Les camarades de Larger, ces membres de la Main-d’Œuvre Immigrée (MOI), l’ont vengé.
Le 23 octobre, l’intendant de police, Barthelet, qui avait offert une prime très importante en argent « à quiconque permettrait d’identifier le ou les auteurs de l’attentat commis par arme à feu au cours de la nuit du 23 au 24 courant contre un militaire allemand, rue de Bayard à Toulouse », est abattu à son tour.
C’est bien la logique sanglante de la guerre civile, « terreur contre terreur », qui, en cet automne et hiver 1943, entraîne résistants et collaborateurs.
Dans la région parisienne, le groupe FTP-MOI, dirigé par Missak Manouchian, est d’une audace et d’une efficacité redoutables.
Le 6 octobre 1943, au cœur de Paris, place de l’Odéon, un groupe de partisans attaque une soixantaine de soldats allemands.
En province – dans le Sud-Ouest, dans la région lyonnaise – les militaires allemands sont assassinés, leurs casernements attaqués, les trains dynamités.
On lit presque chaque jour dans les journaux des « Avis » encadrés de noir annonçant des exécutions de Français par les autorités allemandes ou incitant à dénoncer les « terroristes », cette « armée du crime ».
La presse lyonnaise publie ainsi en novembre 1943 l’Avis suivant :
« Ces jours derniers, des misérables ont commis, sous le prétexte des mots d’ordre politiques, des actes de terrorisme, sabotage de voies ferrées, dépôt de bombes, brigandages, incendies. Ce sont surtout des Français qui ont été victimes de cette activité.
« En conséquence, les éléments réfléchis de la population sont invités à transmettre sans délai toutes les indications susceptibles de permettre l’arrestation de ces terroristes, soit aux services allemands, soit aux services français. Une discrétion absolue est garantie.
« Au surplus, le Kommando de la Sicherheitspolizei SD à Lyon offrira une récompense de 100 000 francs chaque fois que la découverte et l’arrestation de terroristes auront été rendues possibles à la suite de renseignements fournis par la population aux services allemands.
« Les Français qui manifesteraient de la complaisance à l’égard des terroristes, ou qui tarderaient à signaler les plans de sabotage des terroristes et toutes les circonstances suspectes dont ils auraient pu avoir connaissance, se feraient les complices de ces individus et seraient passibles de peines sévères.
« Lyon, novembre 1943. »
La guerre est donc là, écrasant le pays, répandant la « terreur ».
Les bombardements aériens – de nuit, de très haute altitude – provoquent des milliers de victimes : plus de 2 000 en un seul raid, à Nantes, en septembre 1943.
Paris est frappé pour la première fois ce mois-là : 105 morts, 205 blessés.
Lyon, Marseille, Nice, Chambéry, Saint-Étienne, Avignon, Nîmes, Grenoble, Rouen sont bombardés à leur tour et ce sont là, chaque fois, des centaines, des milliers de victimes.
Au total, de 1941 à 1944, on dénombre 67 078 morts et 75 660 blessés.
Les collaborateurs, la Milice, les autorités organisent de grandes cérémonies funèbres et stigmatisent les « criminels » anglais et américains qui frappent la population civile.
Mais au lieu de dresser l’opinion contre les « Anglo-Américains », ces bombardements sont acceptés, comme une fatalité que seuls le « Débarquement » – le mot est répété comme un viatique – et la « Libération » feront cesser.
Pétain et ses proches mesurent l’opprobre qui les frappe.
Ils veulent se séparer de Pierre Laval, symbole de cette collaboration sanglante dont le pays ne veut pas et qui fait du chef du gouvernement un homme haï par la majorité des Français.
Il ne faut pas que le naufrage de Laval entraîne celui du Maréchal.
En novembre 1943, les proches du Maréchal le poussent à affirmer son hostilité à Laval et à sa politique de collaboration. Des conciliabules rassemblent des élus du Parti radical – près de 200 – qui en appellent au Maréchal.
« Où en êtes-vous, monsieur le Maréchal, après quarante mois de pouvoir légal ? »
« Il est temps, monsieur le Maréchal, d’acheminer la France de la colère à la justice et de réaliser notre pacification intérieure par le retour à la vie normale d’une République… »
« […] L’adresse que voici est une sommation respectueuse mais ferme. Nous vous invitons à nous convoquer dans la même forme et aux mêmes fins que nos aïeux de 1871. »
La manœuvre se veut habile : on rompt avec Laval, et on devance de Gaulle.
On rêve de s’appuyer sur le général Giraud.
« En se désolidarisant de M. Laval, écrit ainsi un conseiller de Pétain, devenu attaché d’ambassade à Berne… en dénonçant la collaboration, en prenant vis-à-vis d’Alger la position que nous avons dite, le Maréchal tend la main discrètement au mouvement autochtone de résistance. »
Il est bien tard pour conduire cette manœuvre !
De Gaulle a écarté Giraud, et les résistants sont unis dans le Conseil National de la Résistance.
Les Allemands sont sur leurs gardes : ils ne laisseront pas Pétain chasser Laval.
Hitler l’écrit lui-même.
« Le gouvernement du Reich ne permettra pas le retour d’incidents analogues à ceux du 13 décembre 1940 et ne laissera pas mettre à nouveau en question la continuité du développement politique entre la France et les puissances de l’Axe. »
Marcel Déat, Philippe Henriot, Doriot, Marion, et les autres membres des partis collaborationnistes, alertés, dénoncent ces cabales.
Laval est serein : la Milice de Darnand, Obersturmführer des Waffen-SS, est à ses ordres.
Et les projets de « révision constitutionnelle » élaborés par l’entourage de Pétain afin de l’écarter font sourire le politicien madré qu’est Laval.
Pétain s’impatiente, convoque Laval, fin octobre 1943.
« Vous n’êtes plus l’homme de la situation, vous êtes incapable de maintenir l’ordre dans le pays, lui lance Pétain. Vous êtes suspect aux Allemands, vous les avez déçus ! »
Laval ne répond pas, ne rend plus visite au Maréchal, mais il se tient informé des intentions de Pétain, enfermé lui aussi – mais à l’étage supérieur ! – à l’hôtel du Parc.
Pétain rédige une lettre à Laval, lui rappelant les termes de leur entretien, et surtout Pétain prépare un appel au pays qui doit être radiodiffusé le 13 novembre 1943.
Pétain en a corrigé plusieurs fois les termes.
« Français,
« Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale m’a donné mission de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution de l’État français…
« J’incarne aujourd’hui la légitimité française. J’entends la conserver comme un dépôt sacré et qu’elle revienne à mon décès à l’Assemblée nationale de qui je l’ai reçue si la nouvelle Constitution n’est pas ratifiée.
« Ainsi, en dépit des événements redoutables que traverse la France, le pouvoir politique sera toujours assuré conformément à la loi… »
Pétain s’illusionne. Le temps s’est écoulé depuis juillet 1940. Les Allemands n’ont plus besoin de ménager Pétain. Ils occupent toute la France. L’État français de Vichy ne représente plus rien. Ils n’ont plus d’égards pour ce vieillard de quatre-vingt-sept ans qui se proclame encore chef de l’État.
Ils exigent de connaître les termes de l’appel du Maréchal aux Français.
Pétain cède en maugréant, disant au représentant allemand à Vichy, Krug von Nidda :
« Cette histoire ne vous regarde pas ! »
Et, faisant allusion aux défaites allemandes sur le front de l’Est, il ajoute :