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Ils ne sont pas dupes de la propagande allemande qui s’avance, masquée sous des prête-noms français, journalistes à gages ou personnalités qui ont choisi de défendre la collaboration et le gouvernement de Vichy.

Ils entendent Churchill qui déclare le mardi 20 août :

« Si la France gît, prostrée, c’est le crime de ce gouvernement de fantoches. Les Français Libres ont été condamnés à mort par Vichy, mais le jour viendra, aussi sûrement que le soleil se lèvera demain, où leurs noms seront glorifiés et gravés sur la pierre dans les rues et les villages d’une France qui aura retrouvé sa liberté et sa gloire d’antan au sein d’une Europe libérée. »

Churchill exalte ses « héroïques compagnons » devant la Chambre des communes.

Les Français « occupés », « humiliés », retrouvent à entendre le Premier Ministre anglais un peu de leur fierté perdue.

À Vichy, on mesure l’écho de cette « radio anglaise », même si des foules toujours aussi denses et enthousiastes accueillent – à Marseille, à Toulouse – le maréchal Pétain.

Le beau vieillard de quatre-vingt-quatre ans continue d’être l’objet d’un culte, que les hommes de Vichy organisent et entretiennent.

On doit chanter Maréchal, nous voilà dans les écoles.

Il est conseillé d’adhérer à la Légion française des combattants qui rassemble les « poilus » de 14-18. Il est de bon ton d’arborer à la boutonnière la « francisque » qui en est l’emblème et dont la hampe est constituée par le bâton étoilé de maréchal.

Mais cet attachement réel, populaire, à la personne du Maréchal, ne peut suffire à susciter l’adhésion à la politique du gouvernement de Vichy.

On le découvre incapable de s’opposer aux exigences allemandes, au pillage de la nation.

L’outillage moderne des usines est démonté, transporté outre-Rhin. Le docteur Roos, représentant en zone occupée du Front du travail hitlérien, dont la politique prédatrice provoque le chômage, commence à embaucher des ouvriers pour l’Allemagne.

Le docteur Hemmen réclame pour « les frais d’entretien des troupes d’occupation » une indemnité journalière de 20 millions de Reichsmarks, non compris les frais de cantonnement des troupes ! Les sommes réclamées correspondent à l’entretien de 18 millions d’hommes !

Et le docteur Hemmen exige un arriéré de plus de un milliard de Reichsmarks.

Les Français de la zone occupée voient ainsi les Allemands – dont la solde est généreuse – dévaliser les boutiques.

Et de l’amertume et du désespoir, des privations, naît une colère, qu’on refoule, parce qu’on se sent impuissant et qu’on n’ignore pas l’implacable brutalité allemande et nazie.

En ce mois d’août, dans la seule ville de Rennes, un lycéen, une blanchisseuse, deux couturières, un ouvrier ont été condamnés – entre huit jours et trois mois de prison – pour avoir « publiquement offensé » l’armée allemande.

Un tâcheron qui a déchiré des proclamations affichées par la Kommandantur écope de la peine la plus lourde.

À Bordeaux, le mardi 27 août, un homme est fusillé pour avoir montré le poing au passage des troupes allemandes. Il est de nationalité polonaise et se nomme Karp Israël.

Chacun de ces verdicts incite à la prudence, et en même temps pousse à la résistance.

À Marseille, le capitaine Henri Frenay et le lieutenant Chevance se rencontrent au cercle des officiers, et Henri Frenay propose de jeter les bases d’une « armée secrète ».

« J’estime que la première tâche est de se débarrasser du Boche », dit-il.

Ainsi va naître le mouvement de résistance Combat.

À Paris, les ouvriers immigrés, proches des communistes, orientent leur organisation, la Main-d’œuvre immigrée – la MOI –, vers l’action antinazie.

Des individus isolés, anonymes, agissent.

Le mercredi 14 août, des coups de feu sont tirés sur un poste allemand au bois de Boulogne. C’est le premier attentat.

