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Et puis tout à coup, on quitte la route et cette artère du désespoir, on entre dans un univers qui semble hors du temps. C’est la cour du château du Muguet, à Briare, où doit se tenir la réunion du Conseil suprême allié.

Il est 19 heures ce mardi 11 juin.

Les nouvelles sont accablantes. Il n’y a presque plus d’armée. Les Allemands sont à Dieppe, à Rouen, ils roulent vers Cherbourg. Ils ont pris Reims et Épernay.

La salle à manger du château est devenue salle de conférence.

Pétain toise de Gaulle.

« Vous êtes général, dit le Maréchal, d’une voix sèche. Je ne vous en félicite pas. À quoi bon les grades dans la défaite ?

— Mais vous-même, monsieur le Maréchal, c’est pendant la retraite de 1914 que vous avez reçu vos premières étoiles ? Quelques jours après, c’était la Marne. »

Weygand commence son exposé de la situation militaire.

« On se trouve sur une véritable lame de couteau, dit-il. C’est une course contre l’épuisement des troupes françaises qui sont sur le point de ne plus en pouvoir et sur l’essoufflement de l’ennemi. »

Weygand, le visage parcheminé, répète : « C’est bien légèrement que l’on est entré en guerre. » Il reproche aux Anglais de ne pas avoir apporté une aide suffisante.

Churchill s’insurge, invite à défendre Paris rue par rue, à transformer la France en un terrain de guérilla.

« Tout cela n’a plus de sens », lance Weygand.

On s’interrompt à 21 h 30.

On dîne. De Gaulle est assis à côté de Churchill.

« En 1918, dit Pétain au Premier Ministre, je vous ai donné quarante divisions pour sauver l’armée britannique. Où sont les quarante divisions anglaises dont nous aurions besoin pour nous sauver aujourd’hui ? »

Le Maréchal a remis discrètement une note à Paul Reynaud, où il affirme, une nouvelle fois mais avec encore plus de fermeté, que la France doit demander l’armistice.

Le lendemain, mercredi 12 juin, le Conseil suprême allié reprend ses travaux à 8 heures.

Dans la nuit, les unités allemandes motorisées ont parcouru parfois 100 kilomètres.

Elles sont à faible distance de Chartres. Elles pénètrent dans la banlieue parisienne.

Churchill répète que l’Angleterre continuera à se battre.

« Si vous avez perdu la confiance en vous-même, fiez-vous à nous et à notre résolution », martèle-t-il.

Il attire à part l’amiral Darlan.

« Il ne faudra jamais laisser les Allemands s’emparer de la flotte française », insiste-t-il.

Et la promesse solennelle de Darlan ne le rassure pas.

On se sépare après deux heures de discussion.

Et, à la fin de l’après-midi de ce mercredi 12 juin, au château de Cangé, où réside le président de la République, se tient le premier Conseil des ministres à siéger hors de Paris.

De Gaulle s’est rendu à Brest, pour tenter de mettre en place le « réduit breton », dont Weygand et Pétain ne veulent pas !

Ce qu’ils veulent, c’est l’armistice, en finir avec cette guerre.

Ils renoncent ainsi à bombarder les ports italiens – à l’exception d’une attaque sur Gênes –, de crainte de représailles, alors même que les avions du Duce s’en prennent à Toulon, à Calvi, à Bastia.

Et au fil des heures, l’avance allemande le long de la côte atlantique, en Champagne, vers la vallée du Rhône s’accentue. Les blindés de Guderian sont à Langres, ils encerclent Paris qui, ville ouverte, sera occupé dans quelques heures.

De Gaulle s’indigne, songe pour la première fois à quitter le gouvernement, à reprendre un commandement qui lui permettra de combattre.

Il retrouve Paul Reynaud dans l’un de ces innombrables châteaux des pays de Loire, le château de Chissay.

Reynaud arrive du Conseil des ministres. On dîne debout.

