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Churchill estime que seules l’aide puis l’entrée en guerre des États-Unis lui permettront de desserrer l’étau nazi.

Il doit donc faire pression sur le président Roosevelt, sur l’opinion américaine, enrôler dans cette campagne de « propagande » Graham Greene, Alfred Hitchcock et le philosophe Isaiah Berlin, invités à donner des conférences, à publier des articles, à affirmer l’« unité des peuples de langue anglaise ».

Puisque le roi George VI est populaire aux États-Unis, Churchill demande à ce que l’on utilise le bombardement du palais de Buckingham par la Luftwaffe pour mobiliser l’opinion américaine.

« Comprenez, dit Churchill à de Gaulle, que le bombardement d’Oxford, de Coventry, de Canterbury, provoquera aux États-Unis une telle vague d’indignation qu’ils entreront dans la guerre. »

Illusion, Roosevelt tient compte de l’état de l’opinion, décidée à rester hors du conflit.

Le président agit donc avec prudence, décidé à aider l’Angleterre sans s’engager directement dans la guerre.

Churchill lui adresse lettre sur lettre.

Le 7 décembre 1940, il dicte au cours de deux nuits une longue missive dont l’argumentation, le ton résolu mais aussi pathétique doivent bouleverser Roosevelt, lui expliquer en détail ce que l’Angleterre attend des États-Unis. Des armes, des tanks, des navires, deux mille avions supplémentaires chaque mois.

Car il y a communauté d’intérêts entre l’Angleterre et les États-Unis.

« Soyez assurés que nous sommes prêts aux souffrances et aux sacrifices ultimes dans l’intérêt de la Cause et que nous nous faisons gloire d’en être les champions, écrit Churchill.

« Si comme je le pense, vous êtes convaincu, monsieur le Président, que la défaite de la tyrannie nazie et fasciste est une affaire suprêmement importante pour les États-Unis et l’hémisphère occidental, vous voudrez bien considérer cette lettre non comme un appel à l’aide mais comme l’énoncé des mesures minimales nécessaires à l’accomplissement de notre tâche commune. »

Roosevelt est touché, se tourne vers l’opinion publique, affirmant dans de nombreuses interventions que le meilleur moyen pour les États-Unis de ne pas entrer en guerre, c’est d’aider « les nations qui résistent aux attaques de l’Axe plutôt que d’accepter leur défaite ».

Le 5 janvier 1941, il désigne un ambassadeur auprès du… maréchal Pétain. Ce sera l’amiral Leahy, dont la mission est de conforter le gouvernement de Vichy, afin qu’il reste hors du conflit.

Le 6 janvier, il envoie à Londres l’un de ses plus proches conseillers, Harry Hopkins, chargé d’évaluer les besoins anglais et de mesurer la capacité de Churchill à résister à l’Allemagne.

Harry Hopkins est entraîné par l’énergique tourbillon que provoque Churchill. Il est séduit, admiratif, convaincu qu’il faut aider l’Angleterre, lui fournir des destroyers, des tanks, des hydravions, des bombardiers B17.

Si les Anglais ne peuvent payer, ils régleront leurs dettes plus tard.

Roosevelt le confirme dans une allocution :

« Imaginez que la maison de mon voisin soit en feu et que j’aie un tuyau d’arrosage, dit-il, je ne vais pas le lui vendre, je le lui prêterai et il me le rendra lorsque son incendie sera éteint. »

On passe ainsi de la loi Cash and Carry à la loi Prêt-Bail adoptée en mars 1941 par le Congrès.

C’est un grand pas vers la participation des États-Unis à la guerre.

Et la conviction, l’obstination, l’intelligence, la foi de Churchill ont joué un rôle déterminant dans l’évolution de Roosevelt.

