Hitler frappe ses cuisses du plat de ses mains.
« C’est ça, tout droit à l’avion et en route. »
Il garde le silence, de longues minutes, comme s’il imaginait la scène, puis tout à coup, il lance :
« Je pénétrerai au Vatican. Croyez-vous que le Vatican m’intimide ? Nous allons nous en emparer… Tout le corps diplomatique s’y trouve… Cette racaille… Nous sortirons de là cette bande de salauds… Plus tard, nous présenterons des excuses… »
Après un nouveau silence, il dicte un plan d’action en quatre points.
D’abord, l’opération Eiche (« chêne ») pour libérer Mussolini. Puis l’opération Student (« étudiant ») : occupation de Rome et rétablissement de Mussolini au pouvoir. Enfin, l’opération Schwarz (« noir ») : occupation militaire de toute l’Italie, et l’opération Aschse (« Axe ») : capture ou destruction de la flotte italienne.
La mise en œuvre de ces opérations suppose que les Allemands contrôlent les voies de passage du nord au sud, et s’emparent donc des cols des Alpes, dans le Tyrol, au Brenner.
Les généraux italiens protestent, donnent parfois l’ordre d’ouvrir le feu pour empêcher la progression allemande, mais les unités italiennes laissent passer les divisions de la Wehrmacht.
Le 3 août, la division SS Leibstandarte Adolf Hitler franchit le col du Brenner.
Mais, plus au sud, les Italiens ont barré les routes qui conduisent au grand port de La Spezia où se trouve ancrée la flotte italienne, que les avions anglais n’ont jamais attaquée.
Peut-être est-ce un accord qui annonce la signature d’un armistice entre l’Italie et les Anglo-Américains ?
Rommel s’interroge dans une lettre à sa « très chère Lu » :
« Le Führer ne veut toujours pas que j’entre en Italie, s’imaginant que cela équivaudrait à une déclaration de guerre, les Italiens, dit-il, ayant contre moi que j’ai été le seul général à les conduire à la victoire. »
Rommel précise pourtant que « les éléments antifascistes se mettant en évidence », « une partie de l’opinion italienne s’inquiète du désordre. Le pape lui-même désire maintenant s’appuyer sur nous », conclut-il.
Mais le 9 août, il ajoute :
« Je partirai en avion pour le GQG du Führer d’ici un jour ou deux, mais je n’y ferai qu’un bref séjour.
« La situation est des plus désagréable, avec ces Italiens sur qui l’on ne peut pas compter. Devant nous, ils protestent de leur fidélité à la cause commune, mais ils nous créent toutes sortes de difficultés et négocient dans notre dos à ce qu’il semble. Je ne suis malheureusement pas autorisé à entrer en Italie pour aller parler net à ces propres à rien… »
27.
Ces « propres à rien » d’italiens, il n’y a pas que le Feldmarschall Rommel qui les soupçonne de double jeu.
Les généraux anglais et américains qui négocient avec les envoyés du roi d’Italie et du maréchal Badoglio sont tout aussi méfiants.
Ils ont pourtant obtenu la signature le 27 août d’un armistice, mais ils veulent en garder la date d’entrée en vigueur secrète, persuadés que les Italiens la communiqueraient à l’état-major allemand. Or, le jour de l’armistice, les Alliés veulent parachuter des troupes sur les aéroports de Rome et débarquer.
Quant aux Allemands, ils écoutent, sceptiques, les déclarations du maréchal Badoglio qui, se présentant comme l’un des trois plus vieux maréchaux (avec Pétain et Mackensen), s’étonne de la « défense du gouvernement du Reich à son endroit ».
« J’ai donné ma parole, j’y ferai honneur, dit-il au nouvel ambassadeur allemand, Rahn. Je vous prie d’avoir confiance. »
Mais l’état-major allemand n’est pas dupe.
Les aérodromes de Rome sont occupés par des SS et, le 30 août, le maréchal Keitel envoie à toutes les unités de la Wehrmacht un message sans ambiguïté :
« La tâche la plus importante est celle de désarmer l’armée italienne le plus rapidement possible. »
Le 8 septembre 1943, à 17 h 45, la radio américaine révèle la reddition du gouvernement Badoglio.
