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En outre, l’Italie de Mussolini est décidée à entrer en guerre. « Même si la France offrait à l’Italie, la Tunisie, l’Algérie, et le Maroc de surcroît, Mussolini déclinerait ses propositions. Le Duce a pris sa décision », confirme à l’ambassadeur de Grande-Bretagne le comte Galeazzo Ciano, ministre des Affaires étrangères italien et gendre de Mussolini.

Donc il faudra à la France combattre sur deux fronts ! Et les appels à l’aide lancés par Paul Reynaud à Roosevelt ne suscitent qu’une réponse compatissante, et l’affirmation répétée que les États-Unis ne veulent pas entrer dans la guerre !

Aucun espoir non plus du côté de l’URSS, soucieuse de ne point provoquer Hitler, et espérant le voir s’engluer dans une guerre à l’ouest, qui retarderait d’autant ses ambitions à l’est. Staline sait qu’elles dévorent le Führer, mais plus tard l’antagonisme éclatera et mieux cela vaudra pour l’URSS !

Ainsi, l’ombre de la défaite s’étend sur la France.

La décision est prise d’évacuer les réserves d’or de la Banque de France, une partie vers le Maroc, une autre vers le Canada, le reste sera transféré à Brest, et de là ultérieurement au Canada.

Car Paris est désormais une ville exposée.

Le lundi 3 juin, la Luftwaffe a largué plus de mille bombes sur les usines Renault, et sur un cantonnement à Versailles. On dénombre 200 victimes, dont 45 morts. Attaque limitée, mais chacun a en mémoire les bombardements terroristes sur Varsovie et Rotterdam. Le général Hering, gouverneur militaire de Paris, a averti Paul Reynaud :

« La défense de Paris ne peut être que symbolique. Entre l’ennemi et la capitale, il n’y a pas un seul obstacle militaire important. Je suis absolument démuni ; je manque de troupes et d’explosifs. Je manque même tout bonnement d’un PC et j’ai demandé au président Herriot de bien vouloir m’autoriser à réquisitionner celui du Palais-Bourbon… »

Il faut envisager en ces premiers jours de juin le départ du gouvernement de Paris et sans doute la déclaration de la capitale « ville ouverte » qui ne serait donc pas défendue, mais « livrée » à l’ennemi.

Ce lundi 3 juin, de Gaulle écrit à Paul Reynaud avec l’autorité que lui confèrent ses succès à Montcornet, à Abbeville, sa citation à l’ordre de l’armée, et sa lucidité sur la guerre nouvelle, dont Paul Reynaud sait qu’elle remonte aux années trente.

« Monsieur le Président,

« Nous sommes au bord de l’abîme et vous portez la France sur votre dos, écrit de Gaulle. Je vous demande de considérer ceci… »

De Gaulle ne mâche pas ses mots et s’exprime avec la force de conviction que lui dictent les circonstances.

Il condamne les « hommes d’autrefois » auxquels Reynaud a fait appel !

« Le pays sent qu’il faut nous renouveler d’urgence. Il saluerait avec espoir l’avènement d’un homme nouveau, de l’homme de la guerre nouvelle. »

« Sortez du conformisme, des situations acquises, des influences d’académie. Soyez Carnot ou nous périrons. Carnot fit Hoche, Marceau, Moreau… »

De Gaulle veut être l’un de ceux-là.

Et il ne se contentera pas d’un poste subalterne, sans responsabilités.

« J’entends agir avec vous mais par moi-même. Ou alors c’est inutile et je préfère commander.

« Si vous renoncez à me prendre comme sous-secrétaire d’État, faites tout au moins de moi un chef – non point seulement d’une de vos quatre divisions cuirassées – mais bien du corps cuirassé groupant tous ces éléments. Laissez-moi dire sans modestie, mais après expérience faite sous le feu depuis vingt jours que je suis seul capable de commander ce corps qui sera notre suprême ressource. L’ayant inventé, je prétends le conduire. »

En ces premiers jours de juin 1940, certains parlent vrai, abattent vigoureusement leurs cartes, mais d’autres dissimulent leurs objectifs.

