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Ils sont d’autant plus attentifs à l’action et aux prises de position du chef de la France Libre qu’en ce mois de novembre 1940, chacun de ces hommes engagés dans la résistance sent bien que la guerre approche d’un tournant majeur.

L’Angleterre non seulement n’est pas vaincue mais ses bombardiers attaquent presque chaque nuit Berlin.

Ses avions torpilleurs détruisent une bonne partie de la flotte italienne à Tarente. Et les troupes du Duce connaissent défaite sur défaite en Cyrénaïque, en Grèce. Les troupes anglaises ont pris pied en Crète.

L’élargissement du conflit est prévisible.

Roosevelt, le lundi 4 novembre, a été réélu pour un troisième mandat à la présidence et il renforce aussitôt ses liens avec Londres.

Les Anglais sont assurés de se voir approvisionnés, en armes et en matériel, malgré les « meutes » de sous-marins allemands.

En Europe de l’Est, des tensions de plus en plus vives aigrissent les rapports entre le Reich et l’URSS de Staline.

Hongrie, Roumanie, Tchécoslovaquie, Slovaquie sont sous influence allemande et négocient leur entrée dans le Pacte tripartite (Italie, Allemagne, Japon).

Les Russes savent désormais que la question n’est plus d’éviter la guerre avec l’Allemagne de Hitler, mais d’en retarder le plus longtemps possible le déclenchement. Dans ce but, Molotov, l’homme de Staline, le « commissaire » aux Affaires étrangères, se rend à Berlin les mardi 12 et mercredi 13 novembre.

« Molotov vient d’arriver à Berlin par temps gris et sous la pluie, note William Shirer. Je l’ai vu passer Unter den Linden, en route vers l’ambassade soviétique. Il ressemble à un maître d’école provincial. » Voire…

L’homme trapu, la démarche pesante, a survécu à toutes les rivalités du « gang d’égorgeurs du Kremlin », rappelle Shirer.

Il reçoit un accueil froid et cérémonieux, passe entre deux rangées inquiétantes et figées de SS casqués.

Il oppose dans toutes les discussions un réalisme glacé aux vastes promesses de Ribbentrop puis de Hitler.

« Aucun homme d’État étranger ne s’était permis jusqu’alors de parler au Führer sur ce ton en ma présence », relève l’interprète, le docteur Schmidt.

Molotov désarçonne Hitler qui, à bout de nerfs, interrompt l’entretien du mardi 12 novembre.

Le lendemain, Molotov écoute Hitler lui proposer de participer au partage de l’Empire britannique et, ignorant cette offre, il pose des questions précises sur les initiatives allemandes aux frontières de l’URSS.

Hitler abandonne la discussion et ne participe pas au dîner offert par Molotov à l’ambassade soviétique.

Au moment où Ribbentrop se lève pour répondre au toast porté par Molotov au début du dîner, les sirènes retentissent et l’on se précipite aux abris.

Et lorsque Ribbentrop déclare une nouvelle fois que l’Angleterre est vaincue, Molotov dit seulement, mais sa voix est cinglante : « S’il en est ainsi, que faisons-nous dans cet abri et d’où viennent les bombes qui pleuvent sur Berlin ? »

Staline quelques jours plus tard se déclare prêt à adhérer au pacte Japon, Italie, Allemagne, mais les conditions qu’il pose sont telles que Hitler ne peut que les refuser.

Le Führer réunit ses chefs militaires et déclare :

« Staline est un homme habile et retors, un maître chanteur cynique aux exigences insatiables. Il demandera toujours davantage. Conclusion : la Russie doit être réduite à merci, le plus tôt possible. »

« C’est une guerre mondiale et totale qui s’annonce », prévoit de Gaulle.

« Une telle guerre est une révolution, la plus grande de toutes celles que le monde a connues », poursuit-il dans le discours qu’il prononce le vendredi 29 novembre à la radio de Londres.

« Il est maintenant établi que si des chefs indignes ont brisé l’épée de la France, la nation ne se soumet pas au désastre.

« Oui, la flamme de la résistance française, un instant étouffée par les cendres de la trahison, se rallume et s’embrase…

« Que voulons-nous ? D’abord combattre.

« Ce que nous apportons, nous, les Français Libres, d’actif, de grand, de pur, nous voulons en faire un ferment.

« Nous, les Français Libres, entendons faire lever un jour une immense moisson de dévouement, de désintéressement, d’entraide.

« C’est ainsi que, demain, revivra notre France. »

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« Français,

« Je viens de prendre une décision que je juge conforme à l’intérêt du pays. »

Il est 19 h 30, ce samedi 14 décembre 1940, et ce message du maréchal Pétain surprend les auditeurs.

Les émissions de radio ont été interrompues et la voix solennelle du présentateur des grands événements a annoncé que le chef de l’État allait s’adresser à la nation.

Le silence s’est fait aussitôt autour du poste de TSF dont on s’est rapproché.

On sent bien depuis quelques jours que « quelque chose se prépare ».

Il y a eu cet article de Marcel Déat publié le 2 décembre à Paris dans l’Œuvre.

Déat a une voix qui porte. Cet ancien socialiste qui refusait la guerre – il ne voulait pas « mourir pour Dantzig » – est un ardent partisan de la collaboration, un converti au national-socialisme, il est proche de Doriot, l’ancien communiste créateur du Parti populaire français. Mais les deux hommes sont rivaux, même s’ils frappent avec la même ardeur sur les « lâches » de Vichy.

Marcel Déat écrit dans l’Œuvre, ce lundi 2 décembre, et ce ne peut être qu’avec l’accord de la Propaganda Staffel et d’Abetz, l’ambassadeur du Reich.

« Les ministres ont trahi la confiance que le Maréchal avait mise en eux… En cette heure difficile où la France se relève et doit se retrouver, il n’est pas possible d’en remettre plus longtemps le sort quotidien aux mains de sectaires, de cuistres, de trublions et d’incapables notoires. »

On croirait entendre Pierre Laval, vice-président du Conseil, fustiger ces ministres timorés qui ne veulent pas envisager une collaboration militaire avec l’Allemagne contre l’Angleterre.

C’est une vieille affaire.

Déjà, dans les années trente, Pierre Laval s’opposait aux « anglophiles » et proposait non pas de faire la guerre au fascisme et au nazisme, mais de s’allier avec eux.

Or la défaite n’a pas fait disparaître les anglophiles.

Dans Le Cri du peuple, l’hebdomadaire de Doriot, on les énumère et on les dénonce :

« Il y a la totalité des Juifs d’abord, de nombreux communistes, les francs-maçons, tous les bénéficiaires de l’ancien régime, les bourgeois capitalistes, des paysans qui sont la proie des usuriers juifs… »

On écoute donc le Maréchal. On continue d’avoir confiance en lui.

Des foules immenses l’ont acclamé, les mardi et mercredi 3 et 4 décembre, à Marseille et à Toulon.

On l’a vu, aux actualités cinématographiques, retrouver l’amiral Darlan sur le Strasbourg – un cuirassé qui a réussi à échapper aux obus et aux avions anglais lors de l’attaque de Mers el-Kébir.

On s’est une nouvelle fois indigné de la traîtrise anglaise alors que l’on avait promis de ne pas livrer la flotte française aux Allemands.

Elle est là, fière et forte dans cette rade de Toulon.

« Je viens de prendre une décision, a donc dit le chef de l’État.

« M. Pierre Laval ne fait plus partie du gouvernement.