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« La France se détourne avec dégoût de telles intrigues et combinaisons.

« La nation sait, conclut de Gaulle, que quand on pactise avec le diable, je veux dire l’ennemi, c’est pour aller de crime en crime ».

À Vichy, en cette mi-décembre, le désarroi, l’inquiétude, la peur saisissent les hommes proches du pouvoir.

Il se murmure que les Allemands vont envahir la zone libre.

On répète que le Maréchal est anxieux, qu’il interroge tous ses visiteurs.

« Avons-nous fait du bon travail ? Que va-t-il résulter de tout cela ? » demande-t-il.

À Paris, dans la nuit du dimanche 15 décembre, Otto Abetz tombe le masque.

Le visage fermé, il assiste en compagnie du général von Stülpnagel au transport des cendres de l’Aiglon. Entre les Allemands et les représentants du gouvernement de Vichy – l’amiral Darlan, le général Laure, l’ambassadeur de Vichy à Paris, Brinon – on n’échange même pas un regard.

Cette cérémonie, qui devait illustrer l’amitié franco-allemande, témoigne au contraire de la tension entre vainqueurs et vaincus.

« Je suis allé à minuit et demi à la grille de la place Vauban, raconte le général Laure. Cérémonie lugubre, sinistre, à laquelle n’assiste aucun Français en dehors des officiels.

« Le cercueil passe des mains des Allemands aux mains des gardes municipaux de Paris. Il franchit le seuil entre deux rangées de torches.

« L’amiral Darlan croit devoir saluer le général von Stülpnagel et Abetz qui le reçoivent froidement.

« Abetz, d’un ton dédaigneux, leur intime l’ordre d’attendre à leur hôtel. “J’ai une communication très importante à faire”, précise-t-il. »

Ce n’est qu’à 4 heures du matin, le lundi 16 décembre, que le général Laure reçoit le message d’Abetz :

« Interdiction absolue au gouvernement de Vichy de faire la moindre communication sur ce qui s’est passé le 13 décembre. »

Les Allemands ne veulent pas qu’on annonce la démission forcée de Laval et son arrestation. Mais il est trop tard.

Abetz l’apprend à 9 heures du matin ce même lundi 16, alors qu’aux Invalides, on célèbre à la chapelle, en présence des mêmes officiels, une messe en mémoire de l’Aiglon.

Abetz ne peut dissimuler sa fureur.

Il convoque Darlan et Laure, à l’ambassade d’Allemagne, rue de Lille.

« Nous avons reçu la diatribe, la folle diatribe, les invectives d’Abetz contre les événements du 13 décembre, raconte le général Laure. C’est à moi qu’il a adressé ses invectives parce que je représentais à ses yeux la personnalité du maréchal Pétain. C’est moi qui étais à ses yeux responsable de ces événements. Cela a été très long, je n’ai rien dit. »

Puis Abetz se tourne vers l’amiral Darlan et le ton change, tout à coup flatteur, comme si Abetz avait deviné la vanité de l’amiral et ses ambitions.

Le général Laure écoute Abetz promettre à Darlan une place éminente « qu’un homme de la qualité de l’amiral, dont la flotte est invaincue, pourrait tenir dans l’Europe future réorganisée ».

« Je n’insiste pas davantage, dit le général Laure. Je demande à partir, les laissant en conversation. »

De Gaulle l’a prévu, dès le dimanche 8 décembre :

« Nous ne doutons pas une minute que l’ennemi tienne en réserve divers candidats à la trahison, empressés de prendre la place.

« Nous ne doutons pas une minute que l’ennemi parvienne, avec ou sans Vichy, à obtenir la collaboration d’une équipe qui se dira le gouvernement. »

Pour Vichy, c’est un moment de vérité.

Abetz, dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 décembre, arrive à Vichy, escorté par deux automitrailleuses chargées de SS et de gardes du corps.

Il vient libérer Laval.

