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Il se murmure que Pétain et Weygand, dès ces derniers jours de mai, ont le sentiment que la partie est perdue, qu’il faut sauver ce qu’il reste de l’armée, pour lui permettre de maintenir l’ordre dans le pays, menacé par les troubles de la rue organisés par les communistes.

Le Maréchal et le général estiment que l’on fait appel à eux pour imposer l’armistice. Leurs références historiques, c’est 1870 plus que 1914-1918. Ils craignent une Commune de Paris. Ils sont prêts à négocier avec Hitler, qui n’est à leurs yeux que le successeur de Bismarck… Ils maudissent ces hommes politiques qui ont dilapidé les fruits de la victoire de 1918.

Ainsi, personne ne rappelle l’antirépublicanisme sournois et les ambitions politiques de Pétain. Les journaux exaltent au contraire le « rempart vivant de la patrie » que constitue le nouveau gouvernement qui fait revivre « la grande mémoire de Clemenceau ».

Seul, évoquant le nouveau ministre de l’Intérieur, Georges Mandel, l’hebdomadaire d’extrême droite Je suis partout écrit : « À une guerre juive, il fallait un Clemenceau juif ! »

Paul Reynaud semble ne pas se soucier de ces faits.

À la radio, il déclare solennellement que le maréchal Pétain restera à ses côtés jusqu’à la victoire.

« Chaque Français, qu’il soit aux armées ou à l’intérieur, doit faire ce soir avec moi le serment solennel de vaincre », conclut Reynaud. Il souligne qu’il a choisi d’être « ministre de la Guerre et de la Défense nationale, parce que le chef de gouvernement doit être placé au poste le plus exposé ».

Mais derrière la pompe des discours, la réalité implacable grimace.

Les chars de Guderian ont dépassé Amiens.

Le lundi 20, ils ont atteint la Manche, coupant ainsi les communications des armées alliées en Belgique.

Puis les Panzers remontent vers le nord, en direction des ports et des arrières de l’armée anglaise. Lord Gort donne l’ordre de se replier et d’abandonner Arras, de gagner Dunkerque. Mais les blindés de Guderian et de Reinhardt sont à Gravelines, à 15 kilomètres de là.

Et les succès de De Gaulle, à Montcornet et à Abbeville, le sacrifice dans les brèves contre-offensives des blindés français, n’empêchent pas le déferlement des Panzerdivisionen.

De Gaulle ne peut étouffer sa colère quand il apprend que Reynaud, au lieu de prendre des mesures radicales, a fait appel à Pétain et à Weygand qui l’un et l’autre ont empêché toute réforme du système militaire.

Pétain portant, lui, l’icône vénérée, une responsabilité majeure, puisqu’il a soutenu l’idée que les Ardennes suffiraient à interdire toute avance ennemie.

De Gaulle l’a beaucoup côtoyé, lui doit une partie de sa carrière, puis la rupture est intervenue. De Gaulle est un connétable qui a trop de fierté et d’indépendance pour se soumettre à Pétain.

Quant à Weygand, il est enfermé dans ses souvenirs, cultivant sa légende : bras droit du maréchal Foch !

Ni Pétain ni Weygand n’ont répondu au mémorandum que de Gaulle leur a adressé en janvier !

Et d’ailleurs, il est trop tard pour élaborer une nouvelle stratégie. Daladier, ancien ministre de la Guerre, n’a pas de mots assez durs pour juger l’arrivée de Weygand.

« Mais qu’est-ce qui a pris à Reynaud ? s’exclame-t-il. On ne change pas de cheval au milieu du gué ! Et par qui remplace-t-il Gamelin ? Mais ce Weygand, c’est une ganache ! »

Alors, il reste les prières et les mots.

Le dimanche 19 mai, le gouvernement au grand complet assiste, au premier rang d’une foule recueillie, à un office religieux à Notre-Dame de Paris. Et de là, croyants et incroyants, catholiques et francs-maçons, fidèles de l’Église et anticléricaux se rendent dans un court pèlerinage à l’église Saint-Étienne-du-Mont où sont exposées les reliques de sainte Geneviève qui arrêta les Huns d’Attila sous les murs de Paris !

Puis, le mardi 21 mai, au Sénat réuni en séance plénière, le maréchal Pétain étant assis au banc du gouvernement, Reynaud monte à la tribune. Il fait applaudir le « vainqueur » de Verdun, et Weygand qui incarne l’âme de Foch :

« La France a la fierté de penser, dit-il, que deux de ses enfants qui auraient eu le droit de se reposer sur leur gloire sont venus se mettre en cette heure tragique au service du pays ! »

On l’acclame, il se redresse comme s’il voulait se grandir, lui qui souffre de sa petite taille, et lance :

« Pour moi, si l’on venait me dire un jour que seul un miracle peut sauver la France, ce jour-là, je dirais : Je crois au miracle parce que je crois en la France. »

Mais lord Gort constate que les Panzers de Guderian sont à moins de 15 kilomètres de l’artère Lille-Dunkerque, vitale pour les troupes britanniques.

Le repli sur Dunkerque commence. Les Anglais reculent de 40 kilomètres sans en avertir le haut commandement français.

L’Amirauté britannique commence à mettre en place le plan Dynamo afin de rapatrier le corps expéditionnaire anglais.

Dans tous les ports de Grande-Bretagne, on recense les navires, quel que soit leur tonnage, capables de traverser la Manche, d’atteindre Dunkerque.

Il faut aller vite. Devant le Comité de guerre, en présence du général Spears, envoyé de Churchill, un commandant représentant le général Blanchard, qui est à la tête des armées du Nord, déclare : « Je crois qu’il faudra envisager à bref délai la capitulation. »

C’est le samedi 25 mai. Le mot tabou, celui qui confirme l’étendue du désastre, vient d’être prononcé. Reynaud et Weygand se récrient, puis durant quelques secondes un silence étouffant accable les membres du Comité de guerre. Et tout à coup, une voix, peut-être celle de Reynaud, s’élève :

« Il n’est pas dit que notre adversaire nous accordera un armistice immédiat. »

Cet autre mot tabou, armistice, plus lourd encore de conséquences que celui de capitulation, dévoile l’état d’esprit de plusieurs membres du Comité.

Car il ne s’agit plus d’une « capitulation » des armées, mais d’un « armistice » donc d’un acte politique entraînant la violation de l’accord du 28 mars 1940 conclu entre la France et le Royaume-Uni, par lequel Paris et Londres s’engageaient à ne pas signer d’armistice séparé.

Le général Spears mesure à cet instant que l’Angleterre devra poursuivre seule la guerre et qu’il importe que s’engage au plus tôt le rapatriement du corps expéditionnaire britannique.

L’opération Dynamo doit commencer.

Spears entend Pétain répondre à ceux des membres du Comité de guerre qui rappellent l’accord du 28 mars :

« Chaque nation a des devoirs vis-à-vis de l’autre dans la proportion de l’aide que l’autre lui a donnée. »

Les partisans de l’armistice ont avec Pétain leur porte-parole, au-dessus de tout soupçon, et leurs coupables : les Anglais qui n’ont pas apporté toute l’aide voulue à la France, et les hommes politiques républicains qui ont engagé leur nation dans une guerre inutile.

« On ne meurt pas pour Dantzig ! »

Mais pour l’heure, la guerre continue, et la débâcle draine des millions de réfugiés et de soldats sur les routes du nord et de l’est de la France.

Rommel peut écrire à sa « très chère Lu » alors qu’il roule en direction de Lille, après la prise d’Arras :