Выбрать главу

Mais la pression de Himmler est constante. La logique de l’extermination s’oppose à celle des « recruteurs de main-d’œuvre ».

Les SS massacrent, les représentants de Sauckel s’élèvent contre ces « expéditions » des Einsatzgruppen qui ne laissent que ruines et cadavres.

« Le résultat de tels procédés sur une population paisible est désastreux, en particulier la fusillade de tant de femmes et d’enfants… Ne devrait-on pas tenir compte, dans ces expéditions, de l’âge et du sexe des gens et de la situation économique, par exemple les besoins de la Wehrmacht en spécialistes pour son matériel d’armement ? »

Les commissaires du Reich – dépendant de Sauckel – entrent ainsi en conflit avec les SS « exterminateurs » qui arguent des nécessités de la guerre anti-partisans et de la « solution finale ».

Parfois, on réussit à « exterminer » en « ménageant les ressources ».

« Dans les dix dernières semaines, écrit un officier SS, nous avons liquidé environ 50 000 Juifs… Dans les campagnes autour de Minsk, la “juiverie” a été éliminée, sans compromettre la situation en matière de main-d’œuvre. »

Mais le plus souvent, Sauckel rencontre l’hostilité des SS, de la Wehrmacht.

« Mon Führer ! écrit-il, je vous demande d’annuler ces ordres qui s’opposent au recrutement régulier de main-d’œuvre masculine et féminine dans les territoires soviétiques occupés, et ce afin de permettre de remplir ma tâche. »

Il irrite les autres dignitaires nazis : Speer, Goering, Himmler.

« Sauckel est atteint de paranoïa, écrit Goebbels dans son Journal. Il a rédigé un manifeste pour tous ses subordonnés. Il est écrit dans un style baroque, pompeux et excessif. Il termine son papier par ces mots : “Écrit en avion le jour de l’anniversaire du Führer et en survolant la Russie.” Il est grand temps de lui rabattre son caquet. »

Mais ces divergences ne freinent pas la machine à tuer, à déporter, à exploiter nazie.

Elle a créé au cœur de l’Europe, et pour des millions d’hommes et de femmes, des conditions de vie et de travail qui avaient disparu depuis près de deux millénaires.

Elle massacre dans les camps d’extermination des millions d’autres humains avec une efficacité technique inégalée dans l’histoire barbare des hommes.

Là où cette « machine » est passée, la mort règne.

Les Russes – femmes, vieillards – qui ont survécu, cachés dans les forêts, dans les caves, témoignent de la barbarie nazie. Ils montrent, racontent aux soldats de l’armée Rouge qui les ont libérés ce qu’ils ont subi.

« Les Allemands, écrit un journaliste russe qui parcourt ces régions abandonnées par la Wehrmacht, incendient les villages, scient les arbres des vergers, font disparaître toute trace d’occupation humaine. Dans les fermes, ils prennent charrues, moissonneuses et faucheuses, ils en font des tas et les font sauter. »

Dans la plupart des bourgs, il n’y a plus âme qui vive ; les uns ont été exécutés ou sont morts de faim, les autres ont été déportés pour le travail forcé. Les maisons ont été détruites.

La Wehrmacht a laissé derrière elle une « terre brûlée », des cadavres par dizaines de milliers. Elle a pendu en masse, exécuté, violé ; détruit là toutes les églises, ici, dans la ville de Viazma, sur 5 500 immeubles, il n’en reste que… 51 !

Les prisonniers russes ont été exterminés ou sont morts de faim ou de froid.

La colère, le désir de vengeance emportent souvent les Russes qui tuent à leur tour les blessés allemands et les rares soldats qui ont été faits prisonniers.

On les maltraite avant de les tuer. On les interroge. Ils disent que le Feldmarschall von Manstein prépare pour la fin du mois de février 1943 une contre-offensive vers le Donetz, en direction de Kharkov et de Bielgorod, deux villes que les Russes viennent de libérer.

Est-ce possible ?

Staline le craint.

Il est sombre, plus impitoyable que jamais, comme si la victoire que vient de remporter l’armée Rouge à Stalingrad, puis en repoussant les Allemands de plus de 300 kilomètres vers l’ouest, était déjà effacée.

Aux généraux qui expliquent que le dégel va commencer, que les tanks allemands ne pourront que s’enfoncer dans la boue, Staline répond par quelques phrases méprisantes.

Savent-ils, comme il sait, que von Manstein dispose d’un nouveau char lourd, le Tigre, dont les chenilles sont si larges que le char peut avancer sur n’importe quel terrain ? Son blindage, son canon de 88 le rendent redoutable. Et comme le Donetz est encore gelé, les chars allemands pourront le franchir.

Staline maugrée :

« Nous soutenons seuls le poids de la guerre, dit-il.

« Qu’est-ce que cette guerre que livrent Américains et Anglais en Afrique du Nord, comparée aux batailles qui se déroulent ici, sur notre front !

« Qu’attendent-ils pour débarquer en Europe, en France ? »

Staline lit l’ordre du jour dont il a minutieusement choisi les termes. Il sera publié le 23 février 1943.

En écoutant les premières phrases, les généraux russes se rengorgent. Staline fait l’éloge de la nouvelle armée Rouge, de ceux qui la commandent. Et il conclut :

« L’expulsion en masse de l’ennemi a commencé. »

Mais il ajoute aussitôt :

« L’armée allemande a essuyé une défaite mais elle n’est pas encore écrasée. Elle traverse maintenant une crise mais rien n’indique qu’elle ne puisse pas se ressaisir. La lutte véritable ne fait que commencer. Il serait stupide d’imaginer que les Allemands abandonneront sans combat, ne serait-ce qu’un kilomètre de notre pays. »

Or, l’armée Rouge est épuisée par des semaines d’offensive. Ses lignes de communication s’étirent. Les routes commencent à être des fleuves de boue. Il faut les recouvrir de troncs d’arbres pour pouvoir les emprunter.

Et le 21 février, les premières attaques allemandes de l’offensive de von Manstein sont lancées. Les divisions de l’armée Rouge se désagrègent, se transforment en une masse confuse de petites unités qui, isolées les unes des autres, reculent individuellement, sans coordonner leur retraite et leurs actions.

Les divisions SS – la Grossdeutschland – bien équipées, attaquent au nord, avancent vers le Donetz.

Les Russes évacuent vers Kharkov, le 13 mars 1943, et Bielgorod le 16.

Est-ce possible ?

Le cauchemar des printemps 1941 et 1942 va-t-il recommencer ?

Pour les Allemands, cette offensive Manstein, c’est le « miracle du Donetz ».

Déjà, au grand état-major de la Wehrmacht, on retrouve l’assurance dans l’invincibilité allemande que le désastre de Stalingrad avait mise en cause.

Et les généraux et maréchaux du Führer commencent à envisager une nouvelle offensive d’été.

12.

Hitler se redresse.

Il était voûté, le visage inexpressif paraissant en ces premiers jours du mois de mars 1943 ne pas écouter les exposés des officiers de son grand état-major.

Mais lorsqu’ils ont évoqué le « miracle du Donetz », les projets d’une offensive d’été, il a semblé s’arracher à la lassitude dans laquelle il est enfermé depuis le désastre de Stalingrad.

Il a serré sa main gauche dans sa main droite comme s’il voulait contenir le tremblement de ses doigts, ces symptômes de la maladie de Parkinson, qui parfois font sursauter l’une ou l’autre de ses jambes.