Le même jour, à Royan, un matelot allemand est tué d’un coup de revolver. Peut-être s’agit-il seulement d’une rixe banale, mais le meurtre est imputé par les Allemands aux « terroristes ».

Des câbles utilisés par les Allemands pour leurs transmissions sont cisaillés dans plusieurs villes.

Si ces débuts d’organisation, ces actes « spontanés » se produisent au mois d’août de l’an quarante, c’est que les conséquences de la défaite et de l’occupation produisent leurs effets.

L’Alsace et la Lorraine sont annexées. Les gauleiters Wagner et Bürckel sont nommés à la tête de ces régions, rattachées désormais l’une au Gau de Bade, l’autre à celui de Sarre-Palatinat.

Les mesures de germanisation sont aussitôt appliquées. L’évêque de Strasbourg se voit interdire l’entrée de son diocèse, l’évêque de Metz et le maire de Thionville sont expulsés.

On dit que le Maréchal n’a pu retenir ses larmes en recevant le maire de Metz. Le gouvernement de Vichy est accablé, ne se résignant pas à l’annexion.

Mais Laval, la lèvre lippue, le mégot au coin de la bouche, hausse les épaules :

« L’Alsace et la Lorraine ? dit-il. Deux enfants de divorcés tiraillés depuis toujours par leurs parents, allant constamment de l’un à l’autre. C’est leur sort, nous n’y pouvons plus rien. Le Nord et le Pas-de-Calais ? C’est malheureusement probable qu’ils seront aussi annexés… D’autres départements encore… Si j’arrive à en sauver un ou deux, ce ne sera pas mal. C’est à cela que je travaille. »

En fait, c’est l’idée même de « nation française » qui est remise en cause par la politique allemande.

Les occupants s’intéressent à « l’avenir de la Bretagne ». Des contacts sont noués avec des groupes très minoritaires qui rêvent à l’indépendance ou à l’autonomie. Et la défaite de la République « jacobine » est pour eux aussi une « divine surprise ».

Le samedi 3 août, ils remettent au ministre des Affaires étrangères du Reich un mémoire intitulé Libre Bretagne. Ceux-là ne se reconnaissent ni dans Pétain ni dans de Gaulle. Ils rejettent l’idée de patrie ou de nation françaises, alors que ce qui rassemble les foules autour de Pétain, c’est le sentiment que le vieux Maréchal protège les Français – il est leur bouclier et de Gaulle est le glaive. Il s’agit d’une illusion, mais elle s’est enracinée dès ce mois d’août 1940.

Pétain d’ailleurs dans tous les discours qu’il prononce ou dans les écrits qu’il signe dessine un portrait de la France, de ce qu’elle devrait être, des moyens qu’il va employer pour qu’enfin elle renaisse.

« Épuration de nos administrations, parmi lesquelles se sont glissés trop de Français de fraîche date… », dit-il dans son message radiodiffusé du mardi 13 août.

La voix est toujours chevrotante mais le ton est ferme.

« La France nouvelle réclame des serviteurs animés d’un esprit nouveau, poursuit-il, elle les aura. »

Il prêche « la patience, la forme la plus nécessaire du courage… Aujourd’hui que la France est en proie au malheur véritable, il n’y a plus de place pour les mensonges et les chimères. Il faut que les Français s’attachent à supporter l’inévitable, fermement et patiemment… »

Et il dénonce cette « propagande perfide », celle de ce général de Gaulle qu’il ne nomme jamais, mais dont la haute silhouette hante le texte.

« De faux amis qui sont souvent de vrais ennemis ont entrepris de vous persuader que le gouvernement de Vichy, comme ils disent, ne pense pas à vous, lance-t-il.

« C’est faux.

« Vos souffrances, je les ressens profondément et je veux que tous les Français sachent bien que leur adoucissement est l’objet constant de mes pensées. »