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Staline a partagé ce point de vue.

Roosevelt a même confié à ses généraux chefs d’état-major qu’il voyait la France ravalée pour plusieurs décennies à une condition inférieure. Et l’amiral Leahy – ancien ambassadeur des États-Unis auprès de Pétain – prédit même qu’il y aura, après la fin des hostilités, une guerre civile en France.

Roosevelt approuve et ajoute :

« Il se pourrait fort bien que nous soyons obligés de maintenir certaines divisions en France. […] Il faudra peut-être un État tampon entre l’Allemagne et la France. Il pourrait s’étendre du nord de la France, disons Calais, Lille et les Ardennes, jusqu’à l’Alsace et la Lorraine – en d’autres termes, de la Suisse jusqu’à la Côte. »

Cela correspond presque exactement à la « zone interdite » créée par les autorités allemandes.

Mais cela ne trouble pas Roosevelt.

Pour lui, « le général de Gaulle est un soldat, un patriote certes, dévoué à son pays, mais c’est un politique, un fanatique et je crois qu’il a pratiquement tout du dictateur ».

Ce jugement de Roosevelt porté après la conférence de Casablanca en janvier 1943 est encore plus sévère en décembre.

De Gaulle, en menaçant d’arrestation les personnalités vichystes, montre qu’il veut s’emparer du pouvoir.

« Le moment est venu d’éliminer de Gaulle », dit Roosevelt.

Et Churchill partage ce point de vue :

« Il est essentiel que nous soutenions le Président », dit le Premier ministre anglais.

« De Gaulle est arrogant, il est égoïste, poursuit Churchill. Il se prend pour le centre de l’univers. »

« Je vous assure que cet individu ne reculera devant rien s’il a des forces armées à sa disposition. »

La tension entre de Gaulle et les Anglo-Américains est en ce mois de décembre 1943 à son comble. Les trois vichystes ont été arrêtés.

Mais la situation est délicate pour Roosevelt et Churchill. C’est le Comité Français de Libération Nationale, représentatif de la Résistance, qui a ordonné leur arrestation.

Et le Conseil National de la Résistance est à l’origine de cette mesure.

Alors, en réaliste, Roosevelt recule et Churchill le suit.

« Le Président, note MacMillan, le ministre anglais en poste à Alger, a complètement abandonné la partie. Pas d’ultimatum au Comité Français et à de Gaulle. C’est à nous, diplomates, qu’est laissé le soin de traiter du problème des procès politiques. Un véritable triomphe ! »

C’est aussi un triomphe pour de Gaulle.

À Alger, il reçoit à la villa des Glycines, le 27 décembre 1943, le général américain Eisenhower qui a été choisi comme commandant en chef des troupes engagées pour l’opération Overlord. Il sera assisté du général Montgomery qui commandera les troupes terrestres.

Au moment où le général américain va quitter Alger pour l’Angleterre, il faut que rien ne reste dans l’ombre. Les combats en Italie sont importants, mais il faut des Français, au moment du débarquement en France ! La division de la France Libre commandée par Leclerc !

Eisenhower est un homme direct et lucide. Il devrait comprendre.

« Il nous faut au moins une division française en Angleterre, dit de Gaulle. Je vous le répète, n’arrivez pas à Paris sans troupes françaises ! »

Il observe Eisenhower qui approuve d’un hochement de tête.

« Soyez certain que je n’imagine pas d’entrer à Paris sans vos troupes », dit-il.

Eisenhower semble hésiter, puis reprend :

« Je demanderai maintenant au général de Gaulle de me permettre de m’expliquer avec lui sur le plan personnel. On me fait une réputation de brusquerie… Je n’ai qu’un but : mener la guerre à bonnes fins. Il m’a semblé que vous ne vouliez pas m’apporter votre entier concours… Je reconnais aujourd’hui que j’ai commis une injustice à votre égard et j’ai tenu à vous le dire. »

L’émotion qui tout à coup serre la gorge. Quand enfin un homme apparaît, vrai, juste.

« Je suis très touché de ce que vous venez de dire. You are a man », murmure de Gaulle.

Il toussote.

« Tout cela compte peu… poursuit-il. Nous ferons tout pour vous aider. Quand une difficulté surgira, je vous prie de me faire confiance et de prendre contact avec moi. Par exemple, je prévois déjà, et vous aussi, que c’est cela qu’il faudra faire quand se posera sur le terrain la question de Paris. »

Eisenhower approuve.

De Gaulle sent que se noue avec cet homme une relation franche, il lui semble qu’il peut faire confiance à ce soldat.

« Pour la prochaine campagne de France, dit Eisenhower, j’aurai besoin de votre appui, du concours de vos fonctionnaires, du soutien de l’opinion française. »

Ton nouveau !

Eisenhower poursuit :

« Je ne sais encore quelle position théorique mon gouvernement me prescrira de prendre dans mes rapports avec vous. Mais en dehors des principes, il y a les faits. »

De Gaulle regarde Eisenhower droit dans les yeux. Le général américain ne baisse pas la tête.

« Je tiens à vous dire, continue-t-il, que dans les faits, je ne connaîtrai en France d’autre autorité que la vôtre. »

De Gaulle lui serre longuement la main.

Enfin ! De Gaulle a le sentiment de disposer d’un appui essentiel. Eisenhower est l’homme qui, au moment décisif pour la France, jouera le rôle capital.

« Si nous avons éprouvé quelques difficultés dans nos rapports, ce n’est ni votre faute ni la mienne, dit de Gaulle. Cela a dépendu des conditions qui ne sont pas en nous-mêmes… Quand nous aurons gagné la guerre, il n’en restera plus trace (il sourit) sauf naturellement pour les historiens. »

38.

Ni de Gaulle ni Eisenhower ne savent encore que Hitler, en ce mois de décembre 1943, a confié au Feldmarschall Erwin Rommel le soin d’organiser la défense du territoire français contre une invasion.

Et Rommel a consacré tout ce mois de décembre à inspecter les côtes, à prévoir des champs de mines sur les plages, des pieux surmontés d’une charge explosive et reliés entre eux par des fils de fer barbelés qui, heurtés, déclenchent des explosions.

Il a examiné les éléments du Mur de l’Atlantique, cet ensemble de fortifications.

Il a établi la position des emplacements d’artillerie, ceux des divisions d’infanterie et des divisions de panzers. Il est persuadé que c’est « le front de l’Ouest qui compte avant tout ».

On peut arrêter les Russes par une défense « rigide », dit-il.

« Mais si nous arrivons à rejeter Anglais et Américains à la mer, il s’écoulera du temps avant qu’ils ne reviennent. »

Il commence son périple d’inspection au Danemark. Il écrit à son épouse.

8 décembre 1943

« Très chère Lu,

« Nous sommes en route aujourd’hui vers le point le plus septentrional des défenses côtières. Dans quelques jours, la tournée sera terminée ; c’est alors que commencera le travail de paperasserie. À l’Est et au Sud, nos troupes livrent de violents combats. Inutile de vous dire quels sont mes sentiments, moi qui vois de loin la situation. J’ai appris qu’à l’avenir l’ordre de mobilisation s’étendra aux jeunes gens de quatorze ans ; ils seront versés dans le service du travail ou affectés à la défense, compte tenu de leur taille et de leur développement physique. »

11 décembre 1943

« Nous revenons maintenant de la capitale (Copenhague). Encore quelques jours de travail de bureau et je reprends mes occupations.