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« Après quelques heures de sommeil, voici le moment, de vous écrire. Pour ma division c’est un triomphe. Tout va bien, la santé et le reste. Dinant, Philippeville, la percée de la ligne Maginot, une avance à travers la France de 65 kilomètres en une nuit, jusqu’au Cateau, puis Cambrai, Arras, toujours loin en avant de tout le monde. À présent, c’est la chasse aux soixante divisions britanniques, françaises et belges encerclées. Ne vous faites pas de souci pour moi. Comme je vois les choses, la guerre en France pourrait être terminée dans une quinzaine. Forme splendide. Sur la brèche du matin jusqu’à la nuit, bien entendu. Beau temps, un peu trop de soleil peut-être. »

Rien ne semble pouvoir arrêter les Panzers. Leurs généraux – Guderian, Reinhardt, Rommel – estiment qu’un assaut contre le camp retranché de Dunkerque percera la faible ligne de défense.

Et tout à coup, l’ordre de cesser d’avancer, d’attaquer, leur parvient.

Le général Halder note dans son journal :

« L’aile gauche composée de forces blindées et motorisées, qui n’a aucun ennemi devant elle, sera donc arrêtée sur ses positions sur l’ordre direct du Führer. Il reviendra à la Luftwaffe d’achever l’armée ennemie encerclée. »

Halder se souvient qu’après le franchissement de la Meuse, il y a à peine une douzaine de jours, il avait noté dans son journal : « Journée assez désagréable. Le Führer est terriblement nerveux. Effrayé par son propre succès. Il craint de prendre des risques et aurait plutôt tendance à nous freiner. »

Cette fois-ci, Halder comprend que la décision de Hitler a d’autres causes.

Le vendredi 24 mai au matin, le Führer se rend au quartier général de von Rundstedt. Il est d’excellente humeur. Il reconnaît que le déroulement de la campagne a été un « véritable miracle ». Il pense que la guerre sera finie dans six semaines. Il souhaite ensuite conclure une paix raisonnable avec la France, et la voie serait alors libre pour un accord avec la Grande-Bretagne. Devant les officiers stupéfaits, il parle avec admiration de l’Empire britannique, de la nécessité de son existence et de la civilisation que l’Angleterre a apportée au monde. Il compare l’Empire britannique et l’Église catholique… Il conclut en disant que son but est de « faire la paix avec l’Angleterre sur une base qu’elle considérerait comme compatible avec son honneur ».

Est-ce pour ménager Londres que Hitler retient les Panzers durant deux jours, permettant à l’opération Dynamo de commencer, aux troupes britanniques d’embarquer sur ces centaines de navires, de tout tonnage ?

D’autres généraux – Jodl, Warlimont, Kleist, Guderian –, qui ont rencontré Hitler, avancent d’autres raisons.

« Hitler craint que les blindés ne puissent opérer dans les marais des Flandres sans lourdes pertes. Or il veut conserver ces Panzers pour l’offensive finale contre la France », dit Jodl.

Guderian ajoute que c’est « la vanité de Goering qui provoque cette décision ». Goering, à la tête de la Luftwaffe, a assuré Hitler que les bombardements aériens suffiraient à écraser les troupes encerclées à Dunkerque.

Mais elles commencent à embarquer dans l’après-midi du dimanche 26 mai, alors que le roi Léopold III de Belgique se prépare à capituler et que les divisions de Panzers sont autorisées par le Führer à reprendre la progression.

Ce dimanche 26 mai, Rommel écrit :

« Très chère Lu,

« Un jour ou deux sans combat nous ont fait grand bien. La division a perdu en tout 27 officiers tués et 33 blessés, et 1 500 hommes tués et blessés. Cela fait dans les 12 % de pertes. C’est très peu comparativement à ce que nous avons accompli. Le plus mauvais est passé. Il est peu probable qu’il y ait encore de durs combats, car nous avons proprement houspillé l’ennemi. Nourriture, boissons et sommeil, tout est redevenu normal. »

Ce même jour, Paul Reynaud est à Londres.

