« Il faut que l’Alliance dans la guerre soit suivie de l’indéfectible alliance dans la paix ! »
Il suffit de quelques mois, pour que, dès les années vingt, les souhaits de Clemenceau ne soient plus que cendres.
La France se divise.
Clemenceau, candidat à la présidence de la République en 1920, est battu par un Paul Deschanel à la santé mentale fragile, qu’on découvrira marchant seul en pyjama le long de la voie ferrée sur laquelle circule le train présidentiel.
Clemenceau avait déclaré avant d’être battu :
« N’abandonnons pas nos querelles d’idées mais ne les poursuivons pas si le sort de la France peut en souffrir… Soyons frères et si on nous demande d’où vient cette pensée, répondons par ces seuls mots : “La France le veut, la France le veut.” »
En fait les oppositions se durcissent. Issu de la majorité du Part socialiste, un parti communiste a été créé en décembre 1920.
Il souscrit aux vingt et une conditions édictées par Lénine et dont l’approbation est nécessaire pour adhérer à l’internationale communiste, le Komintern.
Voici les militants communistes enrôlés dans cette Internationale dirigée par Lénine et après sa mort (en 1924) par Staline. Les communistes français deviennent les fidèles exécutants de la politique internationale de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
Or, la politique de la Russie soviétique, c’est de s’entendre avec l’Allemagne vaincue et qui ne pense qu’à reconstituer une force militaire prête à la revanche.
Les généraux de la Reichswehr contournent les clauses du traité de Versailles et dès les années vingt-trente, vont entraîner leurs troupes – leurs escadrilles, leurs chars – en Union soviétique, à l’abri des regards des observateurs de la Société des Nations.
Et la France est démunie devant cette entente Berlin-Moscou. Cependant que les communistes français prêchent la révolution, la lutte contre le capitalisme, et dénoncent les mœurs politiques, les scandales financiers qui se multiplient.
La situation française est d’autant plus préoccupante que d’autres forces politiques regardent elles aussi vers les expériences étrangères.
L’Italie fasciste de Mussolini apparaît comme un modèle, un allié, à l’ambitieux parlementaire qu’est Pierre Laval.
Le régime autoritaire italien fascine en effet une partie des conservateurs, soucieux de faire contrepoids à l’Allemagne et à l’Union soviétique.
Car l’Angleterre joue sa carte. Elle est pour le redressement de l’Allemagne. Les États-Unis se sont retirés de la scène européenne et, devenus isolationnistes, ne font pas partie de la Société des Nations.
Mais comme les Anglais, ils soutiennent les Allemands, qui refusent de verser à la France les réparations fixées par le traité de Versailles.
« Le Boche paiera », avaient répété les politiciens français. Mais Berlin se dérobe, et la crise économique et financière de 1929 libère des ferments de violence, déjà présents dans tous les pays européens.
En fait, la Première Guerre mondiale a ébranlé tous les continents, détruit les règles morales.
On a tué pendant quatre ans. En masse et sauvagement.
Les hommes, sous l’uniforme, ont appris à vivre en « rang », à marcher au pas, à partager la violence, le meurtre légal.
Le fascisme et le nazisme sont sortis de ce chaudron de sorcières qu’est la guerre.
Dès les années vingt, les adhérents des partis fasciste et nazi, mais aussi ceux des partis socialistes, comme les membres des associations d’anciens combattants défilent en « uniforme ». C’est le temps des chemises noires, brunes, rouges, bleues… Les anciens combattants recherchent la fraternité des tranchées. Ceux qui ont été en première ligne forment en France le mouvement des Croix-de-Feu.
On se bat contre les communistes. La guerre civile est une hypothèse réaliste.
Qu’est devenue la civilisation européenne ?
Un célèbre écrivain français, Romain Rolland, avait choisi durant la guerre de vivre en Suisse, y écrivant un livre, Au-dessus de la mêlée, dans lequel il analysait la guerre de 14-18 comme une guerre civile européenne, suicidaire.
Il osait écrire, évoquant les Français, les Anglais, les Allemands :
« Les trois plus grands peuples d’Occident, les gardiens de la civilisation s’acharnent à leur ruine et appellent à la rescousse les Cosaques et les Turcs, les Japonais, les Cinghalais, les Soudanais, les Sénégalais, les Marocains, les Égyptiens, les Sikhs et les Cipayes, les barbares du Pôle et ceux de l’Équateur, les âmes et les peaux de toutes couleurs.
« On dirait l’Empire romain au temps de la Tétrarchie, faisant appel pour s’entredévorer aux hordes de tout l’univers.
« Notre civilisation est-elle donc si solide que vous ne craigniez pas d’ébranler ses piliers ?
« Est-ce que vous ne voyez pas que si une seule colonne est minée, tout s’écroule sur vous ? »
La crise de 1929, avec ces millions de chômeurs en Europe, ces longues queues d’affamés devant les « soupes populaires », ce désespoir qui ronge les sociétés ; ces banques, ces monnaies – le Mark ! – qui s’effondrent, ces tensions internationales qui résultent des politiques économiques choisies – le protectionnisme, le chacun pour soi – poussent à l’affrontement violent.
On écoute ceux qui dénoncent des coupables. C’est un sombre « Moyen Âge » qui commence. Les Juifs – ces financiers, ces profiteurs, ces banquiers, dit-on – sont les boucs émissaires traditionnels, calomniés, menacés.
En Allemagne, le parti nazi de Hitler ajoute à cet antisémitisme la dénonciation du Diktat de Versailles.
Ainsi le nationalisme, le racisme, le désir de revanche, se nourrissent de la crise.
Hitler accuse les « Judéo-bolcheviks », les « richards », « capitalistes de Londres et de Paris ».
Dès son arrivée au pouvoir le 30 janvier 1933, l’Allemagne va quitter la Société des Nations, rejeter les clauses du traité de Versailles, rétablir le service militaire obligatoire, remilitariser la Rhénanie, réclamer le droit pour les Sudètes de quitter la Tchécoslovaquie. Hitler proclame l’union avec l’Autriche (l’Anschluss), conteste la frontière avec la Pologne, réclame le rattachement de Dantzig à l’Allemagne !
Mais en dépit de ses grandes proclamations anticommunistes, il maintient de bonnes relations avec la Russie de Staline.
La France s’interroge. Que faire ? Avec quels alliés ?
Les États-Unis ? Ils sont repliés sur eux-mêmes.
Londres ? Les Anglais sont favorables à une politique d’apaisement avec l’Allemagne.
La Russie de Staline ? Elle a deux fers au feu, entente avec l’Allemagne et négociations avec Paris…
L’Italie de Mussolini ? Elle réclame, comme prix de son alliance, le droit de conquérir l’Éthiopie, pays membre de la Société des Nations !
Faire la guerre, avec pour alliés la Tchécoslovaquie et la Pologne ? Mais l’opinion française est pacifiste. Qui veut mourir pour les Sudètes et pour Dantzig ?
On le veut d’autant moins que la France se brise dans les années trente entre une « gauche » et une « droite » dont l’affrontement est violent.
À gauche, on crie « Le fascisme ne passera pas ».
À droite, on dénonce les « valets de Moscou ».
C’est le Front populaire qui l’emporte aux élections de mai 1936 et la tension s’aggrave.
Léon Blum est le président du Conseil du gouvernement de Front populaire. Les communistes le soutiennent sans participer au pouvoir.
Blum est l’objet d’attaques violentes :