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Il faut agir à l’ouest, sous peine de s’enliser, de perdre l’élan qui a balayé la Pologne. Il faut conserver la même force. Et, dans un assaut fulgurant, briser la France et contraindre le Royaume-Uni à la négociation et à la paix. Que l’Angleterre se désintéresse de l’Europe continentale où le Reich doit seul régner.

Hitler, le jour de l’an, s’adresse au peuple allemand.

« Je n’ai pas voulu cette guerre, dit-il. Ce sont les Juifs et les profiteurs de guerre capitalistes qui l’ont déclenchée. Mais nous Allemands, unis à l’intérieur du pays, préparés économiquement et armés militairement au plus haut degré, nous entrons dans l’année la plus décisive de l’histoire de l’Allemagne… Que l’année 1940 apporte la décision. Elle sera, quoi qu’il arrive, notre victoire. »

Ce mercredi 10 janvier 1940, Hitler ordonne que les forces armées soient prêtes pour l’offensive à l’ouest, fixée au 17 janvier, quinze minutes avant le lever du soleil, soit à 8 h 16.

L’aviation doit commencer son attaque le 14 janvier, sa tâche étant de détruire les terrains d’envol ennemis en France, mais ni en Belgique ni en Hollande. Ces deux pays neutres doivent rester dans l’incertitude jusqu’à l’heure H.

Ce mercredi 10 janvier 1940, le commandant Hoenmanns, qui pilote l’avion à bord duquel se trouve le commandant Helmut Reinberger, vole au ras du sol. Hoenmanns cherche à suivre le Rhin, mais le fleuve a disparu et, à l’infini sous le ciel bas et sombre, se déroule seulement une vaste plaine enneigée.

« Le Rhin est gelé », murmure Hoenmanns, au moment où le moteur tousse, s’arrête, repart quelques secondes, puis cesse de nouveau. On n’entend plus que le bruit du vent, de la descente en vol plané vers cette étendue morne et blanche. Au loin, Reinberger distingue les toits d’un village et le clocher d’une église.

« Est-on en Allemagne ? » interroge Reinberger.

Le commandant Hoenmanns ne répond pas.

3

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Ils n’ont pas atterri en Allemagne.

Le commandant Hoenmanns a découvert sur une plaque de signalisation à demi enfouie dans la neige le nom du village, Mechelen-sur-Meuse.

« Belgique », a-t-il dit d’une voix sourde.

Aussitôt, Helmut Reinberger s’est mis à courir en direction d’une haie qui avait retenu la neige et formait ainsi une sorte de paravent. Il ouvrait sa sacoche et commençait à déchirer les documents, puis tentait d’y mettre le feu, s’y prenant à plusieurs fois, répétant au commandant Hoenmanns qu’il s’agissait du plan détaillé de l’offensive.

Il fallait le détruire à tout prix. Il attisait le feu, n’hésitant pas à plonger ses mains dans les flammes, à remettre dans le foyer les pages à demi consumées.

Et tout à coup ces voix, ces deux silhouettes d’hommes armés de fusils les pointant en direction de Reinberger, criant qu’ils étaient des gardes-frontières.

Ils exigeaient des officiers allemands qu’ils s’écartent du feu, et cependant que l’un d’eux tenait les Allemands en joue, l’autre garde-frontière piétinait les flammes, ramassait les morceaux de papier calcinés, s’emparait d’un geste brutal de la sacoche de Reinberger, puis forçait les Allemands à marcher vers le village.

Dans le petit poste de garde, un officier belge étale les plans, les feuillets, sur une table, et Reinberger profite d’un instant de distraction pour s’emparer des papiers, les jeter dans le poêle. L’officier belge les arrache aux flammes, maîtrise Reinberger qui tente de prendre le revolver du Belge, crie qu’il veut se suicider. Il est coupable vis-à-vis du Reich, dit-il aux Belges. Il a commis « une faute impardonnable ».

