Mais au fil des heures et des jours, cette résolution s’effiloche. Pétain revoit Abetz, reçoit Laval.
« Laval est démoniaque, raconte Lucien Romier, ministre d’État de Pétain. Il voit quatre fois par jour le Maréchal. Il faut constamment défaire ce qu’il a fait. Je tourne la clef d’une montre sans ressort… Je n’en puis plus. »
Pendant ce temps, Marseille est bombardée par les Alliés. Le nombre des victimes des raids aériens atteint plusieurs milliers. On évoque même le chiffre de 30 000 victimes. Mais à l’exception de la presse ultra-collaborationniste, la population semble accepter comme une fatalité nécessaire que la guerre emporte la France dans un abîme de douleurs.
C’est le prix à payer pour le Débarquement, la Libération. On écoute Radio-Londres. On vomit l’occupant et ses sbires criminels qui se prétendent encore français.
Le maréchal Pétain, lui, dévide l’écheveau de ses capitulations.
Dans une lettre du 11 décembre 1943, il assure à M. le chancelier Hitler qu’il soutiendra tout gouvernement « qui pourra reprendre en main le pays ».
Il accepte donc le gouvernement de Pierre Laval qui comportera les « Ultras » de la Collaboration, Déat, Doriot, Philippe Henriot.
« Je ne puis avoir, monsieur le Chancelier, poursuit Pétain, d’autre politique que celle que je viens de définir. Par la lutte contre le communisme et le terrorisme, elle contribue à la défense de la civilisation occidentale. Elle est la seule de nature à sauvegarder les chances de cette réconciliation de nos deux peuples qui est la condition de la paix en Europe et dans le monde. »
Le 18 décembre 1943, dans une seconde lettre au Führer, le maréchal Pétain se soumet, sans retenue, aux exigences allemandes, puisque Hitler ne s’est pas satisfait des formules générales de la lettre du 11 décembre.
« Monsieur le Chancelier,
« Comme suite à ma lettre du 11 décembre et au désir que vous avez exprimé, je précise que les modifications des lois seront désormais soumises avant la publication aux autorités allemandes. »
On ne peut aller plus loin dans la capitulation.
Ce 18 décembre 1943, Pétain a renoncé à être autre chose qu’un vaincu, soumis aux ordres du Führer.
Le 19 décembre 1943, au Vélodrome d’Hiver, en ce lieu même où avaient été rassemblés les Juifs au terme de la grande rafle du 16 juillet 1942, les « Ultras » – Marcel Déat, Philippe Henriot, Jacques Doriot – en uniforme de la Milice ou des Waffen-SS tiennent meeting, sous l’emblème de la croix gammée.
Ils invitent l’assistance à s’enrôler pour aller combattre sur le front russe.
Ce même 19 décembre 1943, Pétain, pour la première fois depuis la mi-novembre, assiste à la cérémonie du lever des couleurs. Quelques dizaines de personnes surveillées par une section de gardes mobiles l’applaudissent.
Puis Pétain rentre à l’hôtel du Parc.
Tout, en mode mineur – aucune voix ne crie « Vive le Maréchal » –, semble être rentré dans l’ordre.
Le 28 décembre arrive à Vichy l’Allemand Cecil von Renthe-Fink.
Le Führer a exigé la présence, auprès de Pétain, de ce « délégué spécial diplomatique ».
Ce « surveillant » doit contrôler tous les propos, toutes les activités de celui qui fut maréchal de France.
De ce titre qui lui valut tant d’adhésions, Pétain ne garde plus que l’uniforme et le képi.
40.
Pétain, en cette fin décembre 1943, n’est plus qu’un fantoche.
Les Allemands dressent deux listes contenant les noms des personnalités du gouvernement et de l’administration jugées indésirables par les autorités d’occupation.
Les Allemands exigent le renvoi – et annoncent l’arrestation et la déportation, pour certains d’entre eux – de plusieurs centaines de hauts fonctionnaires (préfets, directeurs d’administration).
Après d’âpres négociations, Laval obtient d’Abetz que cette liste soit réduite à quarante noms ! Mais les généraux Laure et La Porte Dutheil – proches de Pétain – sont arrêtés et promis par la Gestapo à la déportation.
René Bousquet, secrétaire général de la Police, doit abandonner son poste alors qu’il a été, collaborant directement avec les SS, l’un des organisateurs de la grande rafle du Vél’ d’Hiv’ en juillet 1942.
En décembre 1943, il donne l’ordre à ses services de détruire de nombreux dossiers. Bousquet sait qu’il va être arrêté par les Allemands, et que son successeur est désigné.
Les Ultras entrent en effet au gouvernement.
Le Waffen-SS Joseph Darnand devient secrétaire général au Maintien de l’Ordre.
Philippe Henriot, la « voix » des Ultras, le propagandiste talentueux, est nommé secrétaire d’État à l’information et à la Propagande.
Pétain n’a pas accepté l’entrée au gouvernement de Marcel Déat – coupable d’avoir dans de nombreux éditoriaux fustigé les attentistes de Vichy.
Mais ce n’est que partie remise puisque Pétain a décidé de ne pas signer lui-même – or il est chef de l’État – les nominations au gouvernement dont Laval est ainsi le seul maître.
Et Pétain, ce jeudi 30 décembre 1943, en buvant paisiblement une infusion chaude, se félicite de la « victoire » qu’il vient de remporter en se désolidarisant de décisions qui lui déplaisent, mais en laissant Laval les mettre en œuvre !
Mais qui, hors du cercle étroit des Ultras, prête encore attention à cette guerre des antichambres que se livrent à l’hôtel du Parc Pétain et Laval ?
En fait, les Français sont suspendus aux nouvelles qui parviennent depuis les émetteurs de la BBC à Londres en dépit des brouillages.
Et chaque auditeur est certain que l’année 1944 sera celle du Débarquement, de la Libération.
Au 30 décembre 1943, sