Выбрать главу

Les députés murmurent dès que Reynaud a commencé à parler de sa voix haut perchée.

On l’interrompt quand il dit : « L’enjeu de cette guerre totale est un enjeu total. Vaincre c’est tout sauver. Succomber c’est perdre tout. »

Ces phrases, de Gaulle les connaît par cœur puisqu’il a inspiré sinon écrit le bref discours d’investiture de Reynaud qui poursuit : « Nous tiendrons les dents serrées avec au fond du cœur la volonté de combattre et la certitude de vaincre. »

Ricanements dans l’hémicycle !

« Séance affreuse », commente de Gaulle.

Seul Léon Blum prononce une allocution noble et forte, digne du moment que l’on vit, avec la guerre dont chacun devrait sentir qu’elle va changer de visage.

On vote : 268 voix – dont 153 socialistes – pour Reynaud, contre 156 et 111 abstentions !

Une voix de majorité, et elle sera contestée !

Qu’est devenue l’union sacrée ?

Un député radical-socialiste lance : « Vous n’avez plus qu’à vous retirer ! »

Reynaud n’y songe pas. Mais il cède à Daladier qui, refusant que de Gaulle soit nommé secrétaire du Comité de guerre, s’est écrié : « Si de Gaulle vient ici, je quitterai ce bureau, je descendrai l’escalier et je téléphonerai à Paul Reynaud qu’il le mette à ma place. »

De Gaulle regagne Wangenbourg et ses bataillons de chars dans l’attente que soit constituée – on lui a promis qu’elle le serait au 15 mai – la 4e division blindée, dont il prendra le commandement.

Quant au gouvernement de Paul Reynaud, à peine est-il formé et investi, qu’il apparaît déjà faible et menacé.

Reynaud le sait, mais à soixante-deux ans, il a le sentiment que c’est l’instant du destin, quand un homme rencontre les circonstances qui vont lui permettre de déployer toutes ses qualités.

Il se reconnaît dans les phrases soufflées par ce colonel de Gaulle qu’il soutient depuis tant d’années déjà.

Reynaud a martelé devant les députés non pas un programme précis mais une posture patriotique et morale.

« Susciter, rassembler, diriger toutes les énergies françaises pour combattre et pour vaincre, écraser la trahison d’où qu’elle vienne », telle est la définition de sa politique.

Il pourchassera ainsi les communistes, « la trahison des soviets », qui apportent leur aide aux ennemis de la France.

Le parti communiste a été interdit et ses parlementaires arrêtés.

Mais il doit manœuvrer, accepter comme secrétaire du Comité de guerre Paul Baudouin, gouverneur général de la Banque d’Indochine, dont il n’ignore pas les « penchants pacifistes », l’attirance qu’exercent sur lui les « nouveaux régimes », l’italien, l’allemand, l’espagnol.

Reynaud partage l’analyse de De Gaulle qui constate que « dans tous les partis, dans la presse, dans l’administration, dans les affaires, dans les syndicats, des noyaux très influents sont ouvertement acquis à l’idée de cesser la guerre ». Les milieux bien renseignés affirment que tel est l’avis du maréchal Pétain, ambassadeur à Madrid… Les Allemands se prêteraient à un arrangement. « Si Reynaud tombe, dit-on partout, Laval prendra le pouvoir avec Pétain à ses côtés. Le Maréchal en effet serait en mesure de faire accepter l’armistice par le commandement. »

Mais Reynaud est confiant. Les événements qui viennent, pense-t-il, renforceront sa position. Il répète le mot de Clemenceau : « Mon programme ? Je fais la guerre. »

Il fait savoir à Neville Chamberlain qu’il est prêt à intervenir en Norvège, pour couper la route du fer aux Allemands.

Le 28 mars, il se rend à Londres, au Conseil suprême de guerre, pour inscrire cette question à l’ordre du jour.

À cette occasion, ce 28 mars, il signe un document qui lui semble capital : les gouvernements français et britannique s’engagent à « n’entamer aucune négociation, à ne conclure aucun armistice ou traité de paix, sauf d’un commun accord ».

