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« Il n’est tout de même pas possible, dit l’un d’eux, à l’automne 1943, que ce soient les Juifs qui gagnent et qui gouvernent. »

Un autre écrit :

« Si l’Allemagne est vaincue, les Juifs s’abattront sur nous et extermineront tout ce qui est allemand, il y aura un massacre cruel et terrible. »

Ceux qui ont assisté aux massacres accomplis par les Einsatzgruppen, ceux qui en ont été les acteurs et les complices, craignent une vengeance à la mesure des meurtres commis par la Wehrmacht et les unités vouées à ces tâches criminelles.

Il faut donc se battre pour préserver l’Allemagne du châtiment et du judéo-bolchevisme.

En 1943, le général Henrici, qui commence à craindre que l’Allemagne ne perde la guerre, écrit :

« Il ne doit pas y avoir de défaite dans cette guerre, car ce qui la suivrait n’est même pas pensable. L’Allemagne sombrerait et nous avec. »

Mais la situation de l’Allemagne, en cette fin d’année 1943, est désastreuse.

Sur le front de l’Est, les deux tiers des territoires occupés au cours des deux années précédentes ont été libérés.

Les Russes traversent le Dniepr. Kiev tombe le 6 novembre 1943. Le bassin industriel du Donetz est perdu, les Allemands évacuent la Crimée.

Les armées soviétiques du sud approchent des frontières polonaise et roumaine.

Cette année 1943 est bien celle du « grand tournant », car les Allemands perdent aussi la bataille de l’Atlantique.

Les Anglais ont équipé de radars leurs avions et leurs bâtiments de surface. Les sous-marins allemands, les U-Boote, sont repérés et détruits. Au cours des quatre derniers mois de 1943, ils coulent 67 bâtiments alliés, mais au prix de la perte de 64 sous-marins.

Hitler refuse de prendre en compte cette situation.

« Il n’est pas question, hurle-t-il, d’un ralentissement de la guerre sous-marine. L’Atlantique est ma première ligne de défense à l’Ouest. »

L’amiral Dönitz, spécialiste de la guerre sous-marine, retire de sa propre autorité les sous-marins de l’Atlantique Nord.

Le 12 novembre 1943, il écrit dans son Journal, après avoir subi la colère du Führer :

« L’ennemi a tous les atouts en main. Il couvre tous les secteurs avec des patrouilles aériennes à longue portée et emploie des méthodes de détection contre lesquelles nous n’avons pas encore de parade… L’ennemi connaît tous nos secrets et nous ne connaissons aucun des siens. »

Les Allemands ignorent cette réalité. Ils croient toujours à l’efficacité héroïque des U-Boote.

Mais dans cette fin d’année 1943, ils comprennent que la Luftwaffe, les batteries antiaériennes de la DCA sont impuissantes.

Ils découvrent qu’ils n’ont connu jusqu’alors que le purgatoire, que les bombardements de nuit et de jour vont plonger les villes allemandes dans les flammes de l’enfer.

Goering, Reichmarschall, avait déclaré en 1940 qu’il changerait son nom en Meier si une seule bombe ennemie tombait sur le Reich.

Or ce sont des milliers de bombes incendiaires, à retardement, à fragmentation, qui brûlent et font exploser les quartiers de Berlin, de Cologne, de Munich, de toutes les villes allemandes.

Goering est devenu M. Meier !

Et M. Meier refuse de voir la réalité.

Lorsque le général Adolf Galland, commandant la chasse aérienne, annonce à M. Meier que des chasseurs américains munis de réservoirs de carburant supplémentaires ont accompagné les bombardiers jusqu’à Aix-la-Chapelle, Goering s’emporte, évoque le « vol plané » de quelques appareils, puis, face à l’obstination de Galland, hurle :

« Je vous ordonne formellement de reconnaître qu’ils n’y étaient pas. »

Galland, un long cigare aux lèvres, dit en souriant et défiant Goering d’un regard insolent :

« À vos ordres, monsieur le Reichmarschall. »

On apprend peu après que le chef d’état-major de la Luftwaffe s’est suicidé en demandant à ce que Goering n’assiste pas à ses funérailles.