À 19 h 30, d’une voix lourde et sans intonation, Badoglio « reconnaît l’impossibilité de continuer une lutte inégale ».
« La trahison des Italiens est désormais un fait, écrit Rommel à son épouse. Nous ne nous trompions pas sur eux. »
Les patrouilles allemandes entrent en action, désarment, embarquent dans des wagons à bestiaux à destination de l’Allemagne les soldats italiens désormais prisonniers.
La colère et le mépris animent les Allemands contre les « Badoglio Truppen ».
« Le Duce, écrit Goebbels, entrera dans l’Histoire comme le dernier des Romains, mais derrière sa puissante figure un peuple de bohémiens finira de pourrir. »
Quant à Rommel, il note le 10 septembre :
« Dans le sud, les troupes italiennes se battent déjà contre nous aux côtés des Anglais. Dans le nord, nous les désarmons pour le moment et les envoyons prisonnières en Allemagne. Quelle fin honteuse pour une armée ! »
En fait c’est une armée – et un peuple – en proie au désarroi. Mais les actes de courage sont nombreux.
À Rome, des civils crient : « Donnez-nous des fusils, les Allemands arrivent. »
Les Allemands réagissent avec brutalité. Le commandement de la Wehrmacht tolère, durant 24 heures, ce droit de saccage pour la ville qui symbolise la trahison.
Quand des unités italiennes résistent, la réaction allemande est implacable, criminelle.
À Céphalonie, la division Acqui ouvre le feu sur les Allemands. Quand la défense cesse, faute de munitions, les nazis fusillent en un seul jour 4 500 officiers et soldats, et laissent leurs corps sans sépulture.
« Les rebelles italiens n’en méritent pas », dit un officier allemand.
Pendant que ces combats se déroulent et que les Allemands occupent l’Italie, l’agence allemande d’information DNB publie la première proclamation d’un nouveau gouvernement fasciste. Il comprend des dignitaires fascistes (Farinacci, Pavolini) et le fils de Mussolini, Vittorio.
« La trahison ne s’accomplira pas : un gouvernement national-fasciste s’est constitué, déclarent-ils. Il travaille au nom de Mussolini. »
Les Allemands, bénéficiant d’informations transmises par des policiers italiens restés fidèles au Duce, savent que Mussolini est détenu au Gran Sasso.
Hitler charge personnellement le SS – d’origine autrichienne – Otto Skorzeny de délivrer le Duce.
Les parachutistes du général Student arriveront en planeur au Gran Sasso et maîtriseront les carabiniers qui gardent le Duce.
Celui-ci quittera en compagnie de Skorzeny le Gran Sasso, à bord d’un petit avion Fieseler Storch, la « Cigogne ».
Le plan est hardi, sa réussite incertaine.
12 septembre 1943. Gran Sasso. Il est 14 heures environ. Mussolini, assis devant sa fenêtre, voit tout à coup un planeur se poser à deux cents mètres de l’hôtel, des hommes armés bondissent hors de l’appareil. Bientôt sept autres planeurs arrivent, un neuvième se brise à l’atterrissage, trois autres manquent la plate-forme et s’écrasent le long des falaises.
Les soldats s’avancent vers l’hôtel, les carabiniers hésitent ; devant les Allemands court le général des carabiniers Soleti que les hommes de Student ont enlevé la veille. Le général Soleti a tenté de se suicider, en vain, les Allemands l’ont poussé de force dans le planeur de tête. Bientôt, les Italiens sont désarmés, sans qu’un seul coup de feu ait été tiré.
Libéré, Mussolini apparaît amaigri, vieilli ; il remercie Skorzeny, demande à rentrer chez lui à Rocca della Caminate. Mais l’Histoire lui joue son dernier tour : il est trop tard pour qu’on le laisse échapper à son rôle, trop tard, les Allemands ont des ordres stricts, il faut ramener Mussolini à la base aérienne de Pratica di Mare.