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« 11 mai 1940,

« Très chère Lu,

« Aujourd’hui, j’ai pour la première fois un moment pour respirer et une minute pour écrire. Tout est merveilleux jusqu’à présent. J’ai pris de l’avance sur mes voisins. Je suis complètement enroué à force de donner des ordres et de crier. J’ai tout juste eu trois heures de sommeil et un repas de temps en temps.

« À part cela, en pleine forme. Contentez-vous de ces mots, je suis si fatigué. »

Mais l’euphorie de la victoire efface la fatigue.

Les Panzers s’enfoncent en Belgique, et les populations sont si surprises, si désemparées qu’elles imaginent voir passer des unités anglaises et néerlandaises qu’elles applaudissent.

Le dimanche 12 mai, Daladier se rend auprès du roi des Belges. Léopold III accepte enfin de placer ses troupes sous le commandement du général Billotte.

Mais que peut l’état-major français ?

Gamelin a refusé d’accompagner Daladier parce qu’il craint que Reynaud ne profite de son départ pour le remplacer.

Quant à Reynaud, lorsqu’il apprend que Daladier rencontre le roi des Belges, il décide de le rejoindre aussitôt.

Mais, sur les conseils du colonel de Villelume, il renonce à s’y rendre parce que, compte tenu de l’encombrement des routes, il ne pourrait y arriver à temps.

On a déplié devant Paul Reynaud une grande carte de Belgique et entouré d’un trait rouge la ville de Liège.

Les Allemands ont atteint la ville et se sont emparés de ses forts ce dimanche 12 mai dans l’après-midi.

Plus au sud, les Panzers du général Guderian sont sur la rive nord de la Meuse.

Paul Reynaud se laisse tomber sur une chaise plus qu’il ne s’assoit.

La comtesse Hélène de Portes entre dans le bureau.

Elle assure d’un ton joyeux qu’elle a appris que Churchill, le nouveau Premier Ministre anglais, vient de déclarer « qu’il n’y avait aucune raison de supposer que les opérations ne marchent pas bien ».

Nous sommes le dimanche 12 mai 1940 à la fin de l’après-midi.

9

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Il suffit de quelques heures dans la nuit du dimanche 12 au lundi 13 mai pour que, en France, les illusions dans les états-majors, dans les cercles proches du pouvoir s’effondrent parce que Sedan est tombé, une brèche s’est ouverte là où, en 1870, l’empereur Napoléon III a été vaincu par les Prussiens. Et la France a connu la débâcle, le Second Empire s’est effondré et Paris s’est insurgé.

Or, le 13 mai 1940, le front est crevé, et le mot de débâcle, celui de Zola, se répand comme un poison mortel.

Sur tout le cours de la Meuse, à Sedan, de Givet à Dinant, les Allemands commencent à traverser le fleuve, bien que les troupes françaises aient réussi à faire sauter les ponts et que leurs avant-postes s’accrochent, infligeant de lourdes pertes aux soldats de Guderian et de Rommel.

« Le lundi 13 mai, note Rommel, je me rends à Dinant vers 4 heures du matin avec le capitaine Schräpel. Dans la ville, tombent les obus de l’artillerie française installée sur la rive ouest ; plusieurs chars atteints se trouvent sur la route conduisant à la Meuse. Le bruit de la bataille monte de la vallée. De minute en minute, le tir ennemi devient plus gênant. Un de nos bateaux en caoutchouc, qui a subi des avaries, dérive devant nos yeux ; un homme s’y cramponne grièvement blessé, hurlant au secours. Le malheureux est en train de se noyer, mais nous ne pouvons rien faire pour lui : le tir ennemi est trop nourri. »

Rommel se redresse en dépit des rafales :

« Je prends personnellement le commandement du IIe bataillon du VIIe fusiliers et je dirige moi-même les opérations pendant quelque temps. »

Il réussit à établir une tête de pont, sur la rive ouest de la Meuse.

C’est là, sur les rives de ce fleuve, que se joue le sort de l’offensive allemande.

