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On est loin de l’union sacrée, de l’autorité sans faille que Clemenceau a réussi à exercer en 1917 et 1918.

Reynaud tente de parler comme le Tigre lorsqu’il s’adresse à la nation dans l’appel radiodiffusé qu’il lance ce vendredi 10 mai.

Le ton en est pathétique car, derrière les mots, on devine l’angoisse d’un homme qui sait bien que, dans les jours qui viennent, ce n’est pas seulement son destin qui se joue mais celui de la France.

Et il est trop lucide pour s’illusionner sur les capacités du haut commandement français.

Mais il doit tenter de rassembler le peuple autour de lui, du gouvernement.

« Trois pays libres, commence-t-il, ont été envahis cette nuit par l’armée allemande. Ils ont appelé à leur secours les armées alliées. Ce matin, nos soldats de la liberté ont franchi la frontière. Ce champ de bataille plusieurs fois séculaire de la plaine des Flandres, notre peuple le connaît bien. En face de nous, se ruant sur nous, c’est aussi l’envahisseur séculaire. »

À 7 heures, ce vendredi 10 mai, le tiers des armées françaises – les divisions les mieux dotées de toute l’armée – s’est mis en mouvement.

Elles avancent pour atteindre la ligne Anvers-Namur, qu’elles dépassent bientôt. Mais elles s’étirent sur près de 200 kilomètres, sans couverture aérienne, marchant dans la plaine vers les Panzers.

Dans son quartier général, Hitler peut, dans un geste joyeux, frapper de ses deux paumes ses cuisses, puis s’exclamer :

« C’est merveilleux comme tout se déroule conformément aux prévisions ! Il fallait que les Anglais et les Français croient que nous demeurions fidèles au vieux plan Schlieffen, et ils l’ont cru ! »

Il n’ose encore penser, quelques heures après le début de l’offensive, que la partie est gagnée, mais Hitler ne peut s’empêcher de jubiler.

Le Führer a fait publier un mémorandum qui accuse les Belges et les Hollandais d’avoir « prêté la main aux tentatives de l’intelligence Service en vue de faire éclater une révolution en Allemagne et de faire disparaître le Führer… ».

En outre, les deux pays ont favorisé les concentrations de troupes anglo-françaises en vue d’une attaque contre l’Allemagne.

Et, comble du cynisme, le mémorandum conclut :

« Le gouvernement allemand vient donc de donner l’ordre d’assurer la neutralité de ces pays par tous les moyens de force militaire dont dispose l’Allemagne. »

Ce n’est pas le nombre des hommes ni même celui des Panzers ou des avions qui compte d’abord, mais la manière dont l’état-major, et Hitler en est ces jours-là l’instigateur, les utilise.

La Luftwaffe bombarde La Haye et Rotterdam.

Des troupes aéroportées attaquent ces deux villes, s’y incrustent, et les Panzers réussissent à les rejoindre.

Hitler et le général en chef des forces aéroportées, Kurt Student, ont jeté dans la bataille 4 000 parachutistes, alors qu’ils ne peuvent compter que sur un total de 4 500 hommes !

Une division d’infanterie légère de 12 000 hommes est transportée par avion.

Les ponts sont l’objectif prioritaire et ils sont pris avant que les Hollandais aient pu les faire sauter. Les Panzers vont pouvoir progresser, semant la panique, le désordre, démoralisant les troupes hollandaises qui se replient.

La peur est contagieuse.

Ce même vendredi 10 mai, les Belges sont à leur tour frappés par l’offensive allemande qui, en quelques heures, désorganise la défense du pays et jette sur les routes des soldats affolés et des civils terrorisés qui veulent fuir l’invasion, la tête pleine des souvenirs de l’occupation allemande en 1914.

Les Stuka fondent sur ces foules saisies par l’effroi. Le roi Léopold III et son état-major, qui ont tant tardé à autoriser les troupes alliées à entrer en Belgique, sont démunis.

