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« Il faut chasser les faux Français qui ont mené le pays à la ruine, continue Darnand. Nous allons rompre avec des hommes qui nous ont exploités et perdus… Il faut que les fautifs soient châtiés. Le Maréchal l’a promis. Il est pour nous la vraie lumière dans la nuit noire où des misérables nous ont plongés. »

Sur l’estrade, se trouve aux côtés de Darnand le révérend père Bruckberger, son compagnon d’armes.

Darnand donne lecture du serment « légionnaire ».

« Je jure de consacrer toutes mes forces à la Patrie, à la Famille, au Travail…

« J’accepte librement la discipline de la Légion pour tout ce qui me sera commandé en vue de cet idéal. »

Ces milliers d’hommes crient d’une seule voix : « Je le jure ! »

Ils lèvent le bras, comme on le fait dans l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.

Et on scande : « Vive Pétain ! Vive la France ! Vive le Maréchal ! »

On vénère le Maréchal.

On attend en ce mois d’octobre sa parole, car chacun sent bien que l’on s’enfonce dans des temps plus difficiles encore.

Il parle le mardi 8 et le vendredi 11 octobre, parce que autour de lui on mesure l’anxiété de la population, les difficultés croissantes de la vie.

Les queues s’allongent devant les boutiques. Et les étals sont vides, les rations alimentaires insuffisantes, le marché noir florissant, la pression allemande de plus en plus forte.

« Depuis plus d’un mois, j’ai gardé le silence, dit le Maréchal. Je sais que ce silence étonne et parfois inquiète certains d’entre vous. »

Sa voix est encore plus grave, tremblante.

« Cet avenir est encore lourd et sombre… L’hiver sera rude… Le problème du ravitaillement s’est posé au gouvernement comme une pénible nécessité… »

Il dénonce les « tares de l’ancien régime politique ».

« L’ordre nouveau est une nécessité française. Nous devrons tragiquement réaliser dans la défaite la révolution que dans la victoire, dans la paix, dans l’entente volontaire de peuples égaux, nous n’avons même pas su concevoir. »

Il faut bâtir « un régime hiérarchique et social ».

Mais c’est sans enthousiasme, sans aucun élan, que Pétain présente ces projets comme s’il n’y croyait pas.

Les mots qu’il utilise sont ceux de la macération : « notre humiliation, nos deuils, nos ruines ». Et, pour finir ces phrases accablantes :

« Le choix appartient d’abord au vainqueur. Il dépend aussi du vaincu.

« Si toutes les voies nous sont fermées, nous saurons attendre et souffrir ! »

C’est l’apologie de la soumission, de la capitulation. Le Maréchal craint les Allemands. Il refuse de rendre publique la protestation du gouvernement contre l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.

À ceux – Weygand et Baudouin – qui manifestent leur désapprobation et lui répètent que « le silence du gouvernement nous rend complices des Allemands », il répond :

« Les Allemands sont des sadiques. Si je les mécontente, ils broieront les Alsaciens, vous ne les connaissez pas ! »

Devant cette pusillanimité, des fidèles du Maréchal, des généraux qui lui sont loyaux s’organisent, cachent des armes, fondent des réseaux de transport, afin d’être prêts à réagir si les Allemands franchissaient la ligne de démarcation.

Le chef d’État-major général de l’armée, le général Verneau, réunit à Vichy, à l’hôtel des Bains, 80 officiers d’état-major et leur déclare :

« La guerre n’est pas finie… La France connaît une épreuve de plus, mais nous sommes le pays de l’invincible espérance… Restez en contact avec moi. »

À la demande du général Huntziger, le ministre de l’Intérieur met sur pied une police supplétive, les Groupes de protection, qui permet de maintenir en activité des sous-officiers et des officiers en surnombre.

Ces GP sont pour la plupart d’anciens « cagoulards » et cette police est destinée à protéger le gouvernement, mais elle a aussi pour but de résister aux Allemands en maintenant en activité une organisation militaire.

Des proches de Pétain – le chef de bataillon Loustaunau-Lacau, lui aussi membre de la Cagoule – prennent contact avec un diplomate canadien en poste à Vichy et créent la Croisade, bien décidés à résister aux Allemands.

Ils vont bâtir l’Alliance, un réseau de résistance déterminé.

Ainsi, en ce mois d’octobre 1940, à Vichy même, dans l’entourage du Maréchal, des noyaux de résistance à l’occupant se constituent-ils.

Et apparaissent les premiers « vichystes résistants », souvent issus de l’extrême droite, anciens adhérents du Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), la Cagoule.

À l’extrême opposé, en zone occupée, comme en zone libre, le parti communiste abandonne l’illusion d’une « coexistence » possible avec les nazis.

Sa position à l’égard de l’occupant devient d’autant plus critique, hostile, que Staline constate que Hitler renforce ses troupes à l’est, et songe peut-être à une agression contre l’URSS.

En outre, Allemands et policiers français pourchassent et arrêtent des centaines de militants communistes, et en réponse à cette répression, les communistes créent une Organisation spéciale (OS) paramilitaire. Elle a pour mission le sabotage mais surtout la lutte armée, le « châtiment », l’exécution des traîtres, des agents de l’ennemi.

Dans tous les milieux, spontanément d’abord, puis méthodiquement, des groupes de résistants se créent.

La presse clandestine comporte plusieurs publications, souvent éphémères mais qui reprennent les informations de la « radio anglaise » et les diffusent.

Dans ce climat, les actes de sabotage, le plus souvent commis par des isolés, se multiplient.

On coupe les câbles téléphoniques ou télégraphiques utilisés par les Allemands. On détruit du matériel de l’armée d’occupation.

À Rennes, dans la nuit du dimanche au lundi 14 octobre des soldats allemands sont attaqués. À Étampes, des « terroristes coupent les jarrets des chevaux que les Allemands viennent de réquisitionner ».

La France, en cet automne 1940, sort peu à peu de la sidération dans laquelle l’avait plongée l’effondrement – le cataclysme – de mai et juin.

Au fond de l’abîme, elle se redresse.

De Gaulle le sent.

Il parcourt, aux antipodes, les territoires de l’Afrique-Équatoriale française ralliés à la France Libre.

Et partout, à Douala, à Yaoundé, à Fort-Lamy et à Brazzaville, on l’accueille avec enthousiasme. On chante La Marseillaise. Les troupes lui rendent les honneurs.

Mais parfois, ainsi au Gabon, les vichystes résistent et c’est le deuil du combat fratricide de Dakar qui est tout à coup brutalement ravivé.

Que de morts inutiles ! Que d’héroïsme fourvoyé !

De Gaulle pense à ce capitaine de corvette qui saborde son sous-marin après avoir lancé une torpille contre un croiseur anglais, et « coule bravement » son navire.

Il pense à ce gouverneur du Gabon qui se rallie à la France Libre puis se ravise et se pend ! Et les officiers et la plupart de leurs hommes refusent de rejoindre la France Libre.

Heureusement, il y a ses compagnons, Leclerc, Messmer, Pâris de Bollardière, Simon, Massu, ces jeunes officiers résolus à hisser la patrie hors de l’abîme. Les voir, c’est comme un « lavage d’âme ».

C’est pour cela qu’à Brazzaville, en ce dimanche 27 octobre 1940, il crée l’Ordre de la Libération afin de distinguer plus tard, quand Paris et Strasbourg seront libérés, ceux qui ont formé la première cohorte de la Résistance et de la France Libre.