De Gaulle le sait, lui qui, au Vésinet, s’impatiente ces 13 et 14 mai, attendant ses chars lourds, jaugeant les uns après les autres, souvent avec sévérité, les officiers qui vont commander sous ses ordres « sa » 4e division blindée.

Enfin, il va pouvoir mettre en œuvre, sur le terrain, les conceptions stratégiques qu’il martèle en vain depuis les années trente.

Mais il est bien tard.

Au début de l’après-midi du lundi 13 mai, les Panzers du général Guderian, qui ont pris Sedan dans la nuit, attendent, tapis sur la rive est de la Meuse. La Luftwaffe écrase sous ses bombes les positions françaises, interdisant ainsi aux artilleurs français de tenir le fleuve sous le feu de leurs canons. Car Guderian veut tenter la traversée de la Meuse sans attendre l’arrivée du corps d’armée d’infanterie.

Il se contentera des troupes qui accompagnent les Panzers.

À 16 heures, l’assaut est donné. Les Français, écrasés par les attaques des Stuka, réagissent faiblement.

À minuit, l’avance est de 8 kilomètres. Les sapeurs achèvent la construction d’un pont de bateaux et les Panzers commencent à s’engouffrer dans la brèche.

La tête de pont est précaire, mais Guderian sait que la vitesse et la surprise sont décisives.

Le front est en effet crevé. Trois divisions de Panzers s’enfoncent dans la brèche, bientôt large d’une centaine de kilomètres. Les 1 800 blindés allemands, entraînés par l’initiative de Guderian, s’élancent vers l’ouest, vers Péronne, Cambrai, la Manche.

C’est la débâcle qui s’annonce.

La « charnière » est brisée. Entre les armées françaises, les Panzers enfoncent leur coin de fer et de feu. Et c’est la menace d’enfermer les troupes alliées entrées en Belgique qui devient réalité.

La panique saisit les troupes qui résistent encore dans les forêts qui dominent la Meuse. Elles ont subi les bombardements en piqué des Stuka. Elles se sont terrées. Et tout à coup, la rumeur se répand que les chars avancent. « Ils sont là, ils sont là », les soldats jettent leurs armes. Les officiers ont souvent fui les premiers.

Ceux qui tentent d’arrêter les fuyards, de placer des camions sur la route pour les empêcher de déferler, sont bousculés, écartés, contournés.

En quelques heures, ces 13 et 14 mai, la 55e division d’infanterie avec son artillerie puissante a presque cessé d’exister.

Ceux qui s’enfuient ainsi, abandonnés par leurs officiers, marchent sans se retourner vers Reims, à 90 kilomètres de là, la peur aux trousses.

Le général Gamelin, de son donjon de Vincennes, téléphone le mardi 14 mai au ministre de la Défense. Et Daladier ne sait que répéter que ce n’est pas possible, que c’est impensable, quand Gamelin lui annonce que la défense française est enfoncée, que les blindés allemands foncent sur Paris et qu’il n’a aucune réserve pour protéger la capitale.

Daladier, atterré, presque aphone, alerte aussitôt Paul Reynaud.

Mais les Panzers ne se dirigent pas vers Paris mais vers le nord, afin de serrer le nœud coulant, de fermer la nasse.

Là est l’objectif de Hitler et de ses généraux.

Dans la matinée du mardi 14 mai, alors que des négociations ont commencé entre Allemands et Néerlandais pour la reddition de Rotterdam, la Luftwaffe écrase le centre de la ville sous les bombes.

Il s’agit de terroriser : on dénombre 800 morts, plusieurs milliers de blessés, et près de 100 000 personnes sont sans abri.

La radio allemande répète d’une voix triomphante :

« Sous la terrible attaque des bombardiers en piqué et devant l’imminent assaut des chars allemands, la ville de Rotterdam a capitulé, échappant ainsi à la destruction. »

Son cœur historique est détruit.

Et, au crépuscule de ce mardi 14 mai, la nouvelle de ce bombardement de Rotterdam glace d’effroi les populations de Belgique. Elles fuient les villes, se jettent sur les routes, rendant ainsi difficiles, sinon impossibles, les déplacements des troupes alliées.