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« J’ai demandé à nos adversaires de mettre fin aux hostilités, commence-t-il. Le gouvernement a désigné mercredi les plénipotentiaires chargés de recueillir leurs conditions.

« J’ai pris cette décision, dure au cœur d’un soldat, parce que la situation militaire l’exigeait… Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop peu d’alliés, voilà les causes de notre défaite ! »

De Gaulle s’insurge lorsqu’il lit le texte de ce discours.

La vérité est qu’il n’y avait pas de déséquilibre des forces entre la France et l’Allemagne – autant d’avions et de chars, de part et d’autre –, mais qu’un abîme séparait l’aveuglement des chefs militaires français de la lucidité et de l’invention des jeunes généraux allemands.

Guderian – et d’abord Hitler – avait lu de Gaulle, théoricien de l’emploi des chars.

Mais Pétain veut effacer les fautes de l’état-major.

« Depuis la victoire de 1918, dit-il, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort, on rencontre aujourd’hui le malheur.

« Les coupables sont les Français et les hommes politiques qui les ont conduits. »

Pétain incarne la vertu !

« J’ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et resterai avec vous dans les jours sombres… »

Le lendemain, vendredi 21 juin, la délégation française chargée de négocier et de signer l’armistice, conduite par le général Huntziger, est arrivée à Paris. Elle repart pour une destination inconnue, encadrée par des Allemands qui ne parlent pas.

Ce vendredi 21 juin, à 20 h 30, le général Weygand, ministre de la Défense, reçoit à Bordeaux un coup de téléphone de Huntziger.

« Je suis dans le wagon, dit Huntziger.

— Mon pauvre ami », répond Weygand.

C’est dans le vieux wagon-lit du maréchal Foch, celui-là même où les généraux allemands ont été contraints, le 11 novembre 1918, d’accepter l’armistice, que Hitler a choisi de forcer les Français à reconnaître leur défaite.

Le mercredi 19 juin, les soldats allemands du génie ont démoli les murs du musée où se trouvait le wagon. Ils ont tiré le wagon jusqu’à cette clairière de Rethondes au cœur de la forêt de Compiègne, là où il stationnait le 11 novembre 1918 à 5 heures.

Ce vendredi 21 juin 1940 est une journée ensoleillée, qui donne aux arbres séculaires – ormes et chênes – la majesté d’une forêt de colonnes, soutenant le ciel.

À 15 h 15 précises, Hitler arrive dans sa grosse Mercedes, accompagné de Goering, Keitel, Ribbentrop, Hess. Ils marchent lentement dans les allées ombragées, passent devant la statue de l’Alsace-Lorraine qu’on a recouverte de drapeaux à croix gammée afin de cacher l’épée s’enfonçant dans l’aigle prussien.

Ils s’arrêtent pour lire l’inscription gravée dans un bloc de granit au centre de la clairière de Rethondes :

« Ici, le 11 novembre 1918, succomba le criminel orgueil de l’Empire allemand vaincu par les peuples libres qu’il avait essayé de conquérir. »

Hitler et tous les dignitaires nazis la lisent lentement.

« J’observe l’expression de Hitler, note le journaliste américain William Shirer.

« Je le vois avec mes jumelles comme s’il était en face de moi. Son visage est enflammé de mépris, de colère, de haine, de vengeance et de triomphe… Soudain, comme si son visage n’exprimait pas complètement ses sentiments, il met tout son corps en harmonie avec son humeur. Il fait claquer ses mains sur ses hanches, arque les épaules, écarte les pieds. C’est un geste magnifique de défi, de mépris brûlant pour ce lieu, pour le présent et pour tout ce qu’il a représenté pendant les vingt-deux années durant lesquelles il attestait de l’humiliation de l’Empire germanique. »

Dans le wagon, Hitler s’installe dans le fauteuil qu’occupait Foch. Cinq minutes plus tard, la délégation française, conduite par le général Huntziger, entre à son tour dans le wagon.

C’est le jour de la revanche allemande et de l’humiliation française.

« Les conditions de l’armistice, comme le dit Huntziger, sont pires que celles imposées en 1918 à l’Allemagne. »

Après un échange téléphonique avec Bordeaux, une tentative pour obtenir quelques concessions, Huntziger signe l’armistice le samedi 22 juin à 18 h 50. Mais il n’entrera en vigueur qu’après qu’un armistice aura été signé à Rome avec les Italiens.

Les Français n’ont pas à livrer leur flotte de guerre aux Allemands. Les navires seront désarmés et resteront dans les ports français sous contrôle allemand et italien.

Le gouvernement Pétain obtient quelques garanties concernant l’obligation de livrer les réfugiés politiques allemands. Mais il s’apprête déjà à remettre aux nazis deux anciens ministres socialistes et le magnat de la Ruhr, Fritz Thyssen, qui avait conseillé aux Alliés l’opération contre la route du fer en Scandinavie.

Les frais des troupes d’occupation – il y a une zone libre et une zone occupée – sont à la charge du gouvernement français. La France est humiliée, asservie, pillée.

L’armistice – après négociation avec les Italiens le 24 juin – entrera en vigueur le mardi 25 juin à 0 h 15.

Dès le samedi 22 juin, les clauses de l’armistice sont connues à Londres.

Churchill s’indigne : les navires français de la flotte de guerre resteront dans les ports contrôlés par les Allemands et les Italiens, qui s’engagent à ne pas s’en emparer ! Mais comment peut-on croire Hitler et Mussolini ?

Comment faire confiance à un gouvernement français qui avait promis d’envoyer en Angleterre les quatre cents pilotes de la Luftwaffe qu’il détenait, et qui s’était engagé, le 28 mars, à ne pas conclure d’armistice ou de paix séparés ? Et qui n’a pas tenu parole !

À 11 heures, ce samedi 22 juin, Churchill intervient à la BBC, sachant que Radio-Londres commence à être très écoutée en France.

Il est brutal et clair :

« Le gouvernement de Sa Majesté ne peut pas croire que ces conditions auraient été acceptées par n’importe quel gouvernement français en possession de sa liberté, de son indépendance, et de l’autorité constitutionnelle. Non seulement le peuple français sera tenu assujetti mais forcé de travailler contre ses alliés.

« Que les Français qui le peuvent aident l’Angleterre dans son combat ! »

En outre, Churchill décide d’ouvrir les micros de la BBC à de Gaulle qui lui ont été fermés tant que les Anglais espéraient que le gouvernement Pétain résisterait, sur la question de la flotte de guerre, aux pressions allemandes.

Pétain a, en fait, cédé, et seulement sauvé les apparences.

Alors de Gaulle parle, et sa voix, maintenant, aura plus d’écho qu’elle n’en a eu les 18 et 19 juin.

Il est 18 heures ce samedi 22 juin.

Les ponts sont coupés entre de Gaulle et le gouvernement français.

On met de Gaulle à la retraite pour insubordination, et puisque pointe déjà le délit de la trahison, de Gaulle est menacé d’arrestation et de traduction devant un tribunal militaire.

Mais sa voix ne tremble pas, elle est dure comme un couperet. Il dit :

« Un gouvernement de rencontre, cédant à la panique, après avoir demandé l’armistice connaît les conditions de l’ennemi… Cet armistice est non seulement une capitulation mais un asservissement.

« L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur du pays, de la Patrie commandent à tous les Français libres de continuer le combat là où ils seront et comme ils pourront. »