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Ils préparent leurs arguments. Ils ont combattu les Juifs Blum et Mandel, « traîtres et tartuffes immondes », manifesté leur hostilité à la guerre impérialiste, voulue par la City de Londres.

De son côté, l’ambassadeur allemand Otto Abetz, ardent partisan de la collaboration franco-allemande, est prêt à ces contacts afin d’achever la désorganisation de la nation.

« Les communistes sont en train de devenir antisémites et antimarxistes, écrit le professeur Grimm, l’un de ses conseillers. Dès lors, le jour où ils franchiront le pas vers le national-socialisme n’est plus éloigné. »

Mais ce même lundi 17 juin, à Bordeaux, le dirigeant communiste Charles Tillon, responsable pour toute la région du Sud-Ouest, lance un appel dénonçant Pétain, Weygand, les « politiciens qui maintenant livrent la France ». « Ils ont tout trahi. » Au moment où, à Paris, les responsables du parti communiste rencontrent les nazis, Charles Tillon exalte la lutte contre le fascisme hitlérien.

Ainsi, on pressent que l’appel de Pétain à « cesser le combat » provoque de fait le rapprochement inattendu de tous ceux qui, appartenant à des partis différents – l’Action française ou le parti communiste –, refusent de se soumettre et proclament leur volonté de résister, pour que la « France vive ».

Le gouvernement Pétain craint cette réaction patriotique.

Il veut, dès ce lundi 17 juin, frapper ceux qui peuvent animer ce mouvement.

De Gaulle a déjà été sommé de rentrer en France.

L’ancien ministre de l’Intérieur Georges Mandel est, ce lundi à 13 h 30, arrêté par les gendarmes, alors qu’il déjeune à Bordeaux, au Chapon fin.

Mandel – de son vrai patronyme Louis Rothschild, bien qu’il fût sans lien de parenté avec l’illustre famille – rassemble sur sa tête toutes les haines, celles de l’extrême droite et des communistes. Le nouveau secrétaire d’État, Raphaël Alibert, ne l’appelle que « le Juif ».

On sait que Mandel, ancien collaborateur de Clemenceau, est un patriote intransigeant qui a toujours prôné la résistance à Hitler. Le général Spears lui a proposé de gagner Londres en même temps que de Gaulle. Mandel a refusé. Il approuve de Gaulle mais sa place à lui est en France. Il ne faut pas qu’on identifie le refus de l’armistice à son nom, trop honni.

Dans l’entourage de Pétain, on le hait donc et on le craint. Son arrestation a été décidée dès le dimanche 16 juin. C’est l’une des premières décisions gouvernementales. Mandel est accusé par un journaliste d’extrême droite d’organiser un complot « dans le dessein d’empêcher l’armistice ». Il aurait, selon cette dénonciation faite au Bureau central du renseignement, décidé, en compagnie du général Buhrer, inspecteur des troupes coloniales, de faire assassiner les membres du nouveau gouvernement.

Le président de la République, des ministres, protestent auprès de Pétain qui cède, fait libérer Mandel, le reçoit et accepte même d’écrire sous la dictée de Mandel une lettre d’excuses :

« Cette dénonciation ne reposait sur aucun fondement et avait le caractère d’une manœuvre de provocation ou de désordre. »

Mandel est cinglant :

« Je vous plains, monsieur le Maréchal, d’être à la merci de votre entourage et je plains mon pays qui vous a pris pour chef. »

« Je souhaite vivement que cette malheureuse affaire n’ait pas d’autre suite », écrit Pétain.

En fait, elle souligne la rupture avec la démocratie et les intentions du gouvernement Pétain : cesser le combat et changer de régime politique.

À Londres, de Gaulle le sait.

Ce lundi 17 juin, en fin d’après-midi, il se rend auprès de Churchill.

« À quarante-neuf ans, écrit-il, j’entre dans l’aventure comme un homme que le destin jette hors de toutes les séries. »

Pour de Gaulle, Churchill est l’allié naturel, celui qui ne cédera jamais.