Le président du Conseil assure qu’au Conseil, la grande majorité des ministres s’est opposée à la proposition d’armistice avancée par Weygand et appuyée par Pétain.

De Gaulle interroge. Où ira le gouvernement puisque l’avance allemande ne peut être arrêtée ?

Reynaud est évasif.

« C’est l’Afrique du Nord ou la Bretagne, dit de Gaulle.

— Peut-être Bordeaux, comme une première étape », suggère Paul Baudouin, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères.

C’est déjà le jeudi 13 juin. De Gaulle est averti qu’une nouvelle réunion du Conseil suprême allié se tient à la préfecture de Tours, où Churchill vient d’arriver.

De Gaulle s’y rend. Il est fasciné par le Premier Ministre britannique, vêtu d’un costume blanc, mâchonnant un cigare, répétant, parlant avec une énergie qui semble indestructible.

« Nous nous battrons jusqu’au bout, n’importe comment, n’importe où, même si vous nous laissez seuls ! » dit-il.

Il évoque la flotte française qui, réaffirme-t-il, ne doit jamais être remise aux Allemands. Et il veut qu’on lui livre les quatre cents pilotes de la Luftwaffe faits prisonniers.

C’est que la guerre va continuer, et les îles Britanniques vont être attaquées.

Il évoque l’accord du 28 mars avec la France.

Si la France ne respecte pas sa parole, sort seule du conflit, « la Grande-Bretagne ne perdra pas son temps en reproches et récriminations. Mais elle ne consentira pas à cette rupture de l’accord du 28 mars ».

Churchill serre les poings, les brandit.

« La cause de la France nous sera toujours chère et si nous gagnons la guerre nous restaurerons la France dans toute sa puissance et sa dignité. »

Ces propos sont à la fois généreux et humiliants.

Mais de Gaulle ne veut pas se laisser détourner du but à atteindre : faire que la France reste dans la guerre, refuser l’armistice, combattre aux côtés des Anglais.

En fin de journée, ce jeudi 13 juin, un deuxième Conseil des ministres se tient au château de Cangé.

« C’est le chœur tumultueux d’une tragédie, près de son terme », juge de Gaulle.

Le gouvernement va quitter les châteaux de la Loire pour Bordeaux. Seule cette mesure ne rencontre pas d’opposition.

Quant aux questions décisives, aucune n’est tranchée.

Pétain, hautain et solennel, rejette toute idée de quitter le territoire français : ce serait pour le gouvernement une désertion. Point d’Afrique du Nord. Et il est impossible d’organiser avec des troupes en pleine débandade un réduit breton.

« L’armistice est une nécessité, elle est la condition de la pérennité de la France éternelle », dit-il.

Weygand, théâtral, annonce qu’on vient de lui annoncer qu’un gouvernement communiste, présidé par Maurice Thorez, le secrétaire général du parti, déserteur par ailleurs, vient de se constituer à Paris.

Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, quitte le Conseil et revient quelques minutes plus tard démentir la nouvelle.

Pétain intervient de nouveau, évoque l’armistice, efface ainsi la manœuvre et le mensonge de Weygand.

« Je resterai parmi le peuple français pour partager sa peine et ses misères », dit-il, ajoutant que « la renaissance française sera le fruit de la souffrance ».

Il est évident que Weygand et Pétain veulent non seulement l’armistice mais aussi le pouvoir.

C’est la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 juin 1940.

De Gaulle vient de terminer sa lettre de démission quand Mandel le convoque à la préfecture de Tours.

Le bâtiment est plongé dans l’obscurité. Mandel, élégant, pâle, le cou serré dans un haut col blanc, parle avec gravité.

« Il y a comme un relent de coup d’État militaire dans les propos de Pétain et de Weygand, dit-il. De toute façon, nous ne sommes qu’au début de la guerre mondiale. »

Il se penche vers de Gaulle :