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De Gaulle évoquera ces quelques « prétendus ministres à qui seule la victoire de l’Axe peut conserver leur place, leur vie ».

« Et les nazis savent, ajoute de Gaulle, comment briser la résistance velléitaire des hésitants de Vichy. »

Le passage de la ligne de démarcation devient plus difficile. Il est interdit à tous les fonctionnaires, à l’exception des agents des postes et des cheminots, utiles aux autorités allemandes.

Les ministres eux-mêmes sont refoulés.

Les libérations de prisonniers, prévues, sont arrêtées. La presse parisienne, financée et contrôlée par les services de la Propaganda Staffel, dénonce chaque jour les « Anglophiles et les Juifs qui infestent Vichy et… Kahn ».

Vichy cède.

L’amiral Darlan sollicite une audience du Führer afin de lui remettre une lettre personnelle du Maréchal, chef de l’État.

Le mercredi 25 décembre – jour de Noël ! – l’entrevue a lieu dans le wagon du Führer qui stationne non loin d’un tunnel, à la Ferrière-sur-Epte, à 40 kilomètres au sud-ouest de Beauvais.

Hitler est hors de lui. Il tonitrue. Il menace Darlan, les Français :

« Je déclare solennellement que pour la dernière fois, j’offre une politique de collaboration à la France. Mais je crains que le gouvernement français ne s’engage à nouveau dans la même voie que celle qui l’a conduit à Vichy. Je le regrette et je crois que tôt ou tard la France se rendra compte, si elle refuse la collaboration, qu’elle a pris une des décisions les plus regrettables de son histoire. »

Hitler, furieux, ponctue chaque phrase de grands gestes, il va et vient, éructe.

« Jamais je n’ai engueulé un officier comme je le fus, confie l’amiral Darlan. Et encore, l’interprète n’a dû me transmettre qu’une partie des vitupérations d’un Hitler démoniaque. »

En fait, Darlan chancelle sous l’orage.

« J’ai fait tout ce voyage pour une conversation de vingt minutes qui n’a rien résolu, rien réglé. J’ai écouté l’explosion d’une mauvaise humeur. »

Mais sous l’avalanche des mots, Darlan cède, donne des preuves de sa bonne volonté.

Il a toujours pensé, dit-il, que « le seul espoir de la France résidait dans la collaboration avec l’Allemagne dans le cadre de l’Ordre nouveau européen ».

Il reprend, presque terme à terme, les propos de Laval, comme s’il cherchait à proposer ses services, à remplacer Laval, afin d’être au sein du gouvernement français l’homme de la collaboration.

« Comme Européens, les Français doivent collaborer loyalement avec l’Allemagne, dans la mesure à déterminer, il est vrai, par le Führer, dit-il.

« La France, en tant que pays vaincu – et je ne l’oublie pas un instant –, ne peut en effet collaborer que dans la mesure désirée et fixée par l’Allemagne. »

Il va plus loin, critique la politique extérieure de la France des vingt dernières années.

« En ce qui me concerne personnellement, j’ai toujours été partisan de la collaboration franco-allemande depuis que je joue un rôle dans la vie publique en France, précise-t-il.

« Je demande très respectueusement que l’Allemagne veuille bien continuer la collaboration avec la France. »

C’est la fin de l’année quarante.

« Pour les hommes qui ont décidé la capitulation, dit de Gaulle, les hommes qui ont accepté que l’ennemi fût et demeurât à Paris, à Bordeaux, à Lille, à Reims, à Strasbourg, qui ont proclamé non seulement la soumission de la France mais encore sa collaboration avec l’ennemi qui l’écrase… Il ne leur restera qu’à suivre jusqu’au bout la route de la trahison. »

Darlan, après Laval.

Il est en ces jours de la fin décembre, alors qu’on manque de charbon et de pain, que les queues s’allongent devant des boutiques aux rayons vides, d’autres hommes.

