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On n’écoute plus les harangues de Goebbels. On ne lit plus les journaux : « ce sont des absurdités, des mots creux ». Le service de sécurité des SS constate que de « larges secteurs de la population se ferment volontairement à la propagande sous sa forme actuelle ».

« Les histoires que les camarades évacués ont répandues ont créé un effet de choc et d’immense consternation sur tout le territoire du Reich. »

Des membres du Parti se font insulter. Personne ne répond à leur « Heil Hitler ».

Le général Jodl, parlant devant les Gauleiters nazis réunis à Munich, peint la situation avec des couleurs sombres.

« Ce qui pèse le plus lourdement sur le pays et en conséquence par réaction sur le front, dit-il, ce sont les raids de terreur de l’ennemi sur nos foyers, sur nos femmes et nos enfants. À cet égard, la guerre a pris par la seule faute de l’Angleterre un caractère que l’on ne croyait plus possible depuis le temps des guerres raciales et des guerres de Religion.

« L’effet psychologique, moral et matériel de ces raids de terreur est tel qu’il faut absolument les enrayer, si on ne peut totalement les empêcher. »

Jodl n’hésite pas à ajouter alors qu’un silence pesant écrase la salle :

« Le démon de la subversion circule dans le pays entier. Les lâches cherchent un moyen d’en sortir ou, comme ils le prétendent, une solution politique. Ils disent que nous devons négocier pendant que nous avons encore quelque chose en main. »

23.

En juillet 1943, le Führer, ses généraux et maréchaux pensent encore qu’ils ont entre leurs mains ce « quelque chose » qui leur permettra de rétablir la situation du Reich, et ainsi de pouvoir négocier avec l’un ou l’autre de leurs ennemis.

Ce « quelque chose », c’est l’attaque qu’ils préparent sur le front de l’Est, entre Orel et Bielgorod, contre le « saillant de Koursk », cette avancée russe, comme une tumeur, qu’il faut cisailler en l’attaquant à sa base, au nord vers Orel, au sud vers Bielgorod.

« Nous devons rattraper en été ce qui a été perdu en hiver », répète le Führer. Ce sera l’opération Zitadelle.

Aucun des officiers de son Grand Quartier Général ne peut résister au Führer, dont ils perçoivent pourtant l’angoisse.

À la veille de lancer l’offensive décisive qui peut effacer les désastres de Stalingrad ou au contraire sceller le sort de la guerre à l’Est, le Führer n’a-t-il pas confié à Guderian : « Chaque fois que je pense à Zitadelle, j’ai mal au ventre » ?

Mais en dépit de cela, et des réticences des généraux Jodl et Model, du scepticisme de Guderian, la décision est prise : attaquer !

On attend que parviennent aux Panzerdivisionen les nouveaux modèles de chars lourds – Tigre et Panther – qui doivent dominer les T34 et les KV soviétiques.

On concentre sur moins de 50 kilomètres de front neuf des plus belles divisions de l’armée allemande, parmi lesquelles les divisions SS Leibstandarte, Das Reich, Totenkopf.

Les officiers de chars abandonnent, pour se rendre en première ligne afin d’observer le terrain, leur uniforme noir comme si les Russes pouvaient ignorer la présence de Panzerdivisionen.

Ces officiers découvrent devant eux une vaste plaine coupée de nombreuses vallées, et dont le sol monte en pente douce vers le nord, favorisant la défense russe. Partout s’étendent de grands champs de blé qui limitent la visibilité.

Ces officiers et leurs généraux n’imaginent pas que l’état-major russe a percé les plans du Führer et qu’il a fait du saillant de Koursk, en effet, une citadelle où s’entassent 20 000 pièces d’artillerie – dont 6 000 canons et antichars, des centaines de lance-fusées Katioucha !

Les champs de mines antichars et antipersonnel atteignent une densité de 2 500 engins au kilomètre !

D’immenses fossés antichars – de 4,50 mètres de profondeur – ont été creusés. Des tranchées étroites permettent aux fantassins de progresser dans les champs de mines et d’attaquer les tanks allemands qui auront échappé aux canons antichars et aux mines.

Les tanks T34 sont à l’affût en arrière de ce réseau défensif. Des centaines de milliers d’hommes sont concentrés, prêts à s’élancer.

« Le terrain dont nous avons effectué un relevé topographique, explique un capitaine de l’armée Rouge, est piqueté et plein de repères. Les chemins que nous devons prendre pour aller occuper nos tranchées et nos abris sont jalonnés. »

Ordre est donné aux unités d’artillerie antichars de n’ouvrir le feu qu’au dernier moment.

« Au début de la guerre, souligne un officier russe, c’était la bousculade générale, on n’avait jamais le temps… Aujourd’hui, on va au feu posément. »

Dans la nuit du 3 au 4 juillet, les guetteurs russes voient se dresser devant eux une silhouette, bras levés. C’est un déserteur tchèque d’un bataillon du génie.

Il raconte que l’on a distribué à chaque soldat une ration spéciale de schnaps et cinq jours de vivres. L’attaque serait donc imminente, et ce renseignement confirme les informations dont dispose la Stavka – le comité militaire que préside Staline – selon lesquelles les Allemands déclencheraient leur attaque entre le 3 et le 6 juillet.

Dans la nuit du 4, les Russes décident d’ouvrir le feu avec leur artillerie de moyenne portée qui doit viser les premières lignes allemandes et les zones de rassemblement. Mais les pièces antichars ne se dévoileront pas.

Les soldats allemands comprennent qu’ils ne bénéficieront pas de l’effet de surprise. Les officiers les rassemblent et leur lisent le message personnel que le Führer adresse à ses troupes :

« Soldats du Reich !

« Vous participez aujourd’hui à une offensive d’une importance considérable. De son résultat peut dépendre tout le sort de la guerre.

« Mieux que n’importe quoi, votre victoire montrera au monde entier que toute résistance à la puissance de l’armée allemande est vaine. »

Au même moment, L’Étoile rouge – le journal de l’armée Rouge – en appelle au patriotisme russe, face à cette attaque allemande qui menace le cœur même de la Russie, la région natale de l’écrivain Tourgueniev, le chantre de la Russie.

« Nos pères et nos ancêtres ont fait tous les sacrifices pour sauver leur Russie, leur patrie, écrit L’Étoile rouge. Nous n’oublierons jamais Minine et Pojarski, Souvorov et Koutousov et les partisans russes de 1812.

« Nous nous sentons fiers à la pensée que le sang de nos glorieux ancêtres coule dans nos veines et que nous nous montrerons dignes d’eux. »

À 14 heures, ce 4 juillet 1943, les 2 000 chars allemands de la première vague se hissent hors de leurs abris dans les creux du terrain et s’engagent, hublots et volets fermés, au milieu des blés.

Et tout à coup, des milliers de pièces antichars russes ouvrent le feu.

« Nous avons l’impression d’avancer dans un cercle de feu », note l’opérateur radio d’un char Tigre !

L’artillerie allemande n’a pas été capable de repérer et d’écraser les canons russes. Et les champs de mines n’ont pas été nettoyés.

« Les premiers rapports, disent les officiers d’état-major russes, établissent que 586 tanks ennemis ont été endommagés ou détruits », dès les premiers cent mètres.

Les consignes allemandes sont implacables et condamnent à mort les équipages dont les chars immobilisés deviennent une cible offerte aux canons antichars et aux fantassins russes enfouis dans des tranchées étroites ou des trous individuels creusés au milieu des champs de mines.