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L’avion d’observation « Cigogne » atterrit près de l’hôtel. Mussolini, en pardessus noir, chapeau noir, s’assoit entre les jambes du massif capitaine Skorzeny. L’avion cahote sur la courte piste improvisée, plonge dans une crevasse qui barre le terrain en pente ; l’appareil tombe un instant puis le pilote Gerlach, un as de la Luftwaffe, redresse et met pleins gaz.

L’opération Eiche a réussi. Les Allemands ont un nom célèbre pour le gouvernement national-fasciste.

Le maréchal Badoglio a certes déclaré que Mussolini ne sortirait pas vivant de sa prison mais en quittant Rome précipitamment, à l’aube du 9 septembre, le maréchal n’a donné aucune directive.

Et Mussolini est libre, entre les mains des Allemands.

Un Heinkel le conduit de Pratica di Mare à Vienne où il débarque vers minuit. Là, démuni de tout, mort de fatigue, il couche à l’hôtel Continental. Le 13 septembre, il est à Munich où il retrouve sa famille qui jusque-là avait été internée à Rocca délia Caminate ; il passe une journée avec sa femme et ses fils cependant qu’arrivent dans la ville les hiérarques que l’entrée des Allemands à Rome a libérés.

Dans la capitale de la Bavière se rassemblent ainsi les survivants du fascisme, et dans la ville il y a aussi, tenus à l’écart, les Ciano qui sont là au milieu de leurs ennemis.

Le 14 septembre 1943, à son Quartier Général, le Führer reçoit Mussolini. Les deux hommes s’étreignent longuement ; entre eux renaît ce lien qui s’est tissé au cours des rencontres et qui a fait de Hitler le meneur incontesté. La discussion commence et elle durera deux heures dans le bunker du Führer.

Mussolini a-t-il déclaré vouloir se retirer de la vie politique, n’a-t-il pas accepté de reprendre la tête d’un gouvernement fasciste que devant la menace de dures représailles allemandes contre les Italiens (emploi des gaz, mainmise du Reich sur la plaine du Pô) ? C’est une défense facile même s’il y a une part de vérité dans l’évocation des intentions de Hitler et dans l’affirmation du désir de Mussolini d’abandonner la partie.

Au vrai, Mussolini a subi la menace, l’ascendant de celui qu’il avait choisi de suivre, et surtout il a dû être repris par l’illusion d’un retournement éventuel de la situation.

En vieux routier de la politique, il imagine qu’un coup de chance reste toujours possible, qu’il n’y a pas de damnation en politique, qu’il suffit parfois de durer pour se sauver. Et puis, il y a le pouvoir, même s’il n’est plus qu’une apparence.

Et il se livre. Hitler le fait même examiner par son médecin personnel, le docteur Morell.

Autour de Mussolini grouillent déjà les intrigues et les rivalités des chefs fascistes, de Farinacci à Pavolini, chacun se présentant comme l’interprète des nazis. Mussolini à leur contact retrouve son passé, il est de nouveau le Duce.

Le 15 septembre, l’agence allemande DNB annonce :

« Mussolini a repris la direction du fascisme en Italie. »

Cette communication est suivie de la lecture de cinq arrêtés, les Fogli d’ordini (« feuilles d’ordres ») du nouveau régime :

« Arrêté n° 1 du régime :

« Aux camarades fidèles de toute l’Italie :

« Je reprends à partir d’aujourd’hui, 15 septembre 1943, an XXI de l’Ère fasciste, la direction suprême du fascisme en Italie.

« Benito Mussolini.

« Arrêté n° 2 du régime :

« Je nomme Alessandro Pavolini au secrétariat temporaire du Partito Nazionale Fascista qui s’appelle à partir d’aujourd’hui Partito Fascista Repubblicano (PFR).

« Benito Mussolini. »

Les autres arrêtés prévoient la reconstitution de tous les organismes du Parti.

À la lecture des journaux, les Italiens demeurent silencieux. Les uns finissent un rêve, les autres, le petit nombre des fascistes, sortent d’un cauchemar. Le Duce est revenu, et la peur que ces fascistes ont vécue pendant cinquante jours, ils vont la faire payer cher. Ils ressortent en chemise noire, insigne à la boutonnière, ils vont frapper aux portes, ils se font provocants et beaucoup d’italiens retrouvent – mais cette fois-ci la rage au cœur – leur visage d’impassibilité et d’humilité cependant que paradent quelques prepotenti (« fiers-à-bras ») fascistes.

Et ceci se produit dans toute l’Italie centrale et la plaine du Pô puisque les Alliés ne contrôlent que le sud de la botte, à partir du Garigliano, à environ deux cents kilomètres au sud de Rome.

Le 18 septembre, Mussolini parle à la radio de Munich. La voix est éteinte, lasse :

« Chemises noires,

« Italiens et Italiennes,

« Après un long silence, voici que de nouveau ma voix vous parvient et je suis sûr que vous la reconnaîtrez. »

Mussolini raconte les événements survenus, explique :

« Le mot “fidélité”, dit-il, a une signification profonde, éternelle, dans l’âme allemande. »

Après avoir attaqué le roi, Badoglio, tous les traîtres et les parjures, réaffirmé la nécessité de l’alliance allemande, il conclut :

« Il faut anéantir les ploutocrates parasitaires ! Paysans, ouvriers, petits employés, l’État qui va être construit sera le vôtre. »

La voix est sans chaleur, le discours pauvre et la démagogie outrancière et dérisoire.

Les Allemands refusent à Mussolini le droit de s’installer à Rome, ville ouverte. Il faut gagner Salò, sur les bords du lac de Garde, dans le voisinage direct du Reich. Il y a là Farinacci, Guido Buffarini-Guidi, ministre de l’intérieur, Pavolini et aussi le maréchal Graziani qui, par haine de Badoglio et fidélité à l’Allemagne et au Duce, dirige le ministère de la Défense.

Chaque ministre de la nouvelle République fasciste crée son corps de défense : milice, garde nationale républicaine ou Brigate Nere (« Brigades noires ») de Pavolini, corps de police et la Muti, formation autonome de répression qui a pris le nom de l’ancien secrétaire du Parti, élevé au rang de martyr du fascisme depuis qu’il a été abattu par les carabiniers de Badoglio. On utilise aussi des commandos de marine, la Xe MAS, du prince Valerio Borghese qui commande 4 000 à 5 000 hommes et les organise en un groupe indépendant aux vives ambitions politiques.

Dans tout cela, quelques jeunes gens voulant défendre la patrie contre l’envahisseur, quelques combattants fidèles aux camarades morts au cours de trois ans de guerre, et puis la tourbe des mal famés qui se rassemblent toujours autour des gouvernements imposés, petite troupe de vauriens de quinze à dix-sept ans, décidés aux meurtres et à la rapine et qui s’éclipsent quand viennent les vrais et durs combats.

Les SS du général Wolff et les espions allemands dominent ce monde qui n’est plus que le spectre du régime fasciste : même les communications téléphoniques passent par eux. Ils protègent et contrôlent. Ils sont en pays conquis et le gouvernement de Mussolini – celui de la République sociale italienne – n’est pas le paravent de leur domination.

Les journaux sont pleins d’« ordonnances du commandement allemand ». La Stampa du 2 octobre 1943, au milieu de sa première page, publie les photos du « mark d’occupation » dont le change est fixé à dix lires. Officiellement, l’Italie du Nord n’est plus qu’un pays militairement occupé.

Qui peut croire à la souveraineté de la République de Salò et de son Duce ?