Ses gardes du corps bousculent le général Laure. Abetz force la porte de la chambre où repose Pierre-Étienne Flandin, malade d’une angine.

Abetz parle d’une voix saccadée, Flandin ne doit pas accepter le poste de ministre des Affaires étrangères.

« Laval a commencé avec nous des négociations diplomatiques capitales, il importe qu’il les mène à leur terme », dit Abetz.

Il faut que Laval revienne dans le gouvernement, où Flandin peut figurer mais à un autre poste.

« Jusqu’à plus ample informé, répond Flandin, le maréchal Pétain est libre du choix de ses collaborateurs. »

Voire…

Abetz est reçu par Pétain qui tergiverse, accepte la libération de Laval, mais avant qu’il rentre au gouvernement il faut une enquête.

C’est la méthode Pétain : gagner du temps, céder en apparence, inviter Abetz à déjeuner. Et l’Allemand croit que l’affaire est réglée.

Puis Laval arrive, hors de lui, parlant à Pétain comme jamais personne ne l’a fait.

« L’intérêt de la France, hurle Laval, c’est de s’entendre avec son vainqueur dans l’honneur et la dignité ; mais vous vous en moquez bien, de l’honneur et de la dignité ! »

Le ton se durcit encore, devient méprisant, haineux :

« Vous n’êtes qu’un fantoche, une baudruche, une girouette qui tourne à tous les vents. »

« Je n’ai rien entendu, mentira le général Laure quand Pétain lui demande de rédiger le « procès-verbal » de cette rencontre décisive.

— Qu’à cela ne tienne, répond Pétain. Dites que j’ai proposé à M. Abetz de rendre à M. Laval un portefeuille, mais un portefeuille qui ne le ferait pas entrer dans un triumvirat, qui serait un portefeuille de qualité secondaire : Production industrielle ou Agriculture. »

C’est la rupture entre Pétain et Laval, entre Laval et le gouvernement français.

On voit Laval, ce mardi 17 décembre, dîner au restaurant Chanteclerc, à la table d’Abetz et du conseiller Achenbach, les deux Allemands en uniforme nazi.

On le voit quitter son ministère entre deux haies de soldats allemands armés de mitraillettes.

On le voit s’embarquer dans une voiture allemande, escortée par les deux automitrailleuses.

On apprendra qu’au passage de la ligne de démarcation, à Moulins, Laval n’est pas descendu de voiture, et n’a pas salué le général Laure qui, protocolairement, a accompagné l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz.

Et le général Laure se souvient l’avoir entendu dire, dans la journée, à Vichy :

« Ce n’est plus du côté français que je devrai chercher mes amis. C’est du côté allemand. »

Ainsi Laval confirme de manière définitive son choix. Il fait allégeance au Führer. Entre Pétain et Hitler, il opte pour l’Allemand.

Il écrit au chancelier du Reich, dès le mercredi 18 décembre. Il le remercie.

« Ma libération, c’est à vous que je la devrai, proclame-t-il.

« Par son action, le gouvernement français a commis une faute grave, poursuit-il, mais j’espère de tout mon cœur que mon pays n’aura pas à en souffrir. »

Il veut conduire, explique-t-il, une « collaboration avec l’Allemagne, loyale, sans ambiguïté ».

« J’aime mon pays et je sais qu’il peut trouver une place digne de son passé dans la Nouvelle Europe que vous construisez. »

Il n’y a plus pour lui d’autre voie que de s’en remettre au Führer.

« Je crois pouvoir conclure de votre attitude, Monsieur le Chancelier du Reich, que vous avez foi dans la sincérité de mes efforts. Vous vous y êtes aussi peu trompé que je ne me suis mépris moi-même sur la magnanimité et la grandeur que vous avez exprimées en offrant à la France une collaboration au lendemain de votre victoire.

« Veuillez agréer, Monsieur le Chancelier du Reich, l’assurance de ma très haute considération, et veuillez croire à la fidélité de mon souvenir. »