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« Les cérémonies commémoratives n’auront pas lieu.

« Aucune démonstration publique ne sera tolérée. »

La colère et l’indignation embrasent le Quartier latin. Elles se répandent dans les grands lycées. Les étudiants qui ont participé à la manifestation du 8 novembre devant le Collège de France – presque tous communistes – et des lycéens – souvent d’Action française – des lycées Janson-de-Sailly, Buffon, Condorcet, Carnot, décident de rédiger et d’imprimer des tracts, de coller des « papillons » dans les lycées, les facultés, invitant les élèves et les étudiants à manifester.

« Étudiant de France

« Le 11 novembre est resté pour toi un jour de fête nationale.

« Malgré l’ordre des autorités opprimantes il sera jour de recueillement.

« Tu iras honorer le soldat inconnu à 17 h 30.

« Tu n’assisteras à aucun cours.

« Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire.

« Le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore.

« Tous les étudiants sont solidaires pour que Vive la France.

« Recopie ces lignes et diffuse-les. »

Tout commence le matin du 11 novembre.

On dépose des fleurs à la statue de Strasbourg, place de la Concorde.

Puis, au fil des heures, la foule remonte les Champs-Élysées, fleurit de mille bouquets, de couronnes, la statue de Georges Clemenceau.

Un commissaire de police répète d’une voix douce : « Allons, pas d’attroupements, je vous en prie, c’est interdit. »

Soudain, des soldats allemands sautent d’une voiture, entourent la statue.

« Le commandant allemand ne veut pas de manifestation, répète le commissaire, il faut que ça finisse. »

Et tout à coup, à partir de 17 heures, des milliers de collégiens, de lycéens, des centaines d’étudiants emplissent l’esplanade de l’Arc de triomphe. D’autres arrivent en cortège, drapeau tricolore en tête, par l’avenue Victor-Hugo.

Des coups de feu éclatent.

Les véhicules chargés de soldats allemands zigzaguent sur la chaussée, les trottoirs, dispersent les manifestants.

Il y a des blessés. Des manifestants sont jetés dans les véhicules. Des SS, arme au poing, jaillissent du cinéma Le Biarritz.

Des coups de feu, des rafales à nouveau.

On chante La Marseillaise, puis le Chant du départ.

On crie « Vive la France », « À bas Pétain », « À bas Hitler ».

Les Allemands mettent des mitrailleuses en batterie, donnent des coups de crosse.

On se bat.

On assure qu’il y a une dizaine de morts, une centaine d’arrestations.

Ceux qu’on a jetés dans des camions bâchés, qu’on a conduits avenue de l’Opéra, où se trouve une Kommandantur, puis à la prison du Cherche-Midi, ont été roués de coups de poing et de pied, puis frappés à la matraque, avec la crosse des fusils.

Ils sont passés entre deux haies de soldats ivres. On les a fouettés. Certains ont été collés contre un mur, mis en joue par un peloton d’exécution dans la cour de la prison du Cherche-Midi.

Puis un général a fait irruption dans la cour. Il s’est mis à frapper les soldats, en les insultant :

« Ivrognes, bande d’ivrognes. »

En voyant les lycéens, les collégiens, les étudiants, il s’est indigné : « Mais ce sont des enfants ! »

Ce n’est que le samedi 16 novembre que la radio et la presse évoquent « ces manifestations qui ont rendu nécessaire l’intervention des services d’ordre des autorités d’occupation ».

Mais la nouvelle de la manifestation des lycéens et des étudiants s’est propagée dans toute la France, qu’elle fait frissonner d’émotion.

On n’accorde aucune attention au communiqué de la Kommandantur et on méprise le texte publié par la vice-présidence du Conseil – Pierre Laval – intitulé : « La Vérité sur les incidents du 11 novembre ».

On est scandalisé par la phrase : « Quatre personnes ont été légèrement blessées, aucune n’a été tuée. »

On ne connaît pas le nombre précis des victimes, mais on mesure l’importance de l’événement à ses conséquences.

Vichy et les autorités d’occupation – dont le chef est le général von Stülpnagel – ont décrété la fermeture de l’université de Paris et des grands établissements universitaires de la capitale.

Les étudiants inscrits doivent pointer chaque jour dans le commissariat de leur quartier.

Le recteur Roussy est révoqué, remplacé par l’historien Jérôme Carcopino, à qui le pouvoir accorde sa confiance.

La reprise des cours sera ordonnée le 20 décembre, alors que les congés de fin d’année commencent… le 21.

Cette manifestation déchire le voile noir du deuil, de la culpabilité, de la désespérance, sous lequel les hommes de Vichy veulent par l’évocation de la défaite, de la souffrance, empêcher le réveil de la France.

Les émissions de la France Libre le répètent :

« Derrière cette folle bravoure, les hommes de Vichy sentent bien qu’il y a tout un pays qui se lève… Ils s’aperçoivent que, peu à peu, en France, il n’y a plus de partis, il n’y a plus de classes, il n’y a plus que les chefs et les soldats ; une armée immense, une armée abandonnée, mais qui va combattre.

« Les jeunes gens du 11 novembre, ce sont en vérité les premiers morts de cette guerre. »

Dans son camp d’entraînement d’Old Dean – souvent bombardé par la Luftwaffe – Daniel Cordier écrit :

« Ce fait d’armes aiguillonne notre impatience… Toutes nos pensées se portent vers Paris, le Quartier latin, la place de l’Étoile. »

Il répète les phrases entendues à la BBC :

« Nous disons à la France qui les pleure : le rêve pour lequel ils sont morts, nous le réaliserons. »

Cette journée du lundi 11 novembre 1940 s’inscrit ainsi dans la conscience nationale, malgré la censure, la propagande allemande et vichyste.

Elle marque la collaboration au fer.

Ce thème, ce mot que Pétain et Laval – avec des intentions différentes, des oppositions fortes entre eux – répétaient sont mort-nés.

Ils ne peuvent plus être qu’affaire de propagande, donc de pouvoir minoritaire. La manifestation, seulement quatre mois après la défaite, oriente le peuple vers la résistance.

Le 11 novembre 1940 fait de la poignée de main de Montoire le 24 octobre le symbole infamant de la trahison.

C’est à compter du 11 novembre que le préfet d’Eure-et-Loir, Jean Moulin, suite à un décret de révocation du samedi 2 novembre, cesse ses fonctions.

« Votre nom appartient désormais à l’Histoire, déclare un fonctionnaire de la préfecture dans son discours d’adieu à Jean Moulin. Votre nom sera pour tous un symbole et le synonyme de bonté, d’énergie, de courage, de loyauté, d’honneur et de patriotisme. »

Pour ces phrases, l’auteur du discours est condamné par le nouveau préfet, un inspecteur général des finances, à être envoyé au camp d’internement de Châteaubriant.

Jean Moulin, avant de quitter la région, prend congé des autorités d’occupation.

C’est le nouveau Feldkommandant de la région, le major Ebmeir qui le reçoit et lui dit :

« Au nom de la Wehrmacht, je vous félicite de l’énergie avec laquelle vous avez su défendre les intérêts de vos administrés et l’honneur de votre pays. »

L’officier allemand ne sait pas qu’il rend ainsi plus indigne le comportement du haut fonctionnaire que Vichy vient de nommer en remplacement de Jean Moulin, révoqué ce 11 novembre 1940.