Mais que peut-il face à l’occupant allemand, face à la vigueur et à la clarté des propos du général de Gaulle ?
D’un côté, les soupirs et les admonestations du vieux Maréchal.
De l’autre, l’élan du combattant qui, quand un journaliste anglais l’interroge, répond :
« Je suis un Français libre.
« Je crois en Dieu et en l’avenir de ma patrie.
« Je ne suis l’homme de personne. J’ai une mission et n’en ai qu’une seule : celle de poursuivre la lutte pour la libération de mon pays.
« Je déclare solennellement que je ne suis attaché à aucun parti politique quel qu’il soit, ni de la droite, ni du centre, ni de la gauche.
« Je n’ai qu’un seul but : délivrer la France. »
Quelques semaines plus tard, à la fin août, le Cameroun, le Congo, l’Oubangui-Chari, puis le Tchad rejoignent la France Libre.
Pourquoi ne pas tenter de rallier l’Afrique-Occidentale française et sa capitale Dakar ?
Churchill est séduit par ce projet.
« Il faut que nous nous assurions ensemble de Dakar, dit-il à de Gaulle, c’est capital pour vous, car si l’affaire réussit voilà de grands moyens français qui rentrent dans la guerre. C’est très important pour nous, car la possibilité d’utiliser Dakar comme base nous faciliterait beaucoup de choses dans la dure bataille de l’Atlantique. »
Une force d’intervention est constituée. On y trouve des navires anglais, des soldats appartenant à toutes les nations occupées d’Europe. Il y aura trois avions et quatre cargos français ainsi que 2 000 Français Libres, avec les pilotes de deux escadrilles.
De Gaulle embarque sur le Westernland, un paquebot hollandais transformé en transport de troupes.
On appareille à la fin août. L’entreprise est risquée.
Dans la rade de Dakar, est ancré le cuirassé Richelieu, dont une partie de l’équipage a subi les bombardements anglais à Mers el-Kébir, il y a deux mois. Se rallieront-ils ?
Mais il faut tenter l’aventure. Si l’opération réussit, elle provoquera le basculement de tout l’Empire vers la France Libre, et le mouvement gagnera la métropole, où déjà l’écho de la France Libre s’amplifie.
« J’ai reçu le premier tract gaulliste le jeudi 8 août, raconte une ancienne directrice de journal qui vit à Paris.
« Le texte en est ronéotypé sur une feuille de mauvais papier à lettres, format commercial.
« Dans ce texte, on prie les Français de garder leurs armes, de se réunir en associations secrètes pour créer des cadres de résistance aux autorités occupantes, de faire circuler des tracts qui leur seraient envoyés ultérieurement.
« Dans le coin de la feuille, une croix de Lorraine est dessinée à l’encre.
« Je montrais ce papier et, à cette époque, nous étions si peu habitués à la contrainte que ce tract fut polycopié dans les bureaux de directeurs d’usines et de firmes commerciales puis distribué à leurs employés et ouvriers par leurs soins. Ces directeurs étaient cependant de fervents admirateurs du Maréchal et c’est là un des multiples exemples que l’on peut citer pour montrer la force du mythe : “l’entente Pétain-de Gaulle” que j’ai constatée partout en zone occupée. »
Mais en ce mois d’août, parmi les Français Libres, ceux qui apprennent comme Daniel Cordier le maniement des armes, ceux qui sont passés en revue par de Gaulle accompagné du roi d’Angleterre George VI, ceux qui lisent le premier quotidien France, imprimé à Londres, la condamnation de Pétain est impitoyable.
La plupart des Français Libres partagent la détermination et les analyses du général de Gaulle, telles qu’il les exprime en première page du quotidien France, ce lundi 26 août.
« Aucun Français n’a le droit d’avoir aujourd’hui d’autre pensée, d’autre espoir, d’autre amour, que la pensée, l’espoir, l’amour de la France.
« Mais quoi ? La patrie a succombé sous les armes. Elle ne renaîtra que par les armes.
« Ceux qui voudraient croire ou faire croire que la liberté, la valeur, la grandeur pourraient se recréer sous la loi de l’ennemi sont des inconscients ou des lâches.
« Le devoir est simple et rude. Il faut combattre. »
Comment en douter quand chaque jour et bientôt chaque nuit les Volontaires français voient des nuées d’avions allemands survoler leurs camps à haute altitude.
Toute la journée, des chasseurs Spitfire et Hurricane décollent de l’aérodrome de Farnborough, voisin du camp des Free French.
C’est la bataille d’Angleterre qui commence en ce mois d’août de l’an quarante.
Le mardi 13 août est le « jour de l’Aigle » – Adlertag – choisi par le Reichsmarschall Goering pour lancer à l’assaut de l’Angleterre les trois grandes flottes aériennes, les Luftflotten.
Les deux premières décolleront de leurs bases des Pays-Bas et du nord de la France, la troisième est stationnée en Norvège et au Danemark. Commandées par les généraux Kesselring, Sperrle et Stumpff, elles totalisent au moins 1 300 bombardiers et près de 1 000 chasseurs.
Face à cette énorme puissance, la Royal Air Force ne dispose, au début du mois d’août, que de 800 chasseurs.
Mais les Spitfire et Hurricane sont plus rapides, mieux armés – et leurs pilotes mieux protégés derrière des blindages – que les Messerschmitt 108 ou 109.
Surtout, les radars, les stations de radio au sol, les « saucisses » – ces dirigeables entre lesquels sont tendus à des altitudes différentes des filins d’acier –, les projecteurs, les guetteurs dispersés en des milliers de postes d’observation, les innombrables postes de défense contre avions (DCA) rendent l’espace aérien britannique difficile à pénétrer, périlleux, et souvent mortel pour les assaillants.
L’organisation de la défense est coordonnée par un commandement central, Ground Control.
Le Fighter Command – quartier général – fait décoller les escadrilles de chasse après avoir suivi, minute après minute, à partir des renseignements, les bombardiers de la Luftwaffe.
Le « sol » – ground – guide les chasseurs qui vont provoquer des hécatombes dans les Luftflotten.
C’est ainsi que la « flotte » qui décolle de Norvège et du Danemark n’intervient qu’une seule fois le jeudi 15 août, parce qu’elle perd, en cette seule attaque, le tiers des bombardiers.
Ce jeudi 15 août, le ciel de l’Angleterre est tout entier embrasé par la violence des combats, le nombre d’avions engagés. C’est le jour décisif pour la bataille d’Angleterre.
Churchill, qui suit heure par heure le déroulement des combats et mesure l’ampleur des destructions au sol causées par les bombardiers, déclare, rendant hommage à l’héroïsme des pilotes de chasseurs :
« Jamais, dans l’histoire des conflits humains tant d’hommes n’ont dû tant de choses à un si petit nombre de leurs semblables. »
Les quelques centaines de pilotes de Spitfire et de Hurricane ont tenu entre leurs mains le sort de centaines de millions d’hommes !
Le lendemain, vendredi 16 août, les attaques allemandes sont encore intenses, mais dans les jours qui suivent, le mauvais temps impose une accalmie dans la bataille.