Et le Premier Ministre britannique a besoin de montrer à son opinion publique qu’à Londres se retrouvent tous ceux qui veulent résister à Hitler : Tchèques, Polonais, Norvégiens, Néerlandais, Belges, et naturellement les Français. Ce de Gaulle, au nom qui semble incarner l’Histoire, Churchill l’a perçu comme « l’homme du destin », « jeune et énergique », dit-il, flegmatique, d’une attitude paisible et impénétrable : « voilà le connétable de France ».

Churchill consulte les membres du War Cabinet qui acceptent que de Gaulle puisse s’exprimer sur les antennes de la BBC.

C’est le mardi 18 juin.

Les troupes allemandes s’enfoncent chaque heure plus profondément dans l’épaisseur française. Elles progressent vers Bordeaux que la Luftwaffe survole. Nantes va tomber, les Panzers roulent vers La Rochelle. À l’est, Mulhouse, Belfort, Lons-le-Saunier sont occupés.

Le général Rommel a lancé ses Panzers vers Cherbourg, où les Anglais débarquent leurs dernières troupes.

Les blindés allemands progressent si vite – 400 kilomètres en quelques heures, une distance jamais parcourue au cours d’opérations de guerre – que, raconte Rommel, « un groupe d’officiers britanniques qui revient en voiture d’un bain de mer sont arrêtés et faits prisonniers ».

Dans les villages et les villes traversés, « la foule composée de civils et de soldats est saisie. Elle regarde notre défilé rapide avec curiosité et sans la moindre attitude hostile ».

Rommel signale pourtant « qu’un civil armé d’un revolver court vers la voiture et le vise ». Des soldats français se précipitent et le ceinturent, quant à Rommel et à ses unités ils poursuivent leur route sans même se soucier d’arrêter l’individu.

« Très chère Lu, écrit Rommel.

« Je ne sais pas si je mets la bonne date, j’ai un peu perdu le fil des événements depuis ces derniers jours… La guerre est peu à peu devenue un tour de France éclair. Dans quelques jours, elle sera finie pour tout de bon. Les gens d’ici – Rennes – sont soulagés tout se passant si tranquillement. »

De Gaulle travaille au premier étage gauche d’un immeuble du 8, Seamore Grove, l’appartement de Jean Laurent, son directeur de cabinet, qui lui en a remis les clés le dimanche 16 juin à Bordeaux.

C’était il y a moins de deux jours et de Gaulle, qui a le sentiment d’être entré dans un autre univers, écrit le discours qu’il doit prononcer ce soir à la BBC.

Il donne les feuillets à Geoffroy de Courcel. Celui-ci les dicte, dans une autre pièce de l’appartement, à Élisabeth de Miribel, une amie employée à la mission économique française de Londres, dirigée par l’écrivain diplomate Paul Morand qui a déjà décidé de rentrer en France, de servir le pouvoir légitime du maréchal Pétain.

De Gaulle sait qu’il va connaître la solitude du combattant et que beaucoup – tout peut-être – va dépendre de ces mots qu’il trace de sa haute écriture. Ce n’est pas seulement son destin qui va se jouer, mais celui de la France.

Et c’est aussi du sort de la France que s’entretiennent à Munich, ce mardi 18 juin, Hitler et Mussolini.

Depuis huit jours, les troupes du Duce n’avancent pas, bloquées par la résistance des troupes françaises, cinq fois moins nombreuses, et voici que Hitler évoque déjà l’armistice avec Paris. Il repousse brutalement les demandes de Mussolini qui voudrait occuper la vallée du Rhône, Toulon, Marseille, la Corse, la Tunisie et même Djibouti.

Hitler veut paraître ménager la France afin d’éviter que la flotte française ne se réfugie en Angleterre, et que le gouvernement ne gagne l’Afrique du Nord.

« Il faut un gouvernement français en fonction sur le sol français », dit-il.

« Le Duce, écrit Ciano, le ministre des Affaires étrangères, et beau-fils de Mussolini, voit s’évanouir une fois de plus cet inaccessible rêve de sa vie : la gloire sur le champ de bataille.