Il informe le cabinet britannique de la situation militaire, évoque les conséquences d’une défaite, mais s’interrompt, face au refus des Britanniques d’envisager que la France signe un armistice puis une paix, séparés.

À son retour à Paris, le soir de ce dimanche 26 mai, son collaborateur Baudouin le harcèle : Reynaud a-t-il obtenu une réponse des Britanniques ?

« Je n’ai pas pu poser cette question », dit sèchement le président du Conseil. Il sait que Pétain, Weygand, Chautemps, ancien président du Conseil, influent membre du parti radical-socialiste, Baudouin, veulent cesser le combat, sortir de la guerre.

Laval, en contact avec Pétain, est l’âme cachée de cette « conspiration ».

Le lendemain, Pétain confie à Baudouin :

« Je ne suis pas partisan de poursuivre la lutte à outrance. C’est une chose facile et stupide d’affirmer qu’on luttera jusqu’au dernier homme. C’est criminel aussi, étant donné nos pertes de l’autre guerre et notre faible natalité. Il faut sauver une partie de l’armée, car sans une armée groupée autour de quelques chefs pour maintenir l’ordre, une vraie paix ne sera pas possible et la reconstruction de la France n’aura pas de point de départ. »

Au fur et à mesure que Pétain parle, ses yeux se remplissent de larmes.

12

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Le maréchal Pétain n’est pas le seul, en cette fin du mois de mai 1940, à avoir les yeux embués de larmes.

Sur le bord des routes de Flandre, assis sur les talus, la tête entre leurs mains, les soldats français des armées du Nord pleurent.

Les réfugiés en une longue et noire procession fuient devant la poussée allemande et sanglotent de désespoir.

Ce dimanche 26 mai, l’armée belge a capitulé. Le gouvernement a quitté le pays, mais le roi Léopold III a demandé qu’on dépose les armes, et négocié avec l’ennemi.

Sera-ce bientôt le sort de la France ?

Sortir au plus vite de la guerre, c’est, sous l’émotion, le projet du maréchal Pétain, celui du généralissime Weygand.

Ce dernier garde tout son sang-froid. Il donne l’ordre aux troupes « de se défendre à outrance sur les positions actuelles, sans regarder en arrière ». Il tente de constituer une ligne de défense, un front continu de la Somme à l’Aisne et peut-être demain sur la Seine, et qui sait sur la Loire. Mais il ajoute aussitôt : « Le commandant en chef a le devoir d’examiner en raison de la gravité des circonstances toutes les hypothèses. »

Il est en relation quotidienne avec le maréchal Pétain et les ministres, les hommes politiques qui veulent l’armistice.

Weygand entend sauver l’honneur de l’armée, permettre aux troupes de briser toute tentative « communarde » – communiste – de créer des troubles. Il veut faire porter la responsabilité de la défaite aux hommes politiques, à cet « ensemble de compromissions maçonniques, capitalistes et internationales » qu’était la République. Et derrière cette politique républicaine, il y a les Juifs.

Pour le maréchal Pétain comme pour Weygand, il ne s’agit donc pas d’accepter une capitulation de l’armée, mais il faut exiger que les hommes politiques endossent un armistice, qui conduirait à un changement de régime.

Ces chefs militaires-là – Pétain né en 1856, Weygand en 1867 – sont des contemporains de l’affaire Dreyfus (1894).

Ils ont une revanche à prendre contre cette République qui a humilié l’armée, réhabilité Dreyfus, puis dilapidé « leur » victoire du 11 novembre 1918.

C’est tout ce passé qui ressurgit en ces semaines de mai et de juin 1940.

Weygand hausse les épaules quand Paul Reynaud lui demande d’étudier « la mise en état de défense d’un réduit national autour d’un port de guerre ».

Il s’agit de la Bretagne et de Brest. Mais rares sont ceux – à l’exception d’un de Gaulle – qui croient à la possibilité d’un « réduit breton » ou bien d’un repli du gouvernement et des troupes encore combattantes en Afrique du Nord.