Goering passe outre, dépose une couronne au nom de Hitler.

Mais M. Meier ne fait plus illusion parce que les bombardements s’intensifient. Et que l’enfer, tombé du ciel, est quotidien.

Sept cents bombardiers incendient Berlin dans la nuit du 22 au 23 novembre 1943.

Fusées-parachutes éclairant les cibles, faisceaux innombrables des projecteurs fouillant le ciel, explosions, incendies, hurlements des victimes, appareils qui s’abattent enflammés ; et au matin, un nuage de fumée et de poussière épais de 6 000 mètres couvrant la ville tel un linceul gris-noir : voilà la nuit berlinoise !

Kiel, Nuremberg, Aix-la-Chapelle encore, et même les petites villes sont détruites.

Peut-être 100 000 morts en 1943 !

Les immeubles s’effondrent, foudroyés, incendiés, et en même temps les certitudes, le « moral » ne sont plus que décombres.

Comment ne pas s’interroger, ne pas condamner les nazis ?

Les survivants écrivent :

« Qu’ont-ils fait de notre belle, de notre magnifique Allemagne ?

« C’est à pleurer ! Pourquoi des gens laissent-ils nos soldats mourir inutilement, pourquoi laissent-ils ruiner l’Allemagne, pourquoi tout ce malheur, pourquoi ? »

On écoute les diatribes de Goebbels et de son ministère de la Propagande qui répètent que les pilotes américains sont des gangsters tirés de prison, que les Anglais sont des membres d’une aristocratie décadente, criminelle, que tous sont au service de « conspirateurs juifs » qui manipulent Churchill et Roosevelt.

Le service de renseignements SS rapporte que l’opinion réclame des raids de représailles.

« Si nous ne faisons pas quelque chose au plus vite, nous sommes perdus, nous ne pouvons plus rester passifs quand tout ce que nous avons est réduit en poussière. »

Quelques-uns des aviateurs qui ont sauté en parachute ont été lynchés. D’autres torturés et fusillés par la Gestapo.

Les Allemands qui condamnent ces meurtres sont arrêtés et abattus.

Ces actes criminels sont cependant limités.

Les Anglais et les Américains ne sont pas des « Untermenschen » comme les Russes. Une Allemande, dont le service de renseignements SS relève les propos, déclare :

« Ça me fait mal que tout ce que j’avais ait disparu. Mais c’est la guerre. Contre les Anglais, non, je n’ai rien contre eux. »

Ainsi, reste au fond de l’âme allemande, malgré la propagande de Goebbels, le sentiment qu’on appartient à la même civilisation que les Anglo-Américains. On s’indigne, on souhaite des représailles, mais on répète : « Mais c’est la guerre ! »

Et le désespoir gagne.

Les civils décrivent aux soldats les bombardements qu’ils subissent.

Et les combattants du front de l’Est ne peuvent cacher à leurs familles les conditions atroces de leur vie au front.

Ils parlent de vagues d’assaut russes, de ces centaines de milliers de morts – qui sont immédiatement remplacés. L’hécatombe n’arrête pas le flot.

Et les Russes disposent en abondance de tanks, de canons, de munitions, de camions, d’avions, ce qui leur assure la supériorité absolue en matériel. Au contraire, les Allemands manquent d’hommes et de munitions. Ils ne peuvent plus tenir un front continu.

Un général d’infanterie écrit :

« La 39e division n’a au combat ce matin que 6 officiers et environ 300 hommes. Les commandants m’ont fait savoir que l’épuisement a créé une telle apathie chez les soldats que les mesures draconiennes n’aboutissent pas à l’effet immédiat souhaité et que ni l’exemple donné par les officiers ni les encouragements affectueux n’ont le moindre succès. »