Puis son corps s’affaisse, il prend sa tête à deux mains, se laisse conduire vers la voiture qui doit emmener les deux Allemands à Bruxelles où ils vont être interrogés par les officiers de renseignements, qui examineront ce qui reste du plan opérationnel.

« J’ai tout détruit », dit Reinberger au diplomate allemand qui vient chercher les deux officiers. Ils ne sont accusés que d’un atterrissage forcé dû à une panne de moteur et à une erreur de navigation.

Mais à Bruxelles, à Paris, à Londres, à La Haye, à Berlin, dans les réunions des Comités de guerre, dans les états-majors, les ambassades, l’orage se déchaîne.

Ainsi, s’indigne-t-on, en Belgique, aux Pays-Bas, les Allemands préparent l’invasion des deux États neutres.

En octobre 1936, le roi des Belges Léopold III a réaffirmé la neutralité de son pays. Faut-il devancer l’attaque allemande dont les plans laissent penser qu’elle se déchaînera bientôt ? Faut-il ouvrir les frontières aux divisions françaises et britanniques ?

Le Premier lord de l’Amirauté, Churchill, s’emporte devant les atermoiements des Belges.

« Leur politique est indéfendable », s’écrie-t-il.

À Paris, Daladier, le président du Conseil, est plus sévère. Il confie, quand il apprend que, l’alerte passée, le roi des Belges renvoie le général qui a fait lever les barrières afin que les Français puissent avancer : « Léopold III est germanophile. Si la France veut attaquer les Allemands en passant par la Belgique, les Belges nous tireront dessus. »

À Berlin, à la Chancellerie du Reich, Goering enrage, il veut sévir contre les deux officiers de la Luftwaffe.

Goebbels a le visage parcouru par des tics.

Himmler marmonne qu’il y a autour du chef des services de renseignements allemands, l’amiral Canaris, des ennemis du Führer qui ont peut-être organisé cet « accident » afin d’avertir les neutres, les Français et les Anglais, rendant ainsi l’offensive impossible.

Et à Paris, dans l’entourage de Daladier et du général en chef Gamelin, mais aussi à Londres – et Churchill lui-même –, on se demande s’il ne s’agit pas d’un piège tendu par Hitler, pour bouleverser les plans français et anglais et créer des conflits avec la Belgique et les Pays-Bas, si les troupes alliées forcent la frontière belge pour se porter au-devant de l’ennemi allemand.

Puis la tension retombe. L’offensive allemande qui paraissait imminente – le nonce apostolique à Bruxelles l’avait confirmé – ne se déclenche ni le 13 janvier ni le 14, ni le 17, alors que ces dates avaient été avancées par différentes sources. « La Belgique vient de nous faire connaître, communique le général Gamelin à Daladier, qu’elle ne pouvait plus prendre la responsabilité de nous appeler. »

« La comédie est terminée », note le général Georges qui commande le corps d’armée ayant fait mouvement vers la Belgique.

On a frissonné quelques jours, une semaine du mercredi 10 au 17 janvier, puis l’attentisme l’emporte de nouveau. L’alerte est oubliée. Les plans élaborés sont maintenus, comme si la connaissance des projets allemands n’avait rien apporté. On n’entrera en Belgique que si le roi en fait la demande.

Et tant pis si la manœuvre, avec des Allemands ayant violé la neutralité belge et néerlandaise, est trop tardive, exposée aux attaques aériennes, si la Belgique devient une nasse pour les divisions alliées.

« Tant pis », répète le généralissime Gamelin.

Tant mieux, pense le Führer.

À l’annonce que les plans de l’offensive étaient tombés aux mains de l’ennemi, Hitler est resté calme, maître de lui, le plus souvent silencieux, ne répondant pas aux sollicitations des dignitaires nazis.

Mais il veut écouter le chef d’état-major du général von Rundstedt, Erich von Manstein, qui propose de changer le plan d’offensive, dévoilé maintenant, mais surtout trop classique, copie à gros traits du plan du général Schlieffen appliqué en 1914.