Выбрать главу

« C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’ai subi de sa part aucun diktat, aucune pression. »

Voilà des semaines que le maréchal Pétain veut rencontrer Hitler, user de son prestige personnel face à cet ancien combattant de 14-18.

Entre soldats, on se respecte. Et peut-être pourrait-il obtenir du Führer un allègement de l’occupation nazie.

Pétain sait que le peuple qui souffre de la faim, de la misère, de l’absence d’un fils, d’un frère, d’un mari, attend cela.

« J’irai trouver le Führer comme je suis allé trouver les mutins en 1917 », confie le Maréchal.

Il saura se faire entendre de Hitler, et il imposera au gouvernement sa politique étrangère, écartant le général Weygand et ce maquignon intrigant et louche de Pierre Laval.

Weygand n’a qu’une idée : « l’armistice, rien que l’armistice ». Le général pense que le Reich vainqueur reste l’ennemi ; et les Anglais, en dépit de leurs actions égoïstes, des alliés. Pétain écarte donc Weygand de tout rôle ministériel. Que le général se contente de renforcer l’armée de l’armistice et maintienne la souveraineté française en Afrique.

Pierre Laval, vice-président du Conseil, est plus difficile à contrôler, à déloger. L’homme, en vieux politicien « révolutionnaire », est retors et convaincu que lui seul peut s’entendre avec ces deux autres « révolutionnaires » issus comme lui du peuple, Mussolini et Hitler.

Laval est persuadé que l’Angleterre a perdu la guerre, même s’il faut plus de temps pour l’abattre qu’il ne l’escomptait.

L’intérêt de la France est donc de s’allier avec le Reich, de proposer à Hitler des actions communes contre l’Angleterre, pouvant aller jusqu’à l’affrontement armé.

Et de cela, Pétain ne veut pas.

Le Maréchal veut qu’on sache à Londres qu’il ne déclenchera jamais d’hostilités contre l’Angleterre. Et c’est pourquoi il a soutenu l’initiative du professeur de philosophie, Louis Rougier.

Au retour de ce dernier, Pétain a enfermé dans son coffre le « protocole » établi avec les Anglais que lui a remis Rougier.

Ne pas heurter Hitler, lui faire des concessions verbales si nécessaire et ne pas trancher le fil avec Londres : voilà la politique de Pétain.

C’est pour faire triompher cette orientation que le Maréchal veut rencontrer Hitler.

Or, dans la même période, Hitler a changé son plan d’attaque contre l’Angleterre. Et pour cela, il a besoin de la France de Pétain et de l’Espagne du général Franco.

C’est l’amiral Raeder qui a expliqué – et convaincu Hitler – que « la Méditerranée est le pivot de l’Empire britannique ». Le plan proposé est sur le papier simple et grandiose.

On occupe Gibraltar : de là, la nécessité d’obtenir l’appui de Franco.

On marche vers Suez, en traversant l’Afrique du Nord française : il faut donc arracher à Pétain son autorisation et sa collaboration.

Puis de Suez, on peut avancer par la Palestine et la Syrie jusqu’à la Turquie qui tombera sous contrôle allemand.

Et il est aussi possible de traverser l’Afrique d’est en ouest, de Suez à Dakar, et les Français fidèles à Vichy sont encore les maîtres de cette Afrique-Occidentale.

Rendez-vous est pris avec les Français et les Espagnols.

Les trains blindés de Hitler et Ribbentrop feront d’abord une halte à Montoire-sur-le-Loir.

La petite gare est proche d’un tunnel où les trains pourront trouver refuge s’il y a un bombardement.

Le mardi 22 octobre, Hitler rencontrera Pierre Laval. Le vice-président du Conseil a sollicité ce rendez-vous, et il est bon d’avoir auprès de Pétain ce politicien qui veut rompre avec l’Angleterre. Le mercredi 23 octobre, les trains rouleront jusqu’à Hendaye, où les attendra le général Franco.

Le jeudi 24, à Montoire, à nouveau, Hitler rencontrera le maréchal Pétain.

