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Dans les hôtels où s’entassent tous ceux qui prétendent incarner l’État, comme sur les places ou sur les quais des bords de la Garonne, où dorment des milliers de réfugiés, les uns rencognés dans leurs voitures, les autres à ciel ouvert, c’est la panique.

Il faut que cela finisse !

On assure que les Allemands ont bombardé Bordeaux parce qu’ils ont appris que le gouvernement, présidé par Pétain, avait décidé de quitter la ville, menacée par les Panzers qui seraient à La Rochelle.

Le président de la République – Lebrun –, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat – Herriot et Jeanneney – ont emporté la décision.

Le gouvernement se replierait à Perpignan où l’on est déjà en train de préparer la résidence du Président de la République.

De là, on pourrait gagner l’Afrique du Nord, Oran, Alger, continuer la guerre. Et Pétain a accepté cela !

Les bombes allemandes sur Bordeaux martèlent le refus du Reich et sa volonté : armistice, capitulation, défaite, reddition de toutes les autorités, installation d’un gouvernement sur la partie non encore occupée de la France.

Pas question de gagner Perpignan, l’Algérie ou le Maroc.

Pierre Laval est arrivé à Bordeaux.

Son ami Marquet, maire de la ville, a mis à sa disposition des bureaux dans l’hôtel de ville.

Laval rassemble ceux des parlementaires qui, depuis les années trente, se reconnaissent dans cet homme ambitieux, qui incarne la volonté de s’entendre avec l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.

Laval est déterminé à empêcher le départ du gouvernement vers l’Afrique du Nord.

Or, il apprend que des parlementaires – ceux qui veulent continuer la lutte, Mandel, Jean Zay, Mendès France, ces jeunes radicaux qui ont soutenu le gouvernement de Front populaire et dont certains portent leur uniforme – ont embarqué sur le paquebot Massilia, qui est ancré au Verdon, à l’embouchure de la Garonne, parce que la rivière plus en amont a été minée.

C’est l’amiral Darlan lui-même qui a mis ce navire à leur disposition « en accord avec le gouvernement et les présidents des deux Chambres ».

À l’embarquement, l’équipage du Massilia a insulté les députés, certains auraient même été giflés.

Les marins les accusent de « fuir », d’abandonner le pays.

Pétain, lui, ne part pas !

Fuyards, lâches, vendus aux Anglais, Juifs : les insultes fusent.

Et Laval a l’oreille fine. Le Massilia, ce peut être le piège pour ces députés hostiles à l’armistice. Leur départ, pour continuer la guerre, deviendra la tache du déshonneur s’il est présenté comme un abandon du pays.

Et c’est partie gagnée quand Laval obtient du maréchal Pétain que le gouvernement retarde son départ vers Perpignan et l’Afrique du Nord de quelques jours.

On assure au président de la République que les Allemands n’ont pas traversé la Loire, qu’ils ne menacent pas Bordeaux.

Lebrun accepte de surseoir au départ. Jeanneney et Herriot, déjà, reviennent à Bordeaux.

Le Massilia a appareillé, mais c’est désormais, pour ceux qui sont à bord, une prison, et le signe de leur lâcheté et de leur infamie.

Les Français souffrent, sent encore écrasés sous les bombes et les chenilles des Panzers, et ces lâches prêchent la continuation de la guerre… avec la poitrine des autres !

Pendant ce temps, Rommel poursuit sa chevauchée :

« Très chère Lu, écrit-il en ces jours de la fin juin 1940.

« Nous sommes maintenant à moins de 320 kilomètres de la frontière d’Espagne et nous espérons aller droit jusque-là, de façon à prendre tout le littoral de l’Atlantique entre nos mains.

« Que tout cela a été merveilleux ! »

La Loire, contrairement aux mensonges des ministres de Pétain favorables à l’armistice, a été franchie partout par les troupes allemandes.

Les cadets de Saumur du colonel Michon sont morts en héros, pour la gloire, submergés par les divisions de Panzers.

Les Allemands sont à Cholet, à Clermont-Ferrand, à Vienne, à Montbrison. Ils atteignent La Rochelle. Ils sont à Royan, et à Poitiers. À Thiers, à Montluçon, à Châteauroux, à Angoulême.

Que faire ?

C’est toujours le dilemme, rester debout ou se coucher, se battre ou se rendre.

« Nous nous sommes levés pour sauver la France », dit Daniel Cordier à la poignée de ses camarades qui ont réussi à embarquer à Bayonne, sur un navire belge, le Léopold II, qui appareille pour le Maroc, puis changera de cap et rejoindra l’Angleterre.

Ceux qui partent ainsi – jeunes officiers, marins-pêcheurs de l’île de Sein étudiants – ont parfois entendu l’appel du 18 juin, ou ont su « qu’un certain général » au nom étrange – Gaulle, de Gaulle – continuait le combat aux côtés des Anglais et invitait ceux qui voulaient « résister », à le rejoindre.

Ainsi, entre Pétain et de Gaulle, en cette fin juin 1940, dans ces six jours cruciaux du jeudi 20 au mardi 25 juin, la guerre des voix est engagée.

Il y a eu le lundi 17 juin le discours du Maréchal de quatre-vingt-quatre ans, à la voix chevrotante.

Il y a eu l’appel du 18 juin du général qui n’aura cinquante ans qu’en novembre.

Qui l’emporte ?

L’un dit : je suis à vos côtés. Je fais don de ma personne et de ma compassion.

L’autre répond : la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. La France a perdu une bataille mais n’a pas perdu la guerre.

L’un berce, console et réprimande, invite à la prière, au repentir.

L’autre réveille, serre les poings, entraîne, appelle à ramasser le tronçon du glaive.

Qui incarne la France ? Qui doit-on écouter ?

De Gaulle partagé entre l’amertume et la colère, lit l’article que l’académicien François Mauriac, bonne conscience de centaines de milliers de lecteurs, publie dans Le Figaro du mercredi 19 juin :

« Le 17 juin, après que le maréchal Pétain eut donné à son pays cette suprême preuve d’amour, les Français entendirent à la radio une voix qui leur assurait que jamais la France n’avait été plus glorieuse. Eh bien non ! Il ne nous reste d’autre chance de salut que de ne plus jamais nous mentir à nous-mêmes ! »

De Gaulle s’indigne d’autant plus que l’appel à « cesser le combat » lancé par le maréchal Pétain, alors que rien n’a été signé avec les Allemands, incite les soldats français à déposer les armes, à se rendre, à partir en longues étapes, à pied, vers les camps de prisonniers.

Combien sont-ils – un million ? –, victimes de ces quelques mots du glorieux Maréchal ?

Et ceux qui se battent encore ce jeudi 20 juin sont souvent traités par les Allemands de « partisans » et non de soldats appartenant à une unité régulière.

Ces « résistants » sont abattus d’une rafale de mitrailleuse, d’une balle dans la nuque, leurs corps broyés sous les chenilles des chars.

Certains, isolés, accomplissent les premiers actes de sabotage. Ils coupent les lignes téléphoniques, incendient un véhicule militaire.

L’un d’eux – le premier résistant ? –, Étienne Achavanne, le jeudi 20 juin, est arrêté pour avoir à Rouen sectionné les lignes de communication entre la Feldkommandantur et le terrain d’aviation de Boos. Déféré devant une cour martiale, il sera exécuté.

Ce même jour, jeudi 20 juin, Pétain s’adresse pour la deuxième fois aux Français. Sa voix est déjà devenue familière.