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Max Gallo

de l’Académie française

1941

Le monde prend feu

Récit

XO

ÉDITIONS

© XO Éditions, Paris, 2011

ISBN : 978-2-84563-467-1

« Nous proclamons que l’ennemi est l’ennemi. Quand l’Allemand est à Paris, à Bordeaux, à Lille, à Reims, à Strasbourg, quand l’Allemand et l’italien prétendent dicter leur loi à la nation française, il n’y a rien à faire que de combattre…

Nous proclamons que si l’armée française a perdu une grande bataille, elle n’a pas perdu la guerre. Car cette guerre est une guerre mondiale. Si l’ennemi a pu d’abord remporter des victoires, il n’a pas gagné et il le sait bien. Déjà de durs revers le frappent. Et dans le monde entier des forces immenses se lèvent pour l’écraser. »

Général DE GAULLE

à la radio de Londres

samedi 28 décembre 1940

« En tant que Britanniques, il est de notre devoir, dans l’intérêt commun, comme pour notre survie, de tenir le front et de lutter contre la puissance nazie, jusqu’à ce que les États-Unis aient terminé leurs préparatifs… Soyez assuré que nous sommes prêts aux souffrances et aux sacrifices ultimes dans l’intérêt de la Cause et que nous nous faisons gloire d’en être les champions. »

Lettre de Winston CHURCHILL,

Premier Ministre, au président F. D. Roosevelt

7 décembre 1940

« Si les États-Unis et la Russie font la guerre, la situation se compliquera. D’où l’urgence de juguler dès à présent ces deux menaces. Une fois la Russie éliminée – notre tâche numéro 1 – nous serons à même de poursuivre indéfiniment les hostilités contre la Grande-Bretagne. Par ailleurs le Japon sera grandement soulagé et les États-Unis courront un danger supplémentaire. »

Le chancelier Adolf HITLER

devant le conseil de guerre

8 février 1941

PROLOGUE

L’heure d’espérance

Mercredi 1

er

 janvier 1941 ou

LE PLÉBISCITE DU SILENCE

C’est l’aube du mercredi 1er janvier 1941.

De Gaulle marche lentement dans le parc qui entoure la maison de campagne où, depuis le 4 octobre 1940, Yvonne de Gaulle et leurs deux filles, Anne et Élisabeth, se sont installées.

Il n’est pas une heure où de Gaulle ne s’en félicite.

Quand, pour se rendre au siège de la France Libre, au 4, Carlton Gardens, cet immeuble situé au cœur de Londres, il parcourt les rues de la capitale anglaise, il découvre chaque jour de nouvelles ruines, des rues entières ne sont plus que gravats et débris, poussière et douleur.

On retire des ruines des centaines de corps boursouflés.

La maîtrise et la dignité des survivants, des sauveteurs, de ce peuple anglais bouleversent de Gaulle.

C’est grâce à ce patriotisme britannique, à l’énergie immense de Winston Churchill, que les Allemands n’ont pas gagné la bataille d’Angleterre.

Les nazis ne débarqueront pas sur les rivages anglais.

Ils ne feront pas plier ce peuple. Et la Luftwaffe de Goering, ce Reichsmarschall drogué et mégalomane, n’est plus capable que de tuer des civils et d’incendier des quartiers de Coventry, de Bristol, de Portsmouth, de Glasgow, de Plymouth, de Birmingham, de Londres.

Mais, heureusement, la maison de campagne – à l’étrange nom de Gadlas – où vivent Yvonne, Anne et Élisabeth, est au cœur du bourg d’Ellesmere, dans le comté de Shropshire, loin des zones visées par les bombardiers allemands.

Cependant, lorsque de Gaulle séjourne à Ellesmere, il est réveillé par le grondement des meutes de bombardiers composées de plusieurs centaines d’appareils. Ils survolent le comté au début de la nuit, puis avant l’aube.

Et cette nuit, la dernière de l’année 1940, de Gaulle s’est levé. Il arpente le parc.

Il ne peut détacher les yeux de l’horizon qu’éclairent les incendies de Londres, ces lueurs immenses, jaune et rouge.

Une aube prématurée semble dévorer la nuit.

On n’entend que le bruit du vent dans les hautes ramures des arbres du parc : les meutes de la Luftwaffe ont regagné leurs tanières, en France, en Belgique, en Hollande. Et les explosions qui accompagnent les incendies, les bombes à retardement qui tuent les sauveteurs sont trop éloignées pour que leurs déflagrations sourdes parviennent jusqu’à Ellesmere.

Restent ces soudains éclats qui illuminent l’horizon, jaillissements de lumière qui font croire qu’une aube ensoleillée se prépare.

Mais ce n’est que la guerre cruelle qui va devenir mondiale. De Gaulle en est persuadé, comme l’est Winston Churchill, et comme devront s’y résoudre le président Roosevelt – qui vient d’être réélu pour un second mandat le 4 novembre 1940 – ou Staline qui espère – mais y croit-il vraiment ? – que Hitler respectera le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939 !

Comme si Hitler n’avait pas dans Mein Kampf écrit en 1925 et posé son programme, son bréviaire.

Le Reich allemand doit s’emparer de l’espace vital situé à l’est. Il doit domestiquer, morceler la Pologne méprisée et la Russie tombée aux mains de judéo-bolcheviques. Et il faut d’abord écraser la France.

De Gaulle s’immobilise.

La France est le territoire de sa douleur.

Il lui semble parfois qu’il souffre pour elle et par elle autant que lorsqu’il songe à sa fille Anne, enfermée dans la gangue de sa nuit intime.

C’est à lui, de Gaulle, qu’est échu le destin de tout faire pour les arracher l’une et l’autre à cette souffrance. Il n’est pas d’autres tâches pour lui.

Il doit donner à l’une et à l’autre toutes ses forces, son amour. Au fond de lui, il sait qu’il ne peut apporter à Anne que de brefs instants de délivrance, alors qu’il peut faire en sorte que la France soit assise, un jour, à la table des vainqueurs.

Dès le mois de juillet 1940, de Gaulle a pensé que ces vainqueurs ne pourraient être l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Le monde, les nations démocratiques, les peuples n’accepteraient jamais de se soumettre à ces forces de régression incarnées par Hitler et Mussolini.

Les États-Unis entreraient un jour dans la guerre contre l’Allemagne même si pour l’heure 80 % des Américains souhaitaient demeurer en dehors du conflit. Roosevelt était donc obligé de ruser avec son opinion publique. Mais on ne pourrait pas séparer Washington de Londres.

Ni empêcher que les deux molosses, l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, n’en viennent à s’entrégorger. Et la Russie, comme en 1914, apporterait le complément de sa masse aux Alliés. Il fallait donc que la France Libre soit présente dans la Grande Alliance qui allait se constituer.

Pour cela, la France devait être présente sur tous les fronts, au côté des Alliés.

De Gaulle, dans le froid humide de cette journée du mercredi 1er janvier 1941 qui commence, se souvient de ces hommes, le colonel Leclerc, le capitaine Massu, le gouverneur général Éboué, qui ont fait basculer des parties de l’Empire français dans la France Libre.

Certes, ni l’Afrique du Nord ni Dakar ne l’ont rejointe. Et c’est douleur, obsession. Mais les Nouvelles-Hébrides, le Tchad, l’Oubangui, le Congo, les établissements français d’Océanie des Indes, la Nouvelle-Calédonie, constituent déjà une « Grande France », un « Empire français libre ».