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Un dernier message est envoyé à 18 h 26, ce mercredi 3 juillet : « Les navires français doivent accepter nos conditions ou se saborder ou être coulés par vous avant la nuit. »

Mais l’amiral Somerville a anticipé l’ordre de Churchill.

À 17 h 54, il a donné l’ordre d’ouvrir le feu.

Les avions de l’Ark Royal bombardent. Les batteries des cuirassés visent les navires français immobiles. Le Bretagne saute et chavire : 900 morts ! Le Dunkerque et le Provence s’échouent. Ils sont achevés par des avions torpilleurs le jeudi 4 juillet.

Un cinquième de la flotte française a été coulé. On dénombre 1 297 tués et 351 blessés !

À Vichy, les ministres sont accablés et remettent leurs décisions au lendemain, jeudi 4 juillet.

À Londres, de Gaulle, prévenu dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 juillet, s’exclame : « C’est un terrible coup de hache dans nos espoirs. »

Il imagine les commentaires des ministres de Pétain, les réquisitoires des journaux, l’émotion et la colère des citoyens français.

De Gaulle s’emporte, et, dans une exclamation chargée de douleur et de colère, il lance :

« Ces imbéciles d’Anglais, ces criminels ! Ils font couler le sang français et ils trouvent encore le moyen d’apporter de l’eau au moulin de la capitulation… Ils ne peuvent pas résister à l’envie d’abaisser la puissance maritime de la France ! »

Puis, après un très long silence, il ajoute :

« Il faut considérer le fond des choses du seul point de vue qui doive finalement compter, c’est-à-dire du point de vue de la victoire et de la délivrance. »

Mais il n’ose avouer cette pensée qui le hante :

« À la place des Anglais, j’aurais fait ce qu’ils ont fait. »

Churchill confie avant de prendre la parole aux Communes, le jeudi 4 juillet dans l’après-midi : « Ce fut la plus pénible et la plus odieuse décision que j’aie eu à prendre. »

Puis il empoigne la tribune et parle d’une voix sourde :

« Lorsqu’un ami et un camarade, aux côtés duquel vous avez affronté de terribles épreuves, est terrassé par un coup décisif, il peut devenir nécessaire de faire en sorte que l’arme qui lui est tombée des mains ne vienne pas renforcer l’arsenal de votre ennemi commun.

« Mais il ne faut pas garder rancune à votre ami pour ses cris de délire et ses gestes d’agonie. Il ne faut pas ajouter à ses douleurs : il faut travailler à son rétablissement.

« L’association d’intérêts entre la France et la Grande-Bretagne demeure ; la cause commune demeure ; le devoir inéluctable demeure. »

L’ensemble des députés se lève pour l’acclamer.

Churchill murmure devant un secrétaire :

« Cette histoire me brise le cœur. »

Les Français sont accablés, comme si l’abîme dans lequel ils sont tombés n’avait pas de fond.

On approuve le gouvernement Pétain d’avoir rompu les relations diplomatiques avec Londres. 1 297 morts, 351 blessés. C’est un massacre !

On apprécie la gravité de Paul Baudouin qui, ministre des Affaires étrangères, répond à Churchill à la radio dans la soirée du jeudi 4 juillet. « À cet acte inconsidéré d’hostilité, le gouvernement français n’a pas répondu par un acte d’hostilité », dit-il.

Pas de guerre contre l’Angleterre donc, mais l’exploitation politique de la tragédie de Mers el-Kébir, l’utilisation de l’émotion, par Laval qui, ce jeudi 4 juillet, en Conseil des ministres, présente son projet de réforme de l’État. Il lit de sa voix rocailleuse :

« Article unique : l’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous la signature et l’autorité du maréchal Pétain, président du Conseil, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes la nouvelle constitution de l’État français.

« Cette constitution devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie. Elle sera ratifiée par les Assemblées qu’elle aura créées. »

À certains ministres qui manifestent quelques réserves, Laval répond qu’il doit rencontrer des sénateurs afin de les informer sur « cette agression et destruction de nos bateaux, sur cet acte impardonnable ».

