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Il le dit à un jeune homme au visage émacié, Maurice Schumann, qui était journaliste à L’Aube, un quotidien catholique et social. Schumann s’est embarqué pour l’Angleterre à Saint-Jean-de-Luz. Il veut continuer le combat.

L’essentiel, expose de Gaulle, ce lundi 1er juillet, c’est que Hitler ne réussisse pas à vaincre l’Angleterre et donc qu’il ne parvienne pas à débarquer.

« S’il avait dû venir, il y serait déjà ! Vous avez lu Mein Kampf ? Hitler sera donc conduit à attaquer l’Union soviétique et il se perdra dans une nouvelle campagne de Russie, et la guerre germano-soviétique donnera à cette guerre sa dimension planétaire, comme ce fut le cas pour la précédente. Je veux dire que l’Amérique entrera dans la guerre… Puisque la guerre est un problème terrible mais résolu, il ne reste plus qu’à ramener du bon côté non pas des Français mais la France ! »

À Vichy, où le gouvernement Pétain s’installe, on ne regarde pas au loin ! On imagine la guerre finie, l’Allemagne victorieuse. On se soucie d’abord de se partager les hôtels.

Pétain, Laval, et le ministère des Affaires étrangères s’installent à l’hôtel du Parc.

Les parlementaires, qui sont convoqués pour la réunion en Congrès des deux Chambres, le mercredi 10 juillet, seront au moins sept cents, logeront à l’hôtel Majestic.

Mais Vichy, dès ce premier jour de juillet, est surpeuplé, grouille d’ambitieux, de journalistes, d’escrocs, de financiers, d’industriels, de toute cette faune qui vit dans la proximité du pouvoir et en tire argent – par la distribution des prébendes, des fonds secrets – et honneurs.

Les hôtels sont bondés, la mairie embouteillée.

On couche pêle-mêle sur la paille, dans les bâtiments du concours hippique. On colporte les rumeurs. On se presse dans le hall de l’hôtel du Parc afin de tenter d’apercevoir le maréchal Pétain, droit, presque guindé, sa canne à la main, son visage rose et ses yeux clairs, ou Pierre Laval, le teint foncé, le poil noir, petit et râblé, sorte de silhouette de maquignon retors.

Il n’a qu’un seul but – c’est cela son « horizon » dans la Nouvelle Europe allemande –, faire voter par le Congrès des deux Chambres (Sénat et Chambre des députés réunis) l’abolition de la Constitution de la IIIe République.

Laval prend toutes les précautions afin de rassembler une majorité.

Des « gros bras » arrivent à Vichy pour intimider les parlementaires qui seraient réticents. Le Congrès doit se réunir sous la pression de la « rue », vivre dans l’inquiétude et même la peur.

Quant aux députés embarqués à Bordeaux sur le Massilia, on les a conduits à Alger. Ils tempêtent, exigent leur rapatriement en métropole, invoquent leur droit à participer à la réunion du Congrès, le 10 juillet. Mais le gouvernement s’y refuse. Ce sont des opposants déterminés. On les retient à Alger en dépit de leurs protestations.

Ce lundi 1er juillet, Laval est donc tout entier engagé dans la préparation de sa manœuvre politique à laquelle il veut donner une apparence de légalité.

Il ne se soucie pas des informations qui commencent à circuler sur les intentions anglaises de déclencher dans les prochains jours – peut-être les prochaines heures – l’opération dite Catapult, destinée à « neutraliser » la flotte de guerre française, afin d’empêcher les Allemands de s’en emparer.

Churchill, depuis la signature de l’armistice, est persuadé que l’article 8 de l’accord, accepté par les Français, laisse en fait les mains libres aux troupes de Hitler. Cet article 8 prévoit que la flotte française « sera rassemblée dans les ports à désigner pour y être démobilisée et désarmée sous contrôle allemand et italien ».

Churchill n’est pas homme à croire en la parole de Hitler !

Et cette question du sort de la flotte française l’obsède depuis le 10 juin, quand il a pressenti la défaite française. Il craint, si les Allemands s’emparent de la flotte, « d’exposer la Grande-Bretagne à des dangers mortels et de lourdement compromettre la sécurité des États-Unis ».

Et puis un ultimatum, un coup de force, une rupture violente avec le gouvernement Pétain-Laval proclameraient aux yeux du monde l’irréductible détermination anglaise.

Et peut-être aussi annihileraient-ils les intentions des quelques politiciens anglais – lord Halifax – tentés de conclure la paix avec Hitler.

Déjà, les navires français ancrés dans les ports britanniques sont bloqués et toutes les démarches et protestations du gouvernement Pétain sont rejetées. L’interdiction d’appareiller est strictement maintenue.

Dans la rade d’Alexandrie, l’amiral Cunningham se voit confirmer l’ordre de bloquer la Force X française de l’amiral Godfroy.

Le lundi 1er juillet, Churchill prend la décision de mettre en œuvre l’opération Catapult dans la nuit du 2 au 3 juillet.

Des commandos entrent en action à l’aube, avec efficacité, habileté et détermination. Dans les ports de Plymouth, Portsmouth, Falmouth, Sherness, ils bondissent sur les ponts des navires français.

Les équipages sont chassés du bord. Les incidents les plus violents ont lieu sur le sous-marin Surcouf. On compte des blessés et un tué.

Les Français sont humiliés, mais l’opération ne devient pas une tragédie.

Il en est de même en rade d’Alexandrie où un accord est conclu entre Français et Anglais.

Mais la tragédie explose, devant Oran, dans la rade de Mers el-Kébir.

Ce mercredi 3 juillet 1940, à 9 h 30, la flotte de l’amiral Somerville – 3 cuirassés, 1 porte-avions, l’Ark Royal, 2 croiseurs, 11 torpilleurs – se présente devant Mers el-Kébir.

Là, sont ancrés et protégés par les batteries côtières d’Oran les joyaux de la marine française, les cuirassés Dunkerque, Bretagne, Strasbourg, Provence, et des contre-torpilleurs. Ils sont commandés par l’amiral Gensoul.

Celui-ci reçoit le commandant Holland – ancien attaché naval anglais à Paris ! – qui lui remet une série de propositions anglaises.

Soit les Français rejoignent les Anglais, dans la lutte contre les Allemands ; soit ils se rendent dans un port britannique, les équipages étant rapatriés ; soit ils gagnent « en notre compagnie » un port français des Antilles où les bâtiments seront démilitarisés, ou confiés aux États-Unis.

« Enfin, conclut l’amiral Somerville, si aucune des propositions ci-dessus n’était acceptée, j’ai reçu du gouvernement de Sa Majesté l’ordre d’employer tous les moyens de force qui pourraient être nécessaires pour empêcher vos bâtiments de tomber entre des mains allemandes ou italiennes. »

Pour l’amiral Gensoul, c’est un ultimatum, qu’il transmet au gouvernement Pétain, omettant la proposition d’un transfert des navires dans un port des Antilles françaises.

Réponse : « Bâtiments français répondront à la force par la force. »

Le mercredi 3 juillet à 13 h 09, l’amiral Darlan annonce à l’amiral Gensoul, en clair, qu’il demande à toutes les forces françaises en Méditerranée de rallier Mers el-Kébir.

Churchill avait envoyé à l’amiral Somerville le message suivant : « Vous êtes chargé de l’une des missions les plus désagréables et les plus difficiles qu’un amiral britannique ait jamais eu à remplir, mais nous avons la plus entière confiance en vous et nous comptons que vous l’exécuterez rigoureusement. »