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D’autres publications – La France au travail !, Le Cri du peuple, financés par les Allemands – répandent la même boue empoisonnée où se mêlent le vieil antijudaïsme qui est présent en France depuis le Moyen Âge, et le racisme nazi.

Les autorités d’occupation ont le vendredi 27 septembre promulgué une ordonnance obligeant les Juifs à se faire recenser, interdisant à ceux qui ont quitté la zone occupée d’y retourner.

Obligation est faite – comme le demandait Au pilori, qui avait ainsi préparé l’opinion à la mesure allemande – aux propriétaires juifs d’exposer une affiche, rédigée en allemand et en français, désignant leurs biens – ateliers ou boutiques – comme une entreprise juive.

L’ordonnance allemande définit comme juives les personnes appartenant à la religion juive ou ayant plus de deux grands-parents juifs.

L’avidité des antisémites, leur désir de s’emparer des biens juifs, boutiques, appartements, ateliers, ou bien de chasser les Juifs de leurs activités, se dévoilent.

« Qu’attend-on pour désenjuiver réellement la médecine et tant d’autres corporations françaises ? » lit-on.

Le journaliste et écrivain Lucien Rebatet expectore sa haine dans Le Cri du peuple :

« On ne se débarrasse pas des rats et des cancrelats en imprimant du papier, écrit-il. Les Juifs ne sont pas moins odieux que ces parasites et bien plus malfaisants… Nous les avons laissés trop longtemps libres et impunis menant sur tous les terrains leur besogne destructive. »

Ce texte est un appel à l’extermination de ces « parasites » dont on nie l’humanité, à la manière des nazis, pour qui les Juifs ne sont que des poux.

On les accuse d’écouter la radio anglaise, d’être les grands maîtres du « marché noir », ce commerce clandestin des denrées rationnées qui échappe aux contraintes des « cartes d’alimentation » et des queues devant les boucheries ou boulangeries.

Ceux qui signent ces textes antisémites sont, au sens précis du mot, à la solde des nazis qui financent les journaux et paient donc ceux qui y écrivent.

Pour permettre cette propagande, le gouvernement de Vichy a promulgué, dès le mardi 27 août, une loi supprimant l’interdiction de diffamer et d’injurier un groupe de personnes qui appartiennent par leur origine à une race ou à une religion déterminée.

La loi supprime ainsi le décret de loi pris par Daladier le 21 avril 1939. Et Vichy déclare que cette suppression rétablit… la liberté de la presse. C’est-à-dire le droit de représenter le Juif en souhaitant son exclusion, sa mort.

Alors les journaux ne se gênent pas. On peut lire dans La France au travail :

« Sur une France décadente

Le Juif tel un chancre rongeur

Aux relents d’humeur purulente

Exhalait sa mauvaise odeur

Il se montrait plein d’arrogance

Sa face blême était partout

Dans les journaux, dans la finance

Dans les arts, il corrompait tout. »

Et cela se chante sur l’air de La Chanson des blés d’or.

Ces fanatiques stipendiés qui prospèrent à Paris, sous la protection de la Kommandantur, s’en prennent au gouvernement de Vichy, trop modéré à leurs yeux. La France au travail s’indigne ainsi :

« Est-ce un cloaque, est-ce un taudis ?

Vichy, notre station thermale ?

Pour certains, c’est un paradis

Qui met à l’abri du scandale

Ils y sont entre renégats

On couvre leur ignominie

On y blanchit les scélérats

C’est la lessive en Pétainie. »

On dénonce cette zone libre où, assure-t-on, sur la Côte d’Azur, « le danger juif est très grand ».

« Le Juif errant est arrivé à… Kahn (Alpes-Maritimes) peut-on lire dans La Gerbe. Il est arrivé au terme de cette nouvelle étape fuyant devant le champion de la race blanche qui le poursuit sans trêve ni repos sur les terres de l’Occident. Il s’est arrêté sur cette Côte d’Azur qu’il enlaidissait de ses millions et de ses vices. »

Le maréchal Pétain connaît ces critiques, le mardi 1er octobre, quand il préside le Conseil des ministres dans un grand salon de l’hôtel du Parc, à Vichy.

« Long Conseil des ministres de 17 heures à 19 h 45, note le ministre Paul Baudouin. Pendant deux heures, est étudié le statut des Israélites.

« C’est le Maréchal qui se montre le plus sévère. Il insiste en particulier pour que la Justice et l’Enseignement ne contiennent aucun Juif. »

Ce statut des Juifs discuté au Conseil sera adopté deux jours plus tard, le jeudi 3 octobre. Sa publication est prévue dans le Journal officiel le vendredi 18 octobre 1940.

Un exemplaire est remis à Abetz, ambassadeur du Reich à Paris, qui aussitôt avertit Ribbentrop, son ministre.

Le texte français, se félicite Abetz, considère comme juive toute personne ayant plus de deux grands-parents juifs. « Tout comme en Allemagne », souligne Abetz.

Vichy est allé plus loin que les Hongrois ou les Slovaques. Désormais, un prêtre catholique d’origine juive ne cesse pas d’être juif.

L’antijudaïsme français qui prétendait n’être que « religieux » a laissé la place à un antisémitisme qui définit et vise la « race juive ».

Juifs étrangers, Juifs français, Juifs convertis au christianisme : tous sont confondus dans la même haine raciste, exterminatrice.

Pas de place pour les Juifs dans les fonctions publiques. Pas de place pour eux dans le journalisme, le cinéma, le théâtre, la radio, et bien entendu dans l’enseignement.

Les dispositions de ce statut des Juifs entraîneront des radiations, des mises à l’index, des vexations innombrables, une pression policière qui crée un climat lourd de soupçons.

Il y a des délateurs qui écrivent des milliers de lettres de dénonciation. Toute la lie d’une société qui se terre habituellement remonte à la surface, pourrit les relations humaines, la vie sociale.

Et d’autant plus que le garde des Sceaux, Raphaël Alibert, veille à la stricte application de cette législation raciale.

Dans une circulaire, il indique que pour identifier les Juifs, des indices sont fournis par les prénoms figurant sur les actes d’état civil, et par les noms inscrits sur les sépultures des cimetières juifs.

Les descendants peuvent ainsi être repérés et poursuivis, tomber sous le coup du statut du 3 octobre.

On dresse des listes, on relève des adresses, on classe les lettres de dénonciation, on construit des arbres généalogiques. Tout est prêt pour des rafles à venir. Mais le premier pas décisif a été accompli : désigner, accuser, mépriser, déshumaniser, isoler, dépouiller, et persécuter.

Et diffuser dans toute la société l’angoisse, la peur, la traque, l’envie, la veulerie et la lâcheté.

On mesure la force brutale de ces passions, on voit se dessiner le vrai visage du régime de Vichy, le dimanche 6 octobre 1940, à Nice, quand Joseph Darnand, un ancien combattant de 14-18 et de 39-40, décoré en 1918 de la médaille militaire par le général Pétain, fait prisonnier en juin 1940, évadé, monte à la tribune pour s’adresser aux 15 000 personnes venues célébrer la fondation de la Légion française des combattants.

« Nous avons assez pleuré, s’écrie Darnand. Nous avons assez souffert en silence des malheurs de la France… Nous avons besoin maintenant que les vrais Français patriotes remplacent les métèques, les Juifs et les étrangers. »

Dans la salle du casino municipal où se pressent 8 000 personnes – la foule est aussi importante à l’extérieur –, on applaudit à tout rompre.