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Les pièces lourdes du Richelieu canonnent les navires anglais et français. Cunningham donne l’ordre de riposter.

Des navires des « vichystes » sont coulés. Le cuirassé anglais Resolution est torpillé.

Le mercredi 25 septembre, après deux jours de combat, Churchill télégraphie de Londres à 13 h 27 :

« Nous avons décidé que l’opération doit être abandonnée en dépit des conséquences fâcheuses. Les erreurs en présence de l’ennemi méritent l’indulgence. On ne peut tout prévoir. »

Ces mots du Premier Ministre ne calment pas la douleur.

« Dès le jeudi 26 septembre, vers 10 heures, au large donc, notre chef vint s’asseoir un instant dans ma cabine de blessé, écrit Thierry d’Argenlieu.

« Il souffrait à l’intime de l’échec aujourd’hui consommé. Il se taisait. Je réagis autant que faire se pouvait. Silence. Alors de ma couchette, à travers les cent rumeurs de notre navire en marche, je perçus telle une plainte : “Si vous saviez, commandant, comme je me sens seul.” »

Peut-être, à cet instant-là, pense-t-on, la mort peut seule faire oublier l’échec et sa souffrance.

Mais il y a l’ennemi et ce que l’on doit à ceux – tel le petit-fils du maréchal Foch – tombés ici, pour la France, tués ou blessés par des Français au patriotisme dévoyé.

La lutte n’en doit devenir que plus résolue.

Mais de Gaulle sait qu’il va porter les stigmates de cet échec devant Dakar.

À Londres, la presse multiplie les critiques, suggère à Churchill de remplacer ce de Gaulle par l’amiral Muselier ou le général Catroux. Elle accuse ces Free French d’être responsables, par leurs bavardages au moment du départ d’Angleterre, de ce fiasco.

Le News Chronicle écrit :

« Sur quelles bases le gouvernement a-t-il accepté les assurances d’un général de grande expérience militaire mais qui n’est pas un politique ?

« Nous pouvons répudier ce général de Gaulle avec le même cynisme dont son pays a fait preuve pour nous répudier en juin.

« Nous ne pouvons risquer la cause de la liberté pour une poignée d’hommes ! »

Aux États-Unis, la presse est plus sévère encore.

À Vichy, tous ceux qui ont choisi l’armistice et la collaboration se déchaînent.

On diffuse plusieurs fois le « Message à l’Empire français » lancé par Pétain.

« La France a perdu la guerre. Les trois cinquièmes de son territoire sont occupés, dit le Maréchal. Elle s’apprête à connaître un hiver pénible. Mais son unité doit rester intacte. Aucune tentative de quelque côté qu’elle vienne, de quelque idéal qu’elle se pare, ne saurait prévaloir contre elle.

« Le premier devoir est aujourd’hui d’obéir… »

Il faut se rebeller, se battre au contraire : les mots de soumission du maréchal Pétain fouettent de Gaulle.

Il va se rendre dans les territoires de l’Afrique-Équatoriale qui ont rejoint la France Libre.

Le combat lui paraît d’autant plus nécessaire que le gouvernement de Vichy rompt avec toutes les règles, agit dans l’arbitraire.

Le château de Chazeron a été loué aux environs de Vichy pour y interner les anciens ministres de la République : Reynaud, Daladier, Mandel, et le général Gamelin. Et quand on ne peut se saisir d’un ministre… on arrête son fils !

On déchoit de la nationalité française et on confisque les biens des personnalités qui ont exprimé leur hostilité, qui appartiennent à la franc-maçonnerie ou qui sont juives.

Dans la même charrette, on trouve Pierre Cot et les Rothschild, René Clair et Alexis Leger (Saint-John Perse).

On prépare le procès des « responsables » de l’entrée en guerre et la cour de Gannat, non loin de Vichy, condamne à mort des officiers « gaullistes », dont le général Catroux.

Ces mesures d’oppression, de vengeance politique, s’accompagnent d’une apologie par le maréchal Pétain de l’« idée nationale-socialiste ».

Il l’affirme dans un long article de la Revue des Deux Mondes, publié le dimanche 15 septembre.

« Nous avons d’autant moins de peine à accepter cette idée nationale-socialiste qu’elle fait partie de notre héritage classique ! »

Et le Maréchal poursuit :

« C’est ainsi que nous la trouvons telle qu’elle est chez le plus français de nos écrivains, chez le plus national de nos poètes, le bon La Fontaine » et… de citer la fable Le Laboureur et ses enfants.

On devrait rire, mais derrière la sénilité intellectuelle, on entend les propos violents d’un Marcel Déat qui fut député socialiste et valeureux combattant de 14-18, et de surcroît agrégé de philosophie, élève de l’École normale supérieure.

Patriote dévoyé, aveuglé par son ambition, Déat écrit :

« La France se couvrira s’il le faut de camps de concentration, et des pelotons d’exécution fonctionneront en permanence.

« L’enfantement d’un nouveau régime se fait aux forceps et dans la douleur. »

C’est ce prix que les idéologues sont prêts à faire payer aux Français pour faire entrer la France dans l’Europe nouvelle de Hitler.

Et avec quelle perspective ?

Déat le dit avec cynisme :

« La France doit devenir le verger et le Luna Park de l’hitlérisme. »

Qui pourrait, s’il aime la France, renoncer à se battre contre ces gens-là qui la trahissent et l’avilissent ?

De Gaulle dans sa cabine, en rade de Freetown, écrit à son épouse le samedi 28 septembre :

« Ma chère petite femme chérie,

« Comme tu l’as vu, l’affaire de Dakar n’a pas été un succès. Pour le moment, tous les plâtres me tombent sur la tête. Mais mes fidèles me restent fidèles et je garde bon espoir pour la suite.

« Je ne compte pas revenir à Londres avant quelque temps. Il faut patienter et être ferme.

« Combien j’ai pensé à toi, et pense toujours à toi et aux babies dans tous ces bombardements…

« Je considère que la bataille d’Angleterre est maintenant gagnée.

« Mais je m’attends à la descente en Afrique des Allemands, Italiens et Espagnols.

« C’est le plus grand drame de l’Histoire et ton pauvre mari y est jeté au premier plan avec toutes les férocités inévitables contre ceux qui tiennent la scène.

« Tenons bon.

« Aucune tempête ne dure indéfiniment. »

28

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C’est le mardi 1er octobre de l’an quarante.

Il a plu toute la journée sur Vichy, et l’averse frappe encore les baies vitrées du grand salon de l’hôtel du Parc, où se tient depuis 17 heures le Conseil des ministres présidé par le maréchal Pétain.

C’est le sort des Juifs qui ont la France pour patrie ou refuge qui est en question.

Depuis quelques jours, la haine antisémite a déferlé comme une vague énorme, longtemps retenue et qui tout à coup envahit l’horizon. Et l’on entend crier « Mort aux Juifs ».

À Paris, le cœur de la zone occupée, on peut lire dans l’hebdomadaire Au pilori : « Les Juifs doivent payer la guerre ou mourir. »

Xavier Vallat, ancien député, martèle que le Juif est inassimilable dans la communauté nationale.

« Il faut défendre l’organisme français du microbe qui le conduisait à une anémie mortelle », écrit-il.

L’hebdomadaire dresse la liste des « firmes juives » et demande au préfet de la Seine et au préfet de police d’exiger, dans un but de salubrité, que tous les propriétaires de magasins affichent de façon apparente sur leurs boutiques leur nom et leur prénom.