L’un d’eux, un ingénieur de vingt-huit ans, Jacques Bonsergent, est conduit dans les fossés du fort de Vincennes, à l’aube du lundi 23 décembre. Hier, dimanche 22, on lui a appris qu’il ne serait pas gracié. Au cours d’une bousculade, rue Saint-Lazare, non loin de la gare parisienne, un compagnon de Jacques Bonsergent a levé la main sur un Feldwebel – un sous-officier – de la Wehrmacht. C’est Jacques Bonsergent qui a été arrêté et condamné à mort le jeudi 5 décembre, par la cour martiale allemande.

Le lundi 23 décembre, il est fusillé.

Des affiches sont apposées, quelques heures plus tard, sur les murs de Paris. Elles annoncent, en allemand et en français, l’exécution.

Sous les affiches aux lettres noires, les policiers français ont collé un Avis.

« La préfecture de police informe que la lacération et l’endommagement d’affiches de l’Autorité Occupante seront considérés comme actes de sabotage et punis des peines les plus sévères. »

Mais les affiches de la Kommandantur sont lacérées.

Elles sont bientôt gardées par des agents de police qui semblent constituer une garde d’honneur de part et d’autre de la stèle du premier fusillé de Paris.

Et des passants déposent, au pied de chaque affiche, des bouquets de fleurs qui dans « certains quartiers jonchent bientôt la chaussée ».

Le jour de Noël, au moment même où l’amiral Darlan s’offre à Hitler, un officier de marine, le commandant d’Estienne d’Orves, débarque à Plogoff, en Bretagne.

Il a choisi d’être un Français Libre.

Il arrive d’Angleterre avec son radio – Marty. Il a pour mission de monter un réseau de renseignements.

Et ce jour de Noël 1940, avant de partir pour Paris, il établit sa première liaison radio avec Londres.

D’Estienne d’Orves et son radio savent qu’ils risquent non seulement la peine de mort mais aussi la torture.

À l’autre extrémité de la France, dans le Jura, à Poligny, la nuit de Noël, le passeur Paul Koepfler, fait franchir la ligne de démarcation à 120 personnes qui veulent se réfugier en zone non occupée.

« 120 personnes qui vont l’une derrière l’autre, ça fait une sacrée file et ça fait du bruit… »

Le maréchal Pétain, dans son message du mardi 31 décembre 1940, déclare :

« Je me suis donné à la France, c’est-à-dire à vous tous. »

Il ajoute aussitôt :

« Nous aurons faim… »

Avant de conclure :

« La France continue,

« Bonne année, mes chers amis ! »

Ce même mardi 31 décembre 1940, de Gaulle invite les Français à « manifester » le 1er janvier 1941 en restant chez eux, de 14 heures à 15 heures, dans la France non occupée, et de 15 heures à 16 heures, dans la France occupée.

Il ajoute :

« L’heure d’espérance du 1er janvier voudra dire :

« Nos provinces sont à nous ! Nos terres sont à nous ! Nos hommes sont à nous ! Celui qui nous prend nos provinces, qui mange le blé de nos terres, qui tient nos hommes prisonniers, celui-là est l’ennemi !

« La France n’attend rien de l’ennemi, excepté ceci : qu’il s’en aille ! Qu’il s’en aille vaincu…

« C’est cela que tous les Français vont signifier à l’ennemi en observant l’heure d’espérance. »

FIN

[1] Aragon, La guerre et ce qui s’en suivit, Le Roman inachevé, 1956.

[2] Daniel Cordier, Alias Caracalla : mémoires, 1940-43, collection « Témoins », Gallimard, 2009. Le témoignage exceptionnel du secrétaire de Jean Moulin.

[3] Poste de télégraphie sans fil.

[4] Futurs héros.

[5] Le Reichstag détruit lors de l’incendie du 25 février 1933 et dont les nazis ont accusé les communistes de l’avoir suscité n’a pas été reconstruit.