La rumeur se répand que des milliers de parachutistes ont sauté sur le pays ; qu’ils ont pour mission de couper les routes, d’empêcher les fuyards de gagner la France.

Et les troupes françaises se heurtent à ces flots de réfugiés, aux yeux hagards, proies des bombardiers en piqué qui lâchent leurs bombes, mitraillent, accompagnés par le hurlement de leurs sirènes.

Tout se joue en une matinée.

Des parachutistes s’emparent de deux ponts sur le canal Albert que franchissent aussitôt des Panzers. La plus grande et la plus puissante forteresse de Belgique, le fort d’Eben-Emael dont les canons peuvent balayer le canal Albert et ses abords, est prise par surprise par 78 parachutistes commandés par le lieutenant Witzig.

Cette poignée d’hommes a débarqué de ce que le général Kurt Student appelle un « planeur-cargo », et les 1 200 Belges qui constituent la garnison du fort se rendent aux Allemands.

Sur les routes, dans les prairies de Flandre, des fuyards découvrent des mannequins simulant des parachutistes et refusent d’admettre qu’ils sont victimes d’une ruse allemande. C’est Hitler, confie Student, qui a eu l’idée de ce leurre, alors que les derniers 500 parachutistes sont employés à s’emparer des ponts, à permettre ainsi à deux divisions de Panzers de percer la ligne de défense belge.

Les généraux Reichenau et Paulus ont d’abord été sceptiques, mais Hitler a imposé sa stratégie.

La rumeur se répand que des milliers de parachutistes, aidés par une « cinquième colonne » coupent les routes, font sauter les ponts. Et la Belgique, au soir du vendredi 10 mai, puis dans la nuit, chancelle, comme un boxeur paralysé avant même de s’être mis en garde, et qui encore debout ferme déjà les yeux, perdant conscience.

Ce n’est rien encore.

Dès le samedi 11 mai, les Panzers se sont enfoncés dans les forêts des Ardennes, pilonnées par les Stuka.

La Meuse est déjà atteinte, ici et là, par des avant-gardes qui s’emparent des ponts ou, sous le feu, traversent le fleuve en canot pneumatique et construisent des ponts de bateaux. De jeunes généraux n’hésitent pas à prendre la tête des troupes, ou des colonnes de chars. Ainsi, la « charnière » qui, articulée autour de Sedan, commande le dispositif français, est moins de deux jours après le début de l’offensive en passe d’être brisée.

Et les troupes alliées entrées en Belgique sont submergées sous les vagues de soldats belges et de réfugiés qui fuient et dont le flot tumultueux bloque les routes.

Le général Rommel, à la tête de sa VIIe division, attaque le nord de la charnière qui devrait lier les troupes françaises et les troupes belges.

Ses motocyclistes atteignent déjà la Meuse et les Panzers suivent.

Rommel écrit le premier compte rendu de ses combats :

« Dans le secteur assigné à ma division, l’ennemi a depuis des mois préparé des obstacles de toutes sortes. Les routes et les chemins forestiers sont coupés par des barricades fixes et des mines ont creusé de profonds cratères dans les routes principales. Cependant, la plupart des barricades sont laissées sans défense par les troupes belges ; c’est ainsi que rares sont les endroits où ma division doit subir des arrêts de longue durée. Nous pouvons éviter beaucoup de ces barricades en passant à côté ou en prenant des routes latérales. Autrement, tout le monde se met à la destruction de l’obstacle et la route est bientôt dégagée. »

Plus au sud, les divisions de Panzers du général Guderian se sont avancées et menacent Sedan.

Elles trouvent en face d’elles des unités de cavalerie française, que les Stuka écrasent sous leurs bombes.

Les chevaux sont affolés par les hurlements des sirènes et personne ne peut les maîtriser. Bêtes et hommes fuient.

Le samedi 11 mai, alors que les unités commandées par Guderian s’apprêtent à franchir la Meuse, Rommel écrit quelques mots à sa femme :