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Il s’interrompt, reprend avec la voix encore plus sourde :

« Nous n’avions pas le choix, c’était pour nous une obligation inéluctable que d’éliminer le pion russe de l’échiquier européen. »

Il entre la tête dans les épaules, puis son corps se tasse, s’affaisse.

« Notre seule chance de vaincre la Russie consistait à la devancer. »

Il reste un moment silencieux, puis :

« Pourquoi 1941 ? Parce qu’il fallait attendre le moins longtemps possible, d’autant plus que nos ennemis de l’Ouest augmentaient constamment leur potentiel de combat. En conséquence, le temps travaillait contre nous sur les deux fronts… J’étais obsédé par la peur que Staline pût me devancer. »

Hitler ne peut expliquer à Martin Bormann qu’en fait l’imagination le guidait. Il avait la conviction que l’attaque contre la Russie allait, comme un coup de dés gagnant, lui permettre de dépouiller les autres joueurs, Staline bien sûr, mais aussi Churchill qui espérait l’entrée en guerre de la Russie.

Pour vaincre Londres, il fallait détruire Moscou !

Il n’y avait pas d’autre stratégie.

Il avait écouté ceux qui, comme l’amiral Raeder et aussi le Reichsmarschall Goering, prétendaient qu’il fallait frapper la Grande-Bretagne en Méditerranée :

« Elle a toujours regardé la Méditerranée comme le pivot de son Empire », répétait Raeder.

Mais les Italiens de Mussolini qui avaient attaqué les Britanniques capitulaient partout, en Cyrénaïque, en Libye, en Somalie, en Érythrée, en Éthiopie.

Leurs soldats étaient ces prisonniers en loques dont les longues files s’étiraient entre les dunes du désert !

Et il faudrait tenter de les sauver, là, sur les terres africaines mais aussi en Grèce, où leurs troupes reculaient, poursuivies jusqu’en Albanie !

On ne pouvait compter que sur le soldat allemand, fils héroïque de la nation germanique.

Hitler s’était adressé à Franco, invitant le Caudillo espagnol à rejoindre l’Allemagne et l’Italie, à donner l’assaut contre Gibraltar :

« Une chose est essentielle, Caudillo, avait déclaré Hitler : parler net. La vie et la mort sont les enjeux de notre combat et à pareille heure nous ne pouvons plus faire de cadeaux. La lutte que mènent l’Allemagne et l’Italie décidera du sort de l’Espagne autant que du leur. Seule la victoire de l’Axe permettra la survivance de votre régime actuel. »

Mais Franco était aussi habile et retors que Staline ! Il assurait Hitler de son « absolue loyauté », tout en gardant d’excellentes relations avec l’ambassadeur britannique Samuel Hoare. Et surtout, il consultait les cartes de la Cyrénaïque qui, tenues à jour, permettaient de suivre le recul des troupes italiennes devant l’offensive anglaise du général Wavell !

Pourquoi s’engager militairement aux côtés de l’Axe, alors que les généraux italiens et le plus glorieux d’entre eux, Graziani, prenaient leurs jambes à leur cou ?

Hitler n’était pas dupe du « fastidieux boniment espagnol ».

Il l’écrit à Mussolini :

« En un mot comme en cent, l’Espagne ne veut pas faire la guerre avec nous et ne la fera pas. Ce refus est extrêmement fâcheux, car il nous frustre, momentanément, du moyen le plus direct de frapper l’Angleterre dans son domaine méditerranéen. »

En fait, Hitler a le sentiment que les événements – la défaite italienne, le refus du général Franco, les ruses et les ambitions de Staline, l’obstination stupide de Churchill –, le destin lui signifiaient que la seule route qui s’offrait à lui était celle de la guerre contre la Russie.

Il avait choisi l’opération Barbarossa, il y avait quelques semaines.

Maintenant, le destin la désignait comme nécessaire, inéluctable.

