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Il faut résister, se battre, vaincre.

« Eh bien, ajoute de Gaulle, puisque ceux qui avaient le devoir de manier l’épée de la France l’ont laissée tomber, brisée, moi j’ai ramassé le tronçon du glaive. »

À Londres, à l’Olympia Hall, le lundi 15 juillet, Daniel Cordier et ses camarades de la 1re compagnie reçoivent uniformes et trousseaux. Le mot « France », brodé en blanc sur fond kaki, doit être cousu sur les manches du blouson britannique.

« Au rapport du soir, la section prend une allure martiale dont nous sommes très fiers. »

Parmi ces jeunes hommes, un « vieux » sergent de trente-cinq ans, professeur, simple, direct, courtois, empreint d’une gentillesse naturelle qui le rend attentif aux autres. Il se nomme Raymond Aron, et Daniel Cordier l’écoute analyser la situation avec une lucidité et une rigueur implacables.

« Il y a un mois que Pétain a demandé l’armistice, dit Aron. Les Allemands occupent la moitié du pays. Nous sommes ici une poignée de volontaires. L’armée française qui stationnait en Grande-Bretagne a rejoint avec armes et bagages le Maroc. Pourtant, c’est ici que se joue l’avenir de la liberté, de la démocratie. »

Cordier est subjugué. La simplicité et le style oral d’Aron transforment les ténèbres en lumière.

« Si Hitler ne débarque pas ici et n’est pas vainqueur cet été, il perdra la guerre, ajoute Aron. Mais la victoire n’est pas pour demain. En attendant, il n’y a pas d’autre voie que de préparer la bataille, ni d’autre issue que la victoire. »

Ce mot de « victoire », à Vichy, autour de Laval et de Pétain, rime avec Allemagne.

Personne ne semble imaginer que le Reich puisse être vaincu par cette Angleterre isolée.

Hitler se prépare à signer un pacte à trois, associant le Japon et l’Italie au Reich.

Toute l’Europe continentale est sous le contrôle de l’armée allemande. La Russie de Staline, si elle élargit son glacis, livre scrupuleusement au Reich produits agricoles et matières premières.

Et les communistes, orchestrés par le Komintern – l’Internationale que dirige Moscou –, appellent à la paix et non à la résistance. À Bruxelles comme à Paris, ils condamnent les « ploutocrates » stipendiés de Londres et juifs, bien entendu.

Ce sont eux les responsables de ce déclenchement de la guerre : Blum et Mandel, Daladier et Reynaud, coupables, et non pas M. Hitler ! Ces propos sont le décalque de la propagande allemande.

À Vichy, on veut donc faire entrer la France dans le nouvel ordre européen que construit autour d’elle l’Allemagne. Et pour cela, il faut en finir avec le « système » républicain, responsable du désastre.

Pétain, Laval, Darlan, Weygand « veulent faire table rase de tout ce que la France a représenté au cours des deux dernières générations », constate un diplomate américain.

Adrien Marquet, le plus proche de Laval, dresse le réquisitoire du régime vaincu.

« C’est une politique néfaste, économique et sociale épuisée qui, au premier choc des armées allemandes, s’est effondrée sur nos têtes. Nous sommes sous les décombres du régime capitaliste libéral et parlementaire. »

Et Baudouin, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, ajoute :

« Nous avons vécu vingt ans d’erreurs et de mécontentement. Nous vivions sous une caricature de démocratie. Depuis des années, la France a vécu sous le régime de la lâcheté et du mensonge… »

C’est à l’hôtel du Parc, situé au centre de Vichy, que s’élabore la politique du gouvernement Pétain.

Le Maréchal dispose au troisième étage d’un bureau et d’une chambre. Dans la pièce voisine, loge l’officier d’ordonnance, le capitaine Bonhomme, jalousé par tous les intrigants, et d’abord par le docteur Ménétrel qui peu à peu deviendra le plus proche des collaborateurs du Maréchal.

