Le mercredi 10 juillet, les premières attaques aériennes ont eu lieu. Mais la bataille d’Angleterre n’est pas réellement engagée.
« Pourquoi l’Angleterre ne veut-elle pas prendre le chemin de la paix ? » répète Hitler.
Faut-il employer la force pour la contraindre à la paix ?
« Mais, soliloque Hitler, si nous écrasons l’Angleterre militairement, l’Empire britannique se désintégrera et l’Allemagne n’en tirera aucun profit. Avec le sang allemand, nous accomplirons quelque chose dont seuls le Japon, l’Amérique et les autres tireront profit. »
Ce samedi 13 juillet, Hitler écrit à Mussolini, refuse l’offre du Duce de fournir des troupes et de l’aviation italiennes pour l’invasion de l’Angleterre.
« J’ai fait à l’Angleterre tant d’offres d’accord, et même de coopération, écrit-il au Duce, et j’ai été traité avec un tel mépris que je suis maintenant édifié. Tout autre appel à la raison ira au-devant d’un refus, car actuellement ce n’est pas la raison qui gouverne dans ce pays… »
Les Free French, qui vivent désormais parmi les Anglais, comprennent eux que c’est la passion patriotique, la volonté de rester libres et souverains qui habitent Churchill et les Anglais.
Et si des milliers d’Anglais – dont Mme Churchill – acclament, le dimanche 14 juillet, de Gaulle qui, en compagnie de l’amiral Muselier, passe en revue quelques centaines d’hommes – des légionnaires et des fusiliers marins –, c’est parce que de Gaulle et les Français Libres expriment les mêmes sentiments.
« Au fond de notre abaissement, dit de Gaulle, ce jour doit nous rassembler dans la foi, la volonté, l’espérance. »
Dans l’après-midi de ce dimanche de fête nationale, il a invité les « Volontaires » au cinéma New Victoria Theater. La foule, regardant passer ces jeunes hommes qui marchent au pas par rangs de trois, crie « Vive de Gaulle ! Vive la France ! ».
De Gaulle arrive à 14 heures, s’installe au premier rang, enlève son képi puis, seul debout, s’adresse aux « Volontaires » :
« Le 14 juillet, symbole de liberté, est aujourd’hui un jour de deuil pour la France trahie… Je vous ai conviés à fêter notre volonté d’être fidèles à la France. »
« Cet après-midi, écrit Daniel Cordier, présent dans la salle, nous sommes davantage ses enfants que ses soldats.
« Après son discours, nos applaudissements – les premiers à son égard – prouvent que, quels que soient le lieu ou le ton de sa harangue, nous sommes dévoués à une cause que seuls nous avons choisie. Désormais, il l’incarne pour nous. »
SIXIÈME PARTIE
Lundi 15 juillet
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Mercredi 30 octobre 1940
« C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration…
« Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un père ; je vous tiens aujourd’hui le langage du chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France éternelle. »
Maréchal PÉTAIN
mercredi 30 octobre 1940
24.
En ces jours et ces nuits de la mi-juillet de l’an quarante, plus de trois millions de réfugiés peut-être quatre, que l’offensive allemande du mois de mai a jetés sur les routes de l’exode, essayent de rentrer chez eux, l’angoisse dévorant leur cœur, la fatigue, la faim et la soif rongeant leur corps.
Ils découvrent qu’une véritable frontière avec ses postes de contrôle, des soldats allemands qui vous dévisagent, vous obligent à vous aligner, à présenter vos papiers attestant votre identité, votre domicile, partage la France en deux zones.
Au nord de cette ligne de démarcation, la zone occupée sous l’administration allemande représente les trois cinquièmes du territoire.
La zone libre ne couvre que le centre et le sud du pays, et s’étend le long de la Méditerranée.
D’un côté Paris, où les music-halls rouvrent, dont les cafés ont ressorti leurs terrasses.
De l’autre, Vichy, où s’entassent dans les hôtels les services de ce gouvernement dont le maréchal Pétain est le chef.
À Paris, les girls s’exhibent au Palace, au Concert Mayol, aux Folies-Bergère, au Lido, au Casino de Paris.
On lève haut la jambe sur les planches où l’on présente des revues à grand spectacle, Amour de Paris, Voilà Paris, Folies d’un soir…
Le champagne pétille dans les coupes qui s’entrechoquent. Et les spectateurs sont en uniforme feldgrau.
Les occupants ont leurs salles de cinéma, le Rex, le Paris, le Marignan sur les Champs-Élysées et les grands boulevards, leurs hôtels rue de Rivoli.
Tout le quartier de l’avenue Kléber est réservé aux administrations de guerre des occupants.
Partout, des drapeaux à croix gammée, des panneaux de signalisation aux carrefours pour les véhicules allemands qui traversent la capitale.
Le Grand Palais est un immense garage pouvant contenir 1 200 camions ! L’École polytechnique, l’École normale supérieure sont des casernes. Le palais du Luxembourg abrite l’état-major de la Luftwaffe.
Depuis le mercredi 10 juillet, des bombardiers, Heinkel III, Dornier 17, Junkers 88, des chasseurs Messerschmitt 109 et 108, sont dirigés, à partir de ce quartier général où Goering s’est fait aménager une résidence luxueuse, vers les ports du sud de l’Angleterre. Ce ne sont encore que des escadrilles de quelques dizaines d’appareils mais Southampton, Portsmouth, Plymouth sont frappés.
Les navires anglais sont attaqués dans la Manche. Les Spitfire et les Hurricane vont à leur rencontre et des combats s’engagent, puis le ciel s’apaise, comme si le prologue venait de se terminer et qu’on se préparait au lever de rideau sur la grande dramaturgie que sera l’assaut contre l’Angleterre.
Le dimanche 14 juillet, Churchill est intervenu à la radio. La voix est frémissante tant l’énergie qui la porte est puissante. Personne ne peut douter de la résolution de cet homme qui semble né pour affronter cette tempête-là, celle où se joue le sort de l’Angleterre et de son Empire.
« Ici, dit-il, dans ce puissant lieu d’asile qui abrite les documents du progrès humain, ici, entourés de mers et d’océans où règne notre flotte, ici, nous attendons sans crainte l’assaut qui nous menace. Peut-être viendra-t-il aujourd’hui, peut-être viendra-t-il la semaine prochaine, peut-être ne viendra-t-il jamais… Mais que notre inquiétude soit violemment brève ou lente, ou les deux, nous n’accepterons aucun compromis, nous ne consentirons pas à parlementer, nous exercerons peut-être une certaine clémence, mais nous n’en solliciterons pas. »
Ce même jour, de Gaulle écrit dans le premier numéro d’une publication de la France Libre, Quatorze Juillet, qui porte en sous-titre la devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité :
« Il n’y a plus de fête pour un grand peuple abattu… Mais le 14 juillet 40 ne marque pas seulement la grande douleur de la patrie, c’est aussi le jour d’une promesse que doivent se faire les Français. »