Выбрать главу

« D’où l’urgence de juguler dès à présent ces deux menaces, dit-il. Une fois la Russie éliminée – notre tâche numéro 1 –, nous serons à même de poursuivre indéfiniment les hostilités contre la Grande-Bretagne. Par ailleurs, le Japon sera grandement soulagé et les États-Unis courront un danger supplémentaire. »

Il salue, le bras droit replié, et les généraux claquent des talons.

Les 19 et 20 janvier 1941, il reçoit Mussolini et son gendre, ministre des Affaires étrangères, le comte Ciano, ainsi que des généraux italiens et allemands.

Il soliloque durant plus de deux heures.

Mussolini quittant le Berghof bougonne, le visage crispé.

« Les entrevues précédées d’un coup de sonnette ne me plaisent pas, dit-il à Ciano. Ce sont les domestiques qu’on appelle ainsi. Et quelle espèce d’entrevue ! Pendant trois heures je dois assister à un monologue tout à fait ennuyeux et inutile. »

Le Duce se tait quelques minutes, puis ajoute d’une voix menaçante :

« Je continuerai à fortifier les cols des Alpes. Ce sera utile un jour. »

Nouveau silence, nouveau changement de ton.

Ce n’est plus celui de l’année 1934, quand le Duce s’opposait au Führer et envoyait ses divisions au col du Brenner, mais celui d’un réaliste et d’un cynique :

« Pour le moment, il n’y a rien à faire. Il faut hurler avec les loups. »

Et tous ont applaudi la prophétie inlassablement répétée par Hitler :

« Lorsque Barbarossa se mettra en marche, le monde retiendra son souffle. »

3.

Le général Erwin Rommel, en cette fin d’année 1940 et durant les premières semaines de janvier 1941, ignore tout des intentions du Führer.

Sa Panzerdivision est en garnison à Bordeaux. Après la « chevauchée héroïque » – ainsi décrit-on dans la presse allemande la campagne de France de Rommel à la tête de ses Panzers –, elle se réorganise, reconstitue ses forces, est soumise aux contraintes de plusieurs semaines d’instruction.

On veut espérer que la paix est proche, mais, au fond de soi, on en doute.

La guerre se poursuit en Cyrénaïque, en Libye, en Somalie, en Érythrée, en Grèce, en Albanie, et partout les Italiens qui sont engagés seuls sur ces immenses fronts reculent devant les Anglais du général Wavell et les Grecs.

Rommel, tout en roulant sur les routes souvent verglacées et enneigées du sud-ouest de la France, évoque ces défaites italiennes, les problèmes posés par les ambitions russes. Il ne sait rien de Barbarossa, mais il confie que « les exigences de la Russie dans les Balkans, en Finlande, dans les États baltes, sont assez dures. Je doute que cela fasse beaucoup notre affaire. Ils prennent tout ce qu’ils peuvent ».

Pourra-t-on longtemps les laisser agir à leur guise, et, en Afrique, en Grèce, en Albanie, accepter de ne rien faire pour empêcher les débâcles italiennes ? Rome est l’alliée de Bardia !

Mais ce ne sont que de vagues réflexions.

En fait, Rommel mène la vie paisible d’un officier de l’armée d’occupation.

Il écrit à son épouse Lu, le 6 janvier 1941 :

« J’ai reçu hier toute une pile de courrier dont vos lettres des 21 et 23 décembre. Il semble que le service de la poste redevienne normal. Cet après-midi, nous avons vu le film Le Cœur de la reine (Marie Stuart), que j’ai tout à fait goûté.

« Nous attendons pour demain des visiteurs de distinction qui viennent inspecter nos cantonnements.

« Nous ne sommes pas ce qu’on peut appeler confortablement installés. Les vignerons de la région passaient probablement leur vie, voici mille ans, dans les mêmes misérables taudis qu’aujourd’hui : maisons grossièrement construites en moellons de grès, avec des toits plats de tuiles rondes, exactement semblables à celles des Romains. Beaucoup de villages n’ont pas encore l’eau courante et se servent encore de puits. Aucune maison n’est aménagée en vue du froid ; les fenêtres ne ferment pas et l’air siffle à travers… Je compte prendre ma permission au début de février, d’ici là bien des choses se seront éclaircies.

« Je ne suis pas surpris que cela n’aille pas tout seul pour nos alliés en Afrique du Nord. Ils croyaient sans doute que la guerre est chose facile, et maintenant ils ont à montrer ce dont ils sont capables. En Espagne – en 1937 –, ils ont commencé exactement de la même façon, mais se sont très bien battus ensuite. »

Mais la débâcle italienne s’accentue et, alors que Rommel est depuis deux jours en permission chez lui, il est le 6 février convoqué par le commandant en chef, le maréchal von Brauchitsch.

« On me charge d’assumer le commandement d’un corps expéditionnaire, et je suis invité à me rendre en Libye dans les délais les plus brefs. »

Rommel note dans son journal.

« Dans l’après-midi, je rends visite au Führer qui me décrit en détail la situation sur le théâtre d’opérations africain : il me confie qu’on m’a désigné à lui comme l’homme le plus capable de s’adapter rapidement aux conditions particulières du théâtre d’opérations africain. Le colonel Schundt, aide de camp principal du Führer, m’accompagnerait dans mon voyage d’études. On me propose de regrouper les troupes allemandes dans la région située autour de Tripoli de manière à pouvoir les masser en vue d’une offensive ultérieure.

« Dans la soirée, le Führer me montre des journaux illustrés anglais et américains qui décrivent l’avance des troupes du général Wavell à travers la Cyrénaïque. Je suis particulièrement frappé par la parfaite coordination entre formations blindées, aviation et unités de la marine de guerre. »

Rommel est si tendu, si exalté par cette mission qu’il en oublie les douleurs rhumatismales qui le tenaillaient depuis des semaines, et que son médecin lui avait recommandé de soigner par une cure dans un pays ensoleillé, l’Égypte étant le plus approprié…

« Très chère Lu, écrit-il, le 6 février 1941.

« Atterri à Staaten à 12 h 45. Me suis présenté devant le C. en C. puis devant le F.

« Les choses vont vite. Mon barda me suit ici mais je ne pourrai prendre avec moi que le strict nécessaire.

« Je n’ai pas besoin de vous dire que mon esprit est en ébullition. Que de choses à faire ! Il faudra des mois avant que cela démarre.

« Ainsi encore une fois “notre” permission a-t-elle tourné court. Ne soyez pas triste, il devait en être ainsi. Ma nouvelle mission est très importante. »

Le lendemain, 7 février 1941, encore quelques mots à Lu :

« Dormi sur ma mission. C’est une façon d’exécuter mon ordonnance pour mes rhumatismes.

« J’ai terriblement de choses à faire pour tout rassembler dans les quelques heures qui me restent. »

Il se rend à Rome, rencontre le général Guzzoni, chef du Commando suprême. Le général Roatta, chef d’état-major de l’armée italienne, reçoit l’ordre de l’accompagner en Libye.

À Catane, qu’il rejoint en avion dans l’après-midi de ce 11 février 1941, il rencontre le général Geussler qui commande la Xe escadre aérienne allemande.

Les nouvelles ne sont pas rassurantes.

On ne peut plus escompter de résistance sérieuse de la part des Italiens. Il faut s’attendre à voir apparaître sous quelques jours les premières unités britanniques aux abords de Tripoli.

Rommel décide de faire bombarder Benghazi, dont le port est utilisé par les Britanniques.

Mais les Italiens s’y opposent : de nombreux officiers, des fonctionnaires possèdent des immeubles à Benghazi.