-être plus difficile que de gagner la guerre. Il faut que la France se ramasse sur elle-même, qu’elle soit forte et disciplinée. »
Clemenceau ajoutait, s’adressant aux Anglais et aux Américains :