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Manstein propose de porter l’effort principal de l’offensive sur les Ardennes, réputées infranchissables par les blindés.

Il a interrogé le général Guderian, puis convaincu le général von Rundstedt.

Au quartier général de l’armée – l’OKH –, les généraux Brauchitsch et Halder sont réticents devant ce jeune général qui bouleverse leur stratégie. Ils décident de le muter de son poste et de l’envoyer commander une unité d’infanterie, loin du quartier général.

Mais Hitler veut rencontrer von Manstein, aux idées si originales qu’on veut l’écarter.

Il est séduit, s’empare de son idée, l’impose.

À la fin de janvier, les nouveaux plans qui font des Ardennes la charnière de la manœuvre commencent à être élaborés.

Les Français n’ont laissé face aux forêts ardennaises qu’un mince écran de divisions de second ordre. Les blindés les bousculeront, les détruiront. Et, comme un grand coup de faux, les divisions motorisées allemandes trancheront les communications des troupes anglo-françaises entrées en Belgique.

Mais le général Halder, chargé d’élaborer les nouveaux plans, avertit le Führer qu’ils ne pourraient s’appliquer que dans quelques mois.

Ils exigent en effet qu’on déplace la plupart des unités, que l’offensive contre la Belgique et la Hollande demeure puissante, capable de surprendre par l’emploi de l’aviation des parachutistes et des divisions motorisées, de refouler le meilleur de l’armée française et du corps expéditionnaire britannique. Et qu’en même temps elle soit un leurre attirant l’ennemi, que les divisions de Panzers venues des Ardennes attaqueront sur ses arrières.

« Il faut fermer la nasse, atteindre Calais, Dunkerque, dit Hitler.

— Dans trois mois les plans seront prêts, répond Halder. Les divisions blindées auront rejoint leurs emplacements de départ.

— Offensive en mai », murmure Hitler.

4

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Cette intention d’Adolf Hitler de rééditer sur le Rhin ce qui lui a magistralement réussi sur la Vistule, quelques hommes, en janvier 1940, l’ont percée à jour.

En France et en Angleterre, un colonel Charles de Gaulle, un Winston Churchill, Premier lord de l’Amirauté, un Paul Reynaud, ministre des Finances, et une poignée d’autres ne sont pas dupes de cette « drôle de guerre », ce piège tendu par Hitler, et dans lequel s’engourdissent les armées alliées.

Sur les bords du Rhin, depuis le 3 septembre 1939, on meurt plus de froid et de maladie, d’accident, que d’un éclat d’obus ou d’une balle.

On somnole dans les postes de guet. On ne tire pas sur l’ennemi afin de ne pas susciter sa riposte.

Charles de Gaulle brise cette quiétude, ce refus d’analyser la pensée de l’ennemi.

« J’ai lu Mein Kampf », dit de Gaulle à un groupe de parlementaires anglais venus visiter le camp d’entraînement de Blamont où de Gaulle forme les équipages des chars.

« Messieurs, nous avons perdu la guerre, continue-t-il d’une voix forte. Il s’agit maintenant d’en gagner une seconde. »

Il dévisage ces honorables membres de la Chambre des communes qui piétinent dans la boue et s’étonnent, se scandalisent de ses propos.

« Les chars allemands ne passeront pas la Manche, reprend de Gaulle. Les Américains et les Russes entreront dans le conflit. Le pacte germano-soviétique n’a qu’une durée provisoire. »

Quelques jours plus tard, alors qu’il est invité à dîner rue de Rivoli, dans les appartements du ministre des Finances, Paul Reynaud, de Gaulle récidive en répondant à Léon Blum, ancien président du Conseil socialiste, autre convive de Reynaud, qui l’interroge sur l’avenir :

« Mon pronostic ? Le problème est de savoir si au printemps les Allemands attaqueront vers l’ouest pour prendre Paris ou vers l’est pour atteindre Moscou ! »

À la fin de la soirée, raccompagnant Blum chez lui, de Gaulle confie ses craintes d’une voix sourde.