Tout ce troisième étage est consacré aux services de la présidence du Conseil.

Au premier étage, est situé le ministère des Affaires étrangères ; et au second, Pierre Laval, vice-président du Conseil. Laval peut ainsi contrôler les allées et venues des uns et des autres. Car l’hôtel du Parc comme l’hôtel Majestic, et tous les lieux investis par le gouvernement Pétain et ses rouages, grouillent d’intrigues.

Gouverner et représenter la France dans ces conditions est une gageure.

Mais Pétain et ses ministres ont la certitude que la paix est proche, et les Allemands ont promis, lors des discussions d’armistice, qu’ils laisseraient le gouvernement s’installer à Paris et à Versailles.

On vit avec cet espoir.

Le soir, Laval rentre chez lui, dans sa propriété de Châteldon.

Pétain, au milieu de l’après-midi, fait une courte promenade dans le parc de l’hôtel. On l’entoure. Il embrasse les enfants. Les femmes pleurent d’émotion en le voyant. Les hommes – presque tous sont d’anciens combattants de 14-18 – se mettent au garde-à-vous. Il est le Père, le Patriarche glorieux, juste, mesuré, mais rigoureux, voire sévère. Il est celui qui dit la vérité.

Un culte s’organise autour de sa personne.

De Gaulle, pour les Free French, a dit Daniel Cordier le 14 juillet, est l’incarnation de la cause de la France.

Mgr Gerlier, cardinal, primat des Gaules, proclame : « Pétain, c’est la France. »

« Quelle faveur de vivre au temps d’un homme dont on sait déjà qu’il dépassera l’Histoire et qu’il entrera d’emblée dans la Légende », écrit René Benjamin, hagiographe du Maréchal.

Paul Claudel, écrivain d’une autre envergure, tresse une ode au Maréchal.

« France, écoute ce vieil homme qui sur toi se penche et qui te parle comme un père.

« Fille de Saint Louis, écoute-le et dis “En as-tu assez maintenant de la politique ?”

« Écoute cette voix raisonnable sur toi qui propose et qui explique

« Cette proposition comme de l’huile et cette vérité comme de l’or… »

Au côté de la silhouette auréolée du Maréchal, apparaît, débraillé, mal rasé, courtaud, le mégot au coin des lèvres, Pierre Laval.

C’est l’image même du « politicien », tel que le caricaturent les militaires qui vénèrent le Maréchal.

Autour de Laval gravitent des journalistes, des affairistes, aux origines incertaines. Comment le Maréchal et le vice-président du Conseil, si différents, pourraient-ils s’entendre durablement ?

Mais Laval semble irremplaçable. Il a, le mercredi 10 juillet 1940, organisé le meurtre de la IIIe République dans les formes d’apparence régulières. Si bien que trente-deux gouvernements étrangers ont immédiatement reconnu l’État français, issu d’un vote et dont la légalité et la légitimité ne peuvent être mises en doute.

Ou alors il faudrait évoquer le coup d’État masqué, la présence des « bandes » dans Vichy, des troupes allemandes à Moulins. Il faudrait déchirer le rideau tendu par la lâcheté, la peur et l’habileté.

Seuls les Français Libres le font.

Mais les États-Unis, l’URSS, le Vatican ont maintenu auprès du nouveau chef de l’État leurs diplomates accrédités. Vichy peut, juridiquement, prétendre qu’il représente la France et qu’il est issu de votes réguliers des Assemblées réunies en conformité avec les lois de la République.

Ce succès parlementaire, Laval se l’attribue. Mais le Maréchal estime que c’est sa personne, sa réputation, son aura qui ont permis de l’emporter. Laval n’a été qu’un valet d’armes ! Et Pétain le chevalier.

Les deux hommes sont ainsi liés et opposés.

Le Maréchal ? Une « potiche », dit à qui veut l’entendre Laval. « Un vieux schnock », ajoute l’entourage du vice-président du Conseil.