Pourtant, l’échec de ces deux tentatives conforte les conjurés dans leur détermination et d’autant plus que, pour la première fois depuis la guerre, ils constatent un frémissement dans l’opinion.
À l’université de Munich, des étudiants – Hans Scholl et sa sœur Sophie – rédigent des tracts, les diffusent, et créent un petit groupe qui s’intitule « Les lettres de la Rose blanche ».
Le Gauleiter de Bavière, Giesler, les convoque, les menace, les insulte.
Les étudiants inaptes au service armé seront affectés à des travaux utiles à la patrie. Quant aux étudiantes, dit-il, « si certaines de ces demoiselles manquent du charme suffisant pour attirer un compagnon, j’assignerai à chacune d’elles un de mes adjoints et je puis leur promettre une expérience des plus plaisante ».
Giesler est hué. Des étudiants manifestent dans les rues de Munich, Hans et Sophie Scholl jettent des tracts du haut du balcon de l’université.
Le 19 février, ils sont dénoncés et arrêtés.
Ils comparaissent devant le Tribunal du Peuple présidé par Roland Freisler qui vocifère emporté par sa haine et sa rage de fanatique.
Hans et Sophie Scholl ont osé écrire dans un de leurs tracts : « Avec une certitude quasi mathématique, Hitler conduit l’Allemagne dans un gouffre, il ne peut pas gagner la guerre alors il la prolonge. Sa responsabilité morale et celle de ses séides ont passé toute mesure. Le banditisme ne peut donner une victoire à l’Allemagne. Séparez-vous, alors qu’il en est encore temps, de tout ce qui est nazi. »
L’enquête de la Gestapo a permis d’arrêter un professeur, Kurt Huber, maître à penser des étudiants. Certains d’entre eux sont en contact avec des proches de l’« Orchestre rouge », le réseau de renseignements soviétique.
L’interrogatoire par la Gestapo est brutal. Les étudiants et le professeur Huber reconnaissent les faits. Ils ont en effet rédigé et distribué des textes – dont certains, parvenus à Londres, seront imprimés à des dizaines de milliers d’exemplaires et largués au-dessus de l’Allemagne par les… bombardiers de la Royal Air Force.
Le 22 février 1943, le Tribunal du Peuple juge Hans, Sophie Scholl et Kurt Huber coupables de trahison et les condamne à être décapités.
Sophie Scholl, qui a eu la jambe brisée lors des interrogatoires, déclare, appuyée sur ses béquilles, face au président du Tribunal, qu’elle est fière d’avoir écrit sur les murs de l’université « Liberté », « Hitler massacreur ».
Au Président Freisler, qui l’interrompt, elle lance :
« Vous savez aussi bien que moi que la guerre est perdue ! Comment pouvez-vous être assez lâche pour ne pas l’admettre ? »
13.
Rommel n’est pas un lâche, mais il ne peut penser, comme Sophie Scholl, que la guerre est perdue. Pas encore, mais il le craint.
Voilà trois ans qu’il se bat à la tête de ses troupes.
Sa gloire, sa croix de fer, son titre de Feldmarschall, il les a gagnés non dans les antichambres du pouvoir nazi, mais face à l’ennemi, en première ligne, aux côtés des « soldats du front ».
Il n’imagine même pas ce qu’est l’atmosphère du Grand Quartier Général.
Il a prêté serment au Führer, il lui reste fidèle, mais il remet en cause l’entourage de Hitler, ce Goering qu’il a côtoyé lors d’un voyage dans le train spécial du Reichmarschall.
Il n’a rien de commun avec cet homme-là, dont un témoin, en ce début de l’année 1943, lui a décrit la vie.
Goering, dans sa résidence « princière » de Karinhall, se met en scène.