« Les gens sont stupéfiants, écrit Hopkins au président. Et si le courage suffisait pour gagner une guerre, ce serait déjà chose faite. Le gouvernement, c’est Churchill, lui seul assume la direction de la haute stratégie et il veille souvent aux détails. Jamais il ne flanche, jamais il ne trahit le moindre découragement.

« Jusqu’à quatre heures du matin, il a arpenté la pièce où nous étions, m’exposant ses plans offensifs et défensifs. C’est la force motrice qui anime pour l’essentiel la stratégie et la conduite générale de la guerre. »

Il est la figure de proue du peuple anglais dont Hopkins exalte le courage et la volonté de résistance.

« Il faudra autre chose que la mort de quelques centaines de milliers de personnes pour vaincre la Grande-Bretagne, dit-il. Si nous agissons hardiment et sans délai, je suis persuadé que le matériel que nous enverrons à la Grande-Bretagne pendant les semaines qui vont suivre constituera l’appoint de forces nécessaire pour abattre Hitler. »

Hopkins s’illusionne : dans l’année 1941, Hitler est au faîte de sa puissance, et pour briser la force nazie, il faudra plus que du matériel, l’engagement de millions d’hommes, Américains et Russes. Churchill le sait. Mais il a commencé à nouer une alliance décisive avec les États-Unis.

À partir du mois de janvier 1941, des réunions secrètes entre les états-majors anglais et américain ont lieu à Washington.

On y évoque la stratégie à adopter si l’Angleterre et les États-Unis se trouvaient engagés dans une guerre contre l’Allemagne et le Japon.

Dans ce cas, la priorité serait donnée à la guerre contre l’Allemagne.

On établit une coopération entre les services de renseignements des deux nations.

Ils vont mener une lutte contre les agents de l’Axe.

Or l’Angleterre possède un atout maître dans cette guerre de l’ombre dont Churchill sait en historien, en combattant, le rôle décisif qu’elle joue.

Ainsi Churchill se déplace toujours avec une grande boîte en cuir rouge et, plusieurs fois par jour, il demande, d’un ton anxieux et autoritaire : « Où sont mes œufs ? »

Seuls quelques très rares initiés savent que Churchill nomme ainsi les décodeurs qui ont réussi à briser les codes secrets de la Luftwaffe, de la Kriegsmarine, et qui s’acharnent à percer ceux de la Wehrmacht.

Ces « décodeurs » qui pondent des « œufs d’or » sont installés dans le manoir de Bletchley et ses dépendances, situés dans un parc immense à 80 kilomètres au nord-ouest de Londres.

Des centaines de professeurs et d’étudiants d’Oxford et de Cambridge, de mathématiciens, d’inventeurs d’un prototype Colossus qu’on commence à appeler « ordinateur », traitent chaque jour des centaines de messages cryptés par la machine allemande Enigma, qui est capable de coder les messages en opérant deux cents millions de transpositions.

Polonais et Français, on le sait, ont décrypté ces messages, et ont transmis leur découverte d’Enigma aux Anglais de Bletchley Park. Et Churchill aussitôt se passionne pour ce « TOP SECRET ULTRA » – on dira le système ULTRA.

À tout instant, il veut connaître les « œufs d’or » pondus par les décodeurs, et découvrir ainsi la stratégie allemande.

Dans le « secret circle », le major Desmond Morton décide de la diffusion de tel ou tel renseignement et veille à ne pas alerter les Allemands, en révélant par une disposition prise sur le terrain qu’on lit leurs messages codés.

Et les Allemands, pendant toute l’année 1940, ont percé le code de la Royal Navy, et celui de la Merchant Navy.

Mais la supériorité anglaise est flagrante, et Churchill s’emploie à la conserver, à utiliser à chaque instant les données qu’elle fournit, et à collecter celles que recueillent les services de renseignements, le Special Operations Executive (SOE), le Military Intelligence 5 (MI5) chargé du contre-espionnage et opérant sur le territoire britannique, et le Military Intelligence 6 (MI6), service de renseignements fonctionnant à l’étranger.