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« M. Pierre Étienne Flandin reçoit le portefeuille des Affaires étrangères.

« L’acte constitutionnel n° 4 qui désigne mon successeur est annulé.

« C’est pour de hautes raisons de politique intérieure que je me suis résolu à prendre cette détermination. Elle ne retentit en rien sur nos relations avec l’Allemagne.

« Je demeure à la barre. La Révolution nationale se poursuit. »

On s’interroge devant ce coup de théâtre.

Laval destitué a, dit-on, été arrêté hier soir, vendredi 13, assigné à résidence dans sa propriété de Châteldon, autour de laquelle un cordon de gendarmes casqués, fusil en bandoulière, a pris position.

Vichy est en état de siège.

Les hommes des Groupes de protection – cette petite armée aux ordres du ministre de l’Intérieur, et commandée par le colonel Groussard –, et des officiers proches de la Cagoule gardent les différents hôtels. Ils ont envahi les couloirs de l’hôtel du Parc et du Majestic.

Laval, dit-on, est tombé dans un piège monté par les ministres Bouthillier, Alibert, en accord avec l’amiral Darlan.

À l’ouverture du Conseil des ministres, Pétain a demandé à chaque ministre de rédiger une lettre de démission. Puis le chef de l’État, après les avoir recueillies, s’est absenté une dizaine de minutes.

Il est revenu, très pâle, et a seulement dit :

« Les démissions de MM. Laval et Ripert sont acceptées. »

Ripert, ministre de l’Éducation nationale ne demandait qu’à partir, mais Laval est stupéfait, saisi.

« Qu’y a-t-il, monsieur le Maréchal ? Vous m’avez reçu cet après-midi même et vous ne m’avez parlé de rien. »

Pétain ne peut répondre franchement. Il lui faudrait révéler à Pierre Laval que les ministres et le Maréchal d’abord sont hostiles à l’idée de coopérer militairement avec l’Allemagne.

Pétain a même longuement rencontré l’ambassadeur du Canada à Vichy, Pierre Dupuy, et l’a chargé de transmettre à lord Halifax un protocole.

L’Angleterre desserrerait le blocus, laisserait approvisionner la France en pétrole, en denrées, en échange de garanties que ces marchandises ne tomberaient jamais aux mains des Allemands ; comme naturellement la flotte de guerre.

« Derrière une façade de mésentente, il faut nous entendre », tel est le sens de ce protocole.

Pierre Dupuy ajoute : « L’essentiel est de sauver l’unité de la France et de la civilisation chrétienne. » Or, une conférence militaire s’est ouverte entre Français et Allemands, à l’ambassade allemande à Paris. Pierre Laval et Abetz la patronnent.

Puis, coup de théâtre. Hitler invite le Maréchal à se rendre le dimanche 15 décembre à Paris pour assister… au transfert des cendres de l’Aiglon de la crypte des Capucins, à Vienne, aux Invalides où il reposerait aux côtés du tombeau de son père, Napoléon.

« Nous avons besoin de charbon, ils nous font cadeau de cendres ! » ironise-t-on. Pétain veut refuser l’invitation. Il ne peut accepter de paraître à Paris, entouré d’Allemands, de troupes du Reich lui rendant les honneurs.

Mais il biaise, fait mine de céder aux pressions de Laval.

Puis il se rallie aux décisions de Bouthillier, d’Alibert, de Darlan de démettre Laval, de l’arrêter, et de se saisir aussi, à Paris, de Marcel Déat.

En même temps, il craint les réactions allemandes face à ce coup de force contre les plus déterminés de leurs partisans.

« Qu’y a-t-il, monsieur le Maréchal ? » répète Laval qui, debout, fixant Pétain, serre le dossier de sa chaise.

Pétain se dérobe, incrimine la presse parisienne qui attaque le gouvernement.

Laval répond avec vigueur qu’il n’est pas l’inspirateur des journalistes, pas plus qu’il n’entretient des relations avec Déat et Doriot.

Alors Pétain évoque le secret dont Laval entoure ses négociations avec les Allemands.