Puis les trains blindés se dirigeront vers Munich, mais si nécessaire le Führer rencontrera Mussolini qui, avide de gloire et de conquête, veut envahir la Grèce, ce qui serait une « déplorable bévue ».

Mais pourra-t-on retenir Mussolini ?

Hitler est confiant cependant.

Il croit pouvoir convaincre Français et Espagnols. Il ignore que Pétain a eu connaissance du « plan » de Hitler (confidence d’un ambassadeur). Et le Maréchal a averti Franco des intentions allemandes, de sa volonté de ne pas accepter le passage des troupes du Reich par l’Afrique du Nord.

D’ailleurs, ni le général Franco ni le maréchal Pétain ne veulent d’une guerre avec l’Angleterre.

Franco entretient les meilleures relations possible avec l’ambassadeur de Sa Majesté, Samuel Hoare. Et Franco a besoin des denrées alimentaires que lui livrent les États-Unis avec l’accord de l’Angleterre. Saignée par la guerre civile et épuisée par la disette, l’Espagne ne peut se permettre d’entrer dans un nouveau conflit.

Quant à la France…

D’abord, il y a Pierre Laval qui arrive à Montoire, le mardi 22 octobre, dans la voiture d’Abetz qui ne l’a pas averti qu’il doit rencontrer Hitler.

La rencontre va se faire dans le train blindé, en présence de Ribbentrop et de l’interprète, le docteur Schmidt que Laval connaît.

L’accord est immédiat.

« Mon entrevue avec le chancelier Hitler à Montoire fut pour moi une surprise, dit Laval, une émouvante surprise. Nous sentions de même et nous avons fini par parler un langage nouveau : européen. »

Laval affirme que la seule politique possible pour la France vaincue est de s’entendre avec l’Allemagne et Hitler répond :

« C’est l’intérêt de la France si elle veut que ce soit à l’Angleterre de payer les frais de la guerre et non à elle. »

Rien de précis n’est avancé par Hitler.

On évoque vaguement, si la France perd des colonies, une compensation par l’octroi de territoires anglais : la Tunisie pour Mussolini et le Nigeria à la France…

Le lendemain, mercredi 23 octobre, pendant que Hitler rencontre Franco à Hendaye, Laval est à Vichy devant le Conseil des ministres qui se réunit à 17 heures. Il raconte son entrevue avec le Führer.

« Mon impression est bonne. Hitler est un grand homme qui sait ce qu’il fait et où il va. Le Führer a offert à la France la collaboration… Je n’ai pris aucun engagement mais ce serait un crime contre la France que de refuser son offre… » Lorsqu’un ministre l’interroge sur le contenu et le sens de cette collaboration, Laval hausse les épaules :

« La France est devant un tournant. Si certains individus me critiquent et m’embêtent, je m’en fous éperdument. J’ai la certitude de bien défendre mon pays. »

Pétain qui doit voir Hitler le lendemain, jeudi 24 octobre, se tait, annonce qu’il compte se faire accompagner par Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères.

Laval proteste et menace.

« S’il n’est pas le seul membre du gouvernement à se trouver aux côtés du chef de l’État, lors de l’entrevue avec Hitler, la rencontre ne se fera pas. »

Le visage fermé, Pétain cède devant le maître chanteur.

Hitler, ce mercredi 23 octobre, est donc à Hendaye, face au général Franco qui refuse de s’engager dans un conflit avec l’Angleterre.

La conversation dure neuf heures et se prolonge par un dîner dans le wagon-salle à manger de Hitler.

L’interprète Schmidt écoute Franco déverser un flot de paroles du même ton chantant et monotone.

Le Führer est exaspéré lorsque Franco réclame qu’on lui accorde toute l’Afrique du Nord française, ce que Hitler ne peut accepter car tout l’Empire français basculerait du côté de l’Angleterre. À la fin, hors de lui, Hitler bondit sur ses pieds, hurle qu’il est inutile de poursuivre l’entretien. Il ajoute : « Plutôt que de passer par là de nouveau, j’aimerais mieux qu’on m’arrache trois ou quatre dents ! »