C’est un engagement sur l’honneur qui, pense Reynaud, musellera les défaitistes, les partisans de l’arrêt de la guerre.

Le 2 avril, il rencontre Churchill à Paris.

Le Premier lord de l’Amirauté et Reynaud s’accordent pour faire savoir aux Norvégiens que, devant l’utilisation abusive des eaux territoriales norvégiennes par la flotte allemande, des mines vont y être larguées par l’aviation britannique.

Ce mouillage est effectué dans la nuit du 7 au 8 avril.

Mais dans la soirée du 8 avril, 50 navires allemands franchissent les détroits danois puis, afin de tromper les Norvégiens, arborent des pavillons britanniques.

C’est une dépêche de l’agence Reuters qui a alerté le gouvernement français.

Le général Gamelin et l’amiral Darlan – le généralissime et le chef de la marine ! – ne savent rien !

La défaillance des services de renseignements français est accablante !

« Je vais faire une enquête », se contente de répondre Darlan à Paul Reynaud.

Le 9 avril, à l’aube, les Allemands occupent les principaux ports norvégiens : Bergen, Stavanger, Trondheim.

Les chefs militaires français n’en paraissent pas affectés.

7

.

Il est 8 h 20, ce 9 avril 1940. Paul Reynaud est debout, penché sur une carte de la Norvège. Quelques membres de son cabinet l’entourent. On apporte des dépêches. Les Allemands ont occupé de nombreux ports norvégiens et la capitale, Oslo. Ils contrôlent le Danemark. Copenhague est tombé. Il semble que ces succès aient été remportés par une poignée d’hommes, 9 000 en tout, mais bénéficiant d’une totale protection aérienne. Les navires sont nombreux, mais déjà attaqués par la Royal Navy. Il n’empêche, c’est une nouvelle mise en œuvre de la Blitzkrieg, cette guerre éclair qui a balayé l’armée polonaise.

« L’affaire de la Norvège est une victoire de plus à l’actif de la force mécanique, commente de Gaulle, une fois de plus cette victoire est allemande. »

Le général Gamelin arrive enfin dans le bureau de Paul Reynaud, situé au Quai d’Orsay.

Reynaud s’emporte, pose des questions qui sont autant d’accusations. Il interroge Gamelin sur les mesures qui ont été prises pour répondre à l’attaque allemande.

« Vous avez tort de vous énerver, dit Gamelin de sa voix posée. Il nous faut attendre des renseignements complets. Nous sommes en présence d’un simple incident de guerre. La guerre est faite de nouvelles imprévues. »

Et comme Reynaud hausse encore le ton, Gamelin ajoute : « Je vous demande à nouveau de ne pas être impatient. Nous devons attendre les événements. »

L’incompréhension est complète entre Gamelin, soutenu plus que jamais par Daladier, et Paul Reynaud. Mais les rapports avec l’amiral Darlan sont tout aussi tendus. L’amiral, sans en avoir prévenu Gamelin, propose de riposter à l’invasion allemande en… pénétrant en Belgique immédiatement.

Reynaud écarte cette suggestion, à laquelle Gamelin ne réagit que par une moue de désapprobation.

Le général parti, Paul Reynaud laisse éclater sa colère.

« C’est un préfet, c’est un évêque mais ce n’est à aucun degré un chef. Il n’est pas possible que cela dure. J’en ai assez, je serais un criminel en laissant cet homme sans nerfs, ce philosophe, à la tête de l’armée française. »

Mais comment s’en débarrasser sans entrer en conflit avec Daladier, sans perdre l’appui des radicaux-socialistes et donc être contraint de démissionner ?

Cependant, en Norvège, au fil des heures et des jours, la situation empire malgré les succès remportés par la Royal Navy qui coule la plupart des navires allemands. Mais là où des troupes ont débarqué, les Allemands résistent, la Luftwaffe déverse un tapis continu de bombes et il faut rembarquer les troupes.