« Je joue mon rôle dans une atroce mystification, dit-il. Les quelques douzaines de chars légers qui sont rattachés à mon commandement sont une poussière. Je crains que l’enseignement de la Pologne pourtant si clair n’ait été récusé de parti pris. On ne veut pas que ce qui a été réussi là-bas soit exécutable ici. Croyez-moi, tout reste à faire chez nous. Si nous ne réagissons pas à temps, nous perdrons misérablement cette guerre. Nous la perdrons par notre faute. Si vous êtes en mesure d’agir de concert avec Paul Reynaud, faites-le, je vous en conjure ! »

De Gaulle ne renonce pas à convaincre.

Le 21 janvier 1940, il adresse à quatre-vingts personnalités politiques ou militaires un mémorandum intitulé L’Avènement de la force mécanique. Il y répète que le char – le « moteur combattant » – est l’arme décisive de cette guerre.

« Les chars, écrit-il, employés en masse comme il se doit, seraient capables de surmonter nos défenses actives ou passives… Combien de guerres furent, à leurs débuts, marquées par une surprise et une erreur d’appréciation, de prévision. Ici, c’est l’inertie qui est le fait nouveau. Mais c’est un faux-semblant. Les moteurs combattants peuvent rompre toutes les lignes de fortification. »

Il conclut :

« Ne nous y trompons pas, le conflit qui est commencé pourrait bien être le plus étendu, le plus complexe, le plus violent de tous ceux qui ravagèrent la terre. »

Aucune réaction officielle à son mémorandum.

De Gaulle n’est qu’un colonel qui n’a pas encore cinquante ans. Certes Reynaud et Blum approuvent le texte, mais Daladier, président du Conseil et ministre de la Guerre, n’a pas daigné lire le mémorandum.

Alors, il faut poursuivre l’entraînement des hommes et des « machines ». Il faut attendre que l’événement vienne bousculer toutes les lignes et espérer un sursaut salvateur.

À Londres, Churchill s’exprime avec la même lucidité et une détermination équivalente.

« Nous avons essayé encore et encore d’éviter cette guerre, dit-il, et pour l’amour de la paix, nous nous sommes résignés à beaucoup de choses qui n’auraient pas dû arriver. Mais maintenant, nous sommes en guerre et nous ferons la guerre, et nous continuerons à faire la guerre et jusqu’à ce que l’autre camp en ait eu assez ! »

Et le Premier lord de l’Amirauté prophétise devant le micro de la BBC :

« La tempête va faire rage, elle va mugir, toujours plus fort, toujours plus violemment. Elle va s’étendre au sud, elle va s’étendre au nord. Aucune fin rapide n’est possible sinon par une action commune. »

La voix se fait plus grave, le ton plus dur :

« Vous pouvez être absolument assurés que, de deux choses l’une, soit tout ce que la Grande-Bretagne et la France représentent dans le monde moderne disparaîtra, soit Hitler, le régime nazi et la menace allemande ou prussienne périodique seront brisés ou détruits. Voilà où nous en sommes et tout le monde ferait bien de prendre son parti de cette réalité concrète et sombre. »

5

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Chaque jour de ces premiers mois de 1940, de février à avril, d’un hiver implacable à un printemps étincelant et souverain, confirme les intuitions et les analyses du colonel Charles de Gaulle et de sir Winston Churchill, Premier lord de l’Amirauté.

Hitler, comme un fauve qui, les yeux mi-clos, guette sa proie, continue de jouer avec l’esprit de ces millions d’hommes mobilisés, arrachés à leur vie que ronge l’inaction et que désoriente la propagande de Radio Stuttgart. Un journaliste français à la voix nasillarde – un certain Ferdonnet – connaît l’emplacement des unités françaises aussi bien – et mieux – que les officiers dont il cite les noms.