Eh bien, puisque c’est ainsi, « on » va proposer aux Russes de participer à leur grande guerre patriotique, en envoyant sur le front russe le groupe d’aviation Normandie, et une brigade.
Aussitôt la décision de De Gaulle connue, les Anglais changent d’attitude : ils sont prêts à intégrer dans leur 8e armée les cinq mille soldats français, parmi lesquels les légionnaires de la 3e demi-brigade de la Légion étrangère, commandée par le lieutenant-colonel Dimitri Amilakvari.
Battle-dress et casque plat : on peut, de loin, prendre ces légionnaires, ces fusiliers marins, ces hommes de l’infanterie coloniale, pour des Anglais.
D’autres Français constituent un french squadron à l’intérieur de l’unité anglaise la plus prestigieuse, Special Air Service : ceux-là sont des commandos parachutistes largués loin derrière le front.
Tous ces Free French sont des volontaires d’origines diverses : Gabonais, Camerounais, Sénégalais, Malgaches, Nord-Africains, Antillais, Polynésiens, Vietnamiens, Cambodgiens, auxquels s’ajoutent les légionnaires allemands, polonais, italiens, espagnols…
Cette troupe « mélangée » se met en marche le 22 décembre 1941. Venant de Syrie et du Liban, elle entre en Égypte le 28 décembre 1941.
En face d’elle les divisions italiennes et l’Afrikakorps de Rommel.
Ces troupes reculent.
« Très chère Lu, écrit Rommel le 20 décembre 1941.
« La situation est devenue extrêmement critique par suite d’une défaillance d’une grande formation italienne.
« […] Nous nous retirons. Il n’y avait absolument rien d’autre à faire. J’espère que nous parviendrons à gagner la ligne que nous avons choisie. Noël s’annonce comme devant être complètement gâché.
« Je vais très bien. J’ai réussi à prendre un bain et à changer de linge après avoir dormi la plupart du temps tout habillé au cours de ces dernières semaines. Nous avons reçu quelques approvisionnements, les premiers depuis octobre. Tous mes commandants sont malades, tous ceux qui ne sont pas morts ou blessés. »
Les Britanniques, aux côtés desquels vont intervenir les Free French Brigade, tentent d’encercler l’Afrikakorps, dos à la mer.
« Retraite vers Agedabia ! écrit Rommel le 22 décembre. Vous ne pouvez vous imaginer ce que c’est. J’espère sortir le gros de mes forces et m’arrêter quelque part. Peu de munitions et de carburant, pas d’appui aérien. Conditions exactement inverses chez l’ennemi. Assez sur ce sujet… »
Mais les Britanniques ne réussiront pas à couper la retraite de Rommel qui, pour la première fois, reçoit deux compagnies de chars italiennes et des batteries allemandes ainsi que du ravitaillement.
Le 23 décembre, Rommel peut écrire à sa « très chère Lu » :
« Il semble que nous allons réussir à nous soustraire à l’enveloppement et à ramener le gros en arrière. Ce sera pour moi un grand Noël si nous y parvenons vraiment. Comme on devient modeste !
« Inutile bien entendu de chercher à s’appuyer sur le haut commandement italien. Il y a longtemps qu’il se serait fait prendre avec toutes ses forces. »
C’est le 25 décembre 1941.
« J’ai ouvert mon colis hier soir dans ma voiture et j’ai été enchanté de trouver vos lettres, celles de Manfred [le fils de Rommel] et les cadeaux.
« J’en ai immédiatement porté quelques-uns, la bouteille de champagne en particulier, dans la voiture du 2e bureau où je l’ai bue avec le chef de celui-ci et ceux des 1er et 3e bureaux. La nuit s’est passée calmement. »
Mais la situation de l’Afrikakorps reste difficile.
« Les divisions italiennes nous donnent bien du souci, écrit Rommel. Elles montrent des signes alarmants de désintégration et les troupes allemandes doivent se porter à leur aide un peu partout. »
« Je vais en ligne tous les jours, explique-t-il. Je regroupe et j’organise nos forces. J’espère que nous allons réussir maintenant à faire front. »
Rommel craint que les Britanniques ne lancent contre lui leurs blindés et ne lui coupent la retraite. Mais les Anglais ont chaque jour plus de difficultés à approvisionner leurs troupes en munitions, en carburant.
Le général Auchinleck est ainsi contraint d’arrêter ses chars, de laisser l’Afrikakorps se faufiler entre les mailles des unités anglaises.
« Rommel, dit Auchinleck, est grandement aidé par la remarquable souplesse de l’organisation de son ravitaillement. »
Le 30 décembre 1941, Rommel écrit :
« Très chère Lu,
« Hier, violents combats qui ont bien tourné pour nous. Leur nouvelle tentative pour nous encercler et nous acculer à la mer a échoué.
« Il pleut, et les nuits sont terriblement froides et venteuses. Je demeure en parfaite santé, dormant autant que je le peux. Vous comprendrez assurément que je ne peux partir d’ici en ce moment. »
Rommel a réussi à éviter l’encerclement. Il peut, avec ses troupes, protéger la Tripolitaine.
Le 31 décembre 1941, il écrit à sa femme et à leur fils :
« Aujourd’hui, dernier jour de l’année, mes pensées sont plus que jamais avec vous deux, qui êtes pour moi tout le bonheur sur la terre.
« Mes vaillantes troupes viennent d’accomplir des efforts presque surhumains.
« Au cours des trois derniers jours où nous avons attaqué, l’ennemi a perdu cent onze chars et vingt-trois autos blindées. Les difficultés malgré lesquelles ce beau succès a été atteint défient toute description. En tout cas, c’est une belle conclusion pour 1941 et cela donne de l’espoir pour 1942.
« Je vais très bien.
« Un jeune coq et une poule se sont bien habitués à cette existence de bohémiens et circulent librement autour de la voiture.
« Je vous envoie à vous deux mes meilleurs souhaits pour 1942. »
44.
À la fin de ce mois de décembre 1941, la nostalgie du général Rommel qui songe à sa femme et à leur fils est un privilège.
Car des millions d’humains, combattants mais aussi civils – hommes, femmes, enfants –, agonisent dans cet enfer qu’est la guerre, « cruelle et sombre », comme l’écrit Karl Lemberg, un Oberleutnant de la Wehrmacht, recroquevillé dans une isba qui le protège du froid. Mais pour combien de temps ?
Il se souvient de ce qu’il a vu, accepté, accompli, subi, depuis qu’il a pénétré, avec les premières unités, le 22 juin, dans les territoires contrôlés par les Russes.
Il a découvert que, derrière les troupes, des groupes d’intervention du service de sécurité SS et des bataillons de police tuaient les Juifs, ou bien poussaient les populations locales à organiser des pogroms sanglants. Ukrainiens, Baltes, qui avaient subi le pouvoir bolchevique, se déchaînaient.
Il faut « établir pour la postérité aussi solidement que possible, et avec des preuves irréfutables, le fait que la population libérée a pris des mesures les plus radicales contre l’ennemi bolchevique et le Juif, de sa propre initiative, sans que l’on puisse discerner aucune influence du côté allemand ».
L’Oberleutnant Karl Lemberg se souvient de « cet homme blond, de taille moyenne, qui se tenait debout, appuyé sur une batte de bois, en position de repos. La batte avait l’épaisseur de son avant-bras et lui arrivait à la poitrine.