Le 8 janvier 1941, le Führer réunit dans son nid d’aigle du Berghof son Conseil de guerre.

La neige qui couvre les pentes et les cimes de l’Obersalzberg étincelle, tant la lumière du soleil est éclatante.

Au Berghof, on est dans la pureté du ciel.

Le brouillard et les nuages forment une couche grisâtre qui masque les vallées, les villages, Berchtesgaden.

L’air est vif.

En marchant sur la terrasse ensoleillée du Berghof, on a l’impression de le déchirer, de le froisser. Il fait un froid sec.

Les généraux et les amiraux, de Halder à Raeder et à Goering, se pressent autour du Führer.

Il exulte, évoque tout en allant et venant sur la terrasse les richesses fabuleuses que contiennent les immenses espaces de la Russie.

« En trois semaines, nous serons à Saint-Pétersbourg, dit-il. Et quand la Russie s’effondrera, le Japon pourra enfin entreprendre cette expansion vers le sud, toujours repoussée par crainte de la menace soviétique. Quant à l’Allemagne, elle doit dominer la Russie sans l’annexer, elle pourra faire la guerre à d’autres continents. »

On s’installe dans l’une des grandes salles de réunion du Berghof.

« Notre situation en Europe ne risque plus de s’altérer, commence Hitler, même si la totalité de l’Afrique du Nord nous échappe. Notre position est si fermement assise qu’une issue défavorable est devenue impossible. La Grande-Bretagne ne peut espérer gagner la guerre qu’en nous battant sur le continent, éventualité tout aussi impossible. »

Il dévisage ces généraux, raides dans leurs uniformes. Et leur présence, leur soumission l’exaltent.

Lui, Adolf Hitler, il les domine, il les conduit, comme une meute disciplinée.

Et c’est ce qu’ils sont, des chiens de chasse, auxquels il faut un maître qu’ils craignent.

« Il est d’importance capitale pour l’issue de la guerre d’éviter l’effondrement définitif de l’Italie », reprend-il.

Il est donc résolu à l’empêcher d’abandonner l’Égypte, ce qui entraînerait une sérieuse chute de prestige pour les puissances de l’Axe. « Il faut donc lui prêter main-forte. »

Il pense au général Rommel, pour commander les unités qui interviendront en Afrique.

« L’Afrikakorps », murmure-t-il.

Il va convoquer Rommel.

« Les Italiens, ajoute-t-il, il faut les laisser dans l’ignorance de mes décisions. Il y a lieu de craindre que la famille royale italienne ne communique des renseignements à Londres ! »

Il exige donc le silence sur l’opération Barbarossa, mais aussi sur l’envoi de troupes allemandes en Libye, sur l’opération Marita, qui sera déclenchée le 26 mars et concernera l’envoi de divisions allemandes en Grèce.

Car il faut en finir avec cette offensive grecque et cette débandade italienne.

Jamais, depuis l’été 1940, Hitler n’a paru aussi sûr de lui.

Les généraux sont fascinés, silencieux.

« Si la France devient embarrassante, il nous faudra l’écraser complètement, ajoute Hitler. Ce sera l’opération Attila. On envahira la zone non occupée, on s’emparera de la flotte française, ancrée à Toulon. »

Hitler ressemble à un prestidigitateur ne cessant de sortir de son chapeau des rubans multicolores ou des lapins blancs. Il y aura une opération Tournesol pour soutenir les Italiens en Tripolitaine, et une opération Violette des Alpes pour les secourir en Albanie, où ils tentent de résister aux Grecs !

Maintenant, il peut conclure la dernière réunion de ce Conseil de guerre commencé le 8 janvier 1941 et terminé le 10.

« Si les États-Unis et la Russie nous font la guerre, la situation se compliquera », dit-il.

Mais il lève et secoue ses mains comme s’il venait de déchirer cette hypothèse et la dispersait en confettis insignifiants.