Ceux-ci souhaitent la capitulation, l’armistice, et en fait l’accord avec Hitler, la collaboration entre l’Allemagne et une France nouvelle, qui naîtrait d’une révolution nationale.

Ceux-ci – Pétain, Weygand, Laval, Baudouin – comptent sur le désarroi, le désespoir de ce peuple qui fuit sur les routes de l’exode, humilié, stupéfait, affolé, mitraillé, et les avions laissent une traînée de corps et de sang après chacun de leurs passages.

Ceux qui parlent vrai, de Gaulle, Churchill ne dissimulent rien.

Ils font appel à l’énergie et au courage.

Pas de complaisance ni de lamentations. Ils affrontent vent debout les événements, la tempête qui semble devoir tout emporter.

De Gaulle vient d’écrire à Paul Reynaud, sans inutile « modestie ».

Churchill, le mardi 4 juin, évoque à la Chambre des communes l’évacuation réussie, au-delà de toute attente, des troupes encerclées à Dunkerque.

Le Premier Ministre serre le pupitre à pleines mains. Il est comme une figure de proue, qui pénètre la vague.

« Nous devons bien nous garder de considérer cette délivrance à Dunkerque comme une victoire ; les guerres ne se gagnent pas par des évacuations… »

Il se redresse, son corps comme une masse indestructible :

« Nous nous battrons en France, reprend-il, nous nous battrons sur les mers et sur les océans, nous nous battrons dans les airs avec une confiance et des moyens sans cesse croissants. Nous défendrons notre île à n’importe quel prix. Nous nous battrons sur les terrains d’atterrissage, nous nous battrons dans les champs et dans les rues ; nous nous battrons dans les collines. Jamais nous ne nous rendrons ! Et même si notre île ou une grande partie de celle-ci devait se trouver conquise et affamée – ce que je ne crois pas un seul instant – alors notre empire d’outre-mer, armé et protégé par la flotte, poursuivrait la lutte, jusqu’à ce que Dieu fasse que le Nouveau Monde, avec toutes les ressources de sa puissance, avance pour secourir et libérer l’Ancien. »

Il se rassoit au milieu des applaudissements et des vivats. Des députés travaillistes pleurent.

Churchill se penche et murmure à son voisin :

« Et nous nous battrons avec des tessons de bouteille, parce que c’est fichtrement tout ce que nous avons ! »

Paul Reynaud a reçu le texte du discours de Churchill. Il est convaincu que l’Angleterre ne cédera jamais, l’énergie du Premier Ministre britannique est contagieuse.

Le mercredi 5 juin, Reynaud décide de remanier son gouvernement, d’en évincer Daladier. Il prend en charge le ministère des Affaires étrangères, mais il nomme sous-secrétaire d’État au Quai d’Orsay ce Paul Baudouin favorable à l’armistice et proche de Pétain.

Reynaud, une fois encore, ne va pas jusqu’au bout, conservant Pétain et, au haut commandement, Weygand.

Mais, sensible aux arguments de De Gaulle dont il a lu et relu la lettre du lundi 3 juin, il accède à ses demandes : le général de Gaulle sera sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre, chargé des relations avec la Grande-Bretagne, pour préparer la continuation de la guerre en Afrique du Nord.

Reynaud a dû passer outre à l’hostilité de Weygand.

« Quel grief avez-vous contre lui ? a-t-il demandé à Weygand.

— C’est un enfant », répond le généralissime.

De Gaulle a bientôt cinquante ans.

Il vient d’apprendre par la radio la nouvelle de sa nomination. C’est l’instant du destin.

Il rassemble les officiers de sa division qui l’attendent au garde-à-vous. Il serre la main de chacun d’eux.