Comment en un tel moment contester le gouvernement ?

« Nous ne pouvons recevoir des coups pareils sans réagir », conclut Laval.

L’opinion est tout entière écrasée par ce que François Mauriac appelle dans Le Figaro « le dernier coup ».

Il écrit :

« Tout à coup le malheur, le seul auquel nous ne nous fussions pas attendus, les corps de ces marins que chacun de nous veille dans son cœur ! M. Winston Churchill a dressé, et pour combien d’années, contre l’Angleterre une France unanime. »

Et le général Rommel commente la situation devant ses officiers.

« L’état de guerre entre la France et la flotte britannique est un événement sans précédent. Il est salutaire pour la France d’agir aux côtés des vainqueurs. Les conditions de paix lui en seront d’autant plus adoucies. »

À Londres, ce jeudi 4 juillet, lors de la pause de midi, à l’Olympia Hall, parmi les Free French, Daniel Cordier entend les premières rumeurs concernant Mers el-Kébir.

« Cela nous paraît si incroyable que nous mettons ça sur le compte de la cinquième colonne. »

Lorsque la nouvelle est vérifiée c’est la consternation. Les Bretons qui ont presque tous un parent dans la marine sont les plus virulents. Au mieux, on les entend dire : « On a besoin d’eux mais ces Anglais, quels salauds ! »

Daniel Cordier connaît, comme lecteur de Maurras, tous les griefs qu’on peut reprocher aux Anglais, de Jeanne d’Arc à Napoléon ! Mais il estime « sans rien connaître des circonstances, que si la marine française avait rallié l’Angleterre comme c’était son devoir, elle serait aujourd’hui intacte et glorieuse ! Une fois de plus, je maudis Pétain ! ».

21.

Ce « terrible coup de hache » de Mers el-Kébir, de Gaulle en mesure les conséquences dans les jours qui suivent ce qu’il appelle une « canonnade fratricide », un « épisode cruel » et une « odieuse tragédie ».

En quelques jours, ce sont près de 20 000 marins et soldats de tous grades qui, hébergés dans des camps de regroupement en Angleterre, ne répondent pas aux appels des envoyés de la France Libre et choisissent d’être rapatriés.

Ils embarquent à destination du Maroc, sur uns dizaine de paquebots, et l’un d’eux, le Meknès, avec à son bord 3 000 hommes, est torpillé. Cela ne tarit pas le nombre des candidats au départ.

Et parmi ceux qui restent, beaucoup souhaitent servir sous l’uniforme britannique !

De Gaulle ne baisse pas les bras. Il va d’un camp de regroupement à l’autre.

À la base aérienne de Saint Atham, il s’adresse aux 200 aviateurs arrivés de France et d’Afrique du Nord, dont un grand nombre veut s’engager dans la Royal Air Force.

« Deux cents aviateurs sous l’uniforme français sont plus utiles que deux mille ne le seraient sous l’uniforme anglais », dit-il.

C’est des intérêts de la France qu’il s’agit et non de destins individuels.

Il se rend à l’Olympia Hall, où l’attendent les jeunes volontaires.

Daniel Cordier le trouve froid, distant, impénétrable, plutôt antipathique, parlant sans céder à l’émotion.

« Je ne vous féliciterai pas d’être venus : vous avez fait votre devoir, commence-t-il. Quand la France agonise, ses enfants se doivent de la sauver. C’est-à-dire de poursuivre la guerre avec nos alliés. Pour honorer la signature de la France, nous nous battrons à leurs côtés jusqu’à la victoire. Notre armée sera française, commandée par des chefs français. Vous voyagerez beaucoup car il faut que, dans toutes les batailles, le drapeau de la France soit au premier rang. Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin nous vaincrons. N’oubliez jamais l’exemple des Français qui, dans notre Histoire, ont sacrifié leur vie pour la Patrie. »