« Le matin, il est en pourpoint avec des manches de chemise bouffantes et blanches ; pendant la journée, il change d’habit à plusieurs reprises ; le soir, à table, il est en kimono de soie bleue ou violette et en pantoufles de fourrure. Dès le matin, il porte un poignard en or au côté ; au cou il a une agrafe avec des pierres précieuses changées souvent. Chacun de ses doigts est bagué. Son gros abdomen est soutenu par une large ceinture ornée de nombreuses pierres. »
Rommel éprouve du dégoût, un sentiment de répulsion pour cet homme qui conseille le Führer !
Lui, Rommel, en Tunisie, il se bat.
Il doit faire face aux troupes américaines – venues d’Algérie – et aux troupes anglaises qui comptent dans leurs rangs les Français du général Leclerc.
« Je me creuse le cerveau pour essayer de trouver une solution, écrit Rommel. Malheureusement aucune des conditions nécessaires n’est remplie. Tout dépend du ravitaillement comme il en a toujours été depuis des années. »
Dans cette lettre à sa « très chère Lu », il ajoute :
« Ma santé s’est maintenue jusqu’ici, mais le cœur, le système nerveux et les rhumatismes me causent une foule d’ennuis. Je suis cependant décidé à tenir aussi longtemps qu’il sera humainement possible. »
Mais le même jour – 26 février 1943 – l’aide de camp de Rommel écrit :
« Chère madame Rommel,
« Au début du mois de février, l’état physique et nerveux de votre mari était devenu tel que le professeur Horster considérait qu’une période de traitement de deux mois lui était indispensable… Lui pour sa part avait pris sa décision que nous semblâmes ignorer de ne jamais se faire porter malade.
« Il appartenait à ses hommes. »
En ce mois de février, il a, dans la passe de Kasserine, remporté un succès sur les troupes américaines.
Il a été comme à son habitude au contact de l’ennemi.
« Le long des routes, nous dépassons des véhicules américains, leurs chauffeurs morts au volant… D’autres soldats ennemis sont faits prisonniers par petits groupes… Refoulée contre le flanc de la montagne, une unité américaine est taillée en pièces… Nous avons pris quelque 70 chars, 30 véhicules blindés, la plupart remorquant un canon de 75 antichar. L’équipement américain est prodigieux. »
« Le long des pistes de ce sud tunisien gisent des soldats anglais à côté de leurs pièces antichars, entièrement dépouillés de leurs vêtements par les Arabes. Il est impossible de retrouver ces détrousseurs de cadavres, heureusement pour eux… »
Rommel ne s’illusionne pas : le succès qu’il vient de remporter dans la passe de Kasserine, il ne peut l’exploiter. Les forces anglo-américaines bénéficient d’une supériorité matérielle écrasante. Ils ont aussi la maîtrise du ciel.
Et Rommel ne sous-estime pas la valeur militaire des Américains.
« La conduite tactique de l’adversaire s’est révélée de premier ordre. » Comment les battre quand, dernière faiblesse, les initiatives de Rommel sont contestées, entravées par le Comando Supremo de l’allié italien. Le Duce Mussolini ne veut pas perdre Tunis !
Et le maréchal Kesselring « voit tout en rose » alors que Rommel pense que la Tunisie est perdue.
Il faudrait évacuer les troupes italo-allemandes et les déployer en Sicile et dans la péninsule italienne afin d’empêcher toute tentative de débarquement.
Lorsqu’il évoque cette perspective, le Comando Supremo et Kesselring poussent de hauts cris ! Que Rommel aille se faire soigner en Europe et ne revienne jamais en Afrique !
« Le Führer s’inquiéterait de moi, note avec satisfaction Rommel… Mais je reçois à tout instant des ordres de Rome, alors que la responsabilité repose sur moi. C’est intolérable !
« Il m’arrive souvent de penser que ma tête va éclater. Nous sommes continuellement obligés de suivre des chemins qui mènent au bord de l’abîme, alors que si les choses venaient à aller mal, les conséquences seraient terribles. »