« Chaque fois que vous alliez à Paris, je me demandais quelle tuile allait nous tomber sur la tête », dit-il.

Laval met en cause certains ministres dont il se méfie.

Pétain, d’une voix nette, impérieuse, répète, marquant la fin de l’affrontement :

« Vous avez perdu ma confiance ! Vous avez perdu ma confiance ! »

Pierre Laval se redresse, comme si ces mots l’avaient fouetté, indigné, révolté.

« Je n’ai jamais pensé qu’à l’intérêt de la France, dit-il. Je souhaite, monsieur le Maréchal, que votre décision ne fasse pas trop de mal à mon pays. »

Plus tard, il confie, fièrement :

« J’ai commencé à ramasser mes papiers, j’ai l’habitude de quitter les ministères et d’y revenir. Je sais donc qu’il faut faire ses paquets. Je les ai faits. »

Le lendemain, samedi 14 décembre, le maréchal Pétain reçoit Pierre-Étienne Flandin.

Le parlementaire, l’ancien président du Conseil de la IIIe République, la personnalité marquante de l’avant-guerre qui s’était distinguée en écrivant une lettre à Daladier, Chamberlain et Hitler pour approuver l’accord de Munich, s’étonne des conditions de sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères.

« Je n’avais ni le temps ni le moyen de vous consulter, répond Pétain. Et moi, croyez-vous que l’on m’a consulté pour faire de moi le chef d’un État vaincu ? Au surplus, vous ne pouvez pas refuser la succession de Laval, dans les conditions où elle se présente. Les négociations de Laval à Paris risquent de nous amener à déclarer la guerre à l’Angleterre. Je ne tolérerai pas ces agissements. »

Flandin demande au chef de l’État quelle est la politique qu’il désire qu’il fasse, et en particulier il veut connaître les engagements pris par le Maréchal à Montoire.

Pétain se dirige alors vers le petit meuble où il conserve ses papiers personnels et en sort, rédigé de sa main, le compte rendu de son entrevue avec Hitler.

Flandin le lit et constate qu’il n’y a que des généralités. Mais Pétain ne lui dit rien des accords secrets, de même qu’il n’évoque pas ses négociations avec l’Angleterre. Il n’éprouve envers Flandin aucune hostilité, mais les officiers qui approchent le Maréchal – ainsi le général Laure, son aide de camp – l’entendent murmurer :

« Flandin, c’est un parlementaire, il ne peut que nous rouler dans la farine. »

Et lorsque, à l’intérieur du gouvernement, Pétain crée un Comité directeur composé de trois membres, il en confie la présidence à l’amiral Darlan, charge le général Huntziger de la Défense nationale, Flandin conservant les Affaires étrangères.

Entre Flandin et Pétain, qui paraissent d’accord sur l’essentiel – refus d’une collaboration militaire avec le Reich, et opposition au retour de Laval au pouvoir –, des divergences surgissent vite.

Flandin est prêt à une épreuve de force avec Otto Abetz, qui enrage depuis qu’il a appris l’arrestation de Laval et de Déat.

L’ambassadeur du Reich menace de représailles si on ne relâche pas l’un et l’autre.

« J’irai chercher Laval à Vichy moi-même avec une division blindée », dit Abetz.

Pétain, lui, ne veut courir aucun risque. Il ne veut pas affronter les Allemands. Il est prêt à prendre en considération toutes leurs demandes… sauf la collaboration militaire, car même le retour de Laval lui paraît une concession possible, quoi qu’il en dise à Flandin.

De Gaulle, le lundi 16 décembre, a stigmatisé avec mépris ces manœuvres « vichyssoises ».

« Il paraît qu’à la cour du sultan de Vichy, une révolution de palais a chassé le grand vizir ! ironise-t-il avec mépris. Il paraît que Vichy a demandé l’investiture de Hitler pour un successeur. Mais ces sortes de changements n’intéressent que la cour de Vichy, ses chambellans, ses valets, ses espions et ses eunuques.