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La Luftwaffe n’aura pas la maîtrise du ciel anglais. C’est le tournant décisif de la bataille d’Angleterre, même si pendant cinquante-sept nuits consécutives Londres fut attaqué en moyenne par 200 bombardiers quotidiennement.

Des quartiers ne sont plus qu’un amas de gravats, de débris de meubles, de poutres calcinées. Des survivants trient et fouillent calmement les décombres, arrachant des objets familiers à la terre et à la poussière.

Le roi, la reine, le Premier Ministre viennent les saluer, et Churchill, mâchonnant son cigare, lève la main, l’index et le majeur écartés, représentant le V de victoire.

« Londres pouvait tenir bon, écrit Churchill. Ses habitants encaissèrent tous les coups et ils auraient pu en supporter encore davantage. À cette époque en fait, nous nous attendions sincèrement à la destruction complète de la capitale. Pourtant, comme je l’indiquai à la Chambre des communes, la loi du rendement décroissant joue en cas de démolition des grandes cités. Beaucoup de bombes ne tomberaient bientôt plus que sur des maisons déjà en ruine et ne feraient sauter que des gravats. Sur de vastes surfaces, il n’y aurait plus rien à brûler ou à détruire, et cependant des êtres humains y auraient encore, çà et là, leurs foyers et continueraient à travailler avec une ingéniosité et une force d’âme sans limite. »

Dès lors que la Luftwaffe ne réussit pas à réduire la chasse anglaise et donc à raser les villes, les usines d’armement, les docks et les quais des ports, personne ne peut plus croire que le moral britannique, la détermination de poursuivre la guerre seraient annihilés.

Dans ces conditions, le débarquement est impossible.

Le mardi 17 septembre, malgré les rodomontades du Reichsmarschall Goering, Hitler remet l’opération Seelöwe à une date indéterminée.

« Il se passe quelque chose d’étrange outre-Manche, dit Hitler après avoir annoncé à ses généraux sa décision. Hier, les Anglais étaient par terre, les voilà de nouveau debout. Ils s’accrochent comme des noyés à l’espoir d’un complet retournement de la situation d’ici à quelques mois. Mais si nous écrasons la Russie, la dernière planche de salut de l’Angleterre sombre avec elle et l’Allemagne deviendra maîtresse de l’Europe, y compris des Balkans. Pour tous ces motifs la Russie doit être liquidée. Le plus tôt sera le mieux. Date prévue : printemps 1941. »

Hitler parle avec emphase, cite des passages de Mein Kampf, écrit quinze ans plus tôt et dans lequel il affirme :

« Nous autres, nationaux-socialistes, repartons du point où notre pays s’est arrêté il y a six cents ans. Nous mettons fin à la perpétuelle poussée de l’Allemagne vers le sud et l’ouest de l’Europe pour tourner nos regards vers les espaces de l’Est. C’est à la Russie et aux États vassaux de ses frontières que nous devons songer tout d’abord. Le colossal empire de l’Est est mûr pour la désagrégation. La fin de la domination juive en Russie marquera également la fin de la Russie en tant que nation. »

On a l’impression à l’écouter qu’il salive, savoure ses phrases, jouit de les retrouver.

Il ajoute :

« L’opération vaut la peine d’être entreprise, mais à une condition : notre résolution formelle d’annihiler la nation soviétique en un seul coup de massue. La conquête de ses territoires ne suffit pas. Il s’agit d’anéantir ses possibilités même d’existence. »

Ainsi, en ce mois de septembre 1940, Hitler dessine sa guerre à venir.

Il la prépare : dix divisions d’infanterie et deux divisions de blindés sont transférées de l’Ouest en Pologne.

« Il importe, précise l’attaché militaire allemand à Moscou, le général Ernst Koestring, d’éviter que ces mouvements et concentrations de troupes ne donnent aux Russes l’impression que l’Allemagne prépare une offensive à l’est. »

Toujours en ce mois décisif de septembre 1940, des « missions militaires allemandes » sont envoyées en Roumanie.

Et le vendredi 27 septembre, un pacte tripartite – Japon, Allemagne, Italie – est signé.

Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich, s’emploie à rassurer Molotov – son homologue russe – et Staline sur les « bonnes intentions » allemandes à l’égard de la Russie.

Molotov est soupçonneux, mais en cette fin septembre 1940, Staline s’accroche à l’idée qu’il peut détourner la guerre de la Russie et qu’il faut prendre les nazis à leurs paroles. Et donc continuer à leur fournir des matières premières, des minerais avec lesquels Berlin alimente l’industrie d’armement allemande.

Qui tourne déjà à plein régime en vue de cette guerre à l’est, à laquelle Staline ne veut pas croire.

Cet avenir qui s’annonce n’étonne pas de Gaulle. Il est à bord du Westernland qui vogue vers Dakar, en compagnie de deux cuirassés, quatre croiseurs et le porte-avions Ark Royal, commandés par l’amiral Cunningham.

On a fait escale à Freetown, en Sierra Leone, où de Gaulle a appris que Tahiti, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon ont rallié la France Libre.

Pourquoi pas Dakar ?

Et cependant, il est inquiet.

Une escadre française « vichyste » a franchi le détroit de Gibraltar et a gagné Dakar, où se trouve déjà le Richelieu.

Depuis Mers el-Kébir, les marins français sont à l’image de leurs officiers et de l’amiral Darlan, résolument anglophobes.

Aux yeux des « vichystes », de Gaulle n’est qu’un officier qui s’est mis à la solde de Churchill et qu’un tribunal militaire vient de condamner à mort pour trahison.

À Dakar, faut-il que coule le sang français ?

De Gaulle doit accepter de prendre ce risque.

Il le dit à ses Français Libres qu’il réunit sur le pont du Westernland et qu’il harangue :

« Vous êtes mes soldats, mes amis, mes compagnons, commence-t-il. Si je ne vous parle pas souvent, je vous connais… Je sais d’où vous venez et ce que vous voulez. J’ai confiance en vous et je vous aime bien. Actuellement, nous sommes les seuls à représenter la France. Ce qu’elle a comme armes, ce sont nos armes. Ses succès seront ceux de nos armes. »

Il hausse la voix, se rapproche de ces hommes alignés, attentifs, graves.

« La France de demain sera en grande partie ce que nous la ferons. Son sort est entre nos mains. »

Il reste silencieux un long moment pour que ces hommes mesurent la gravité de ce qu’il va dire.

« Aussi, ceux qui se mettraient en travers de notre route, quels qu’ils pourraient être, se mettraient en travers de la route de la France. »

Il fait un pas en avant. Il sait qu’ils sont prêts à affronter la grande épreuve : le combat fratricide.

« À mon commandement, garde à vous !

« Au revoir. »

Le lundi 23 septembre, dans les brouillards de l’aube, alors qu’on ne distingue pas encore les contours de la rade de Dakar, deux vedettes chargées de parlementaires français se détachent du Westernland pour gagner la côte.

À bord de l’une d’elles, ce religieux qui a choisi de porter l’uniforme, le capitaine de frégate Thierry d’Argenlieu. Les Français de Dakar, ces « vichystes », refusent de laisser débarquer les « gaullistes ».

Et au moment où ces plénipotentiaires s’éloignent, leurs vedettes sont prises sous un feu violent. Thierry d’Argenlieu est blessé.

Deux avions chargés de Français Libres qui ont décollé de l’Ark Royal sont pris pour cibles par les canons du Richelieu.

Le sang français a commencé de couler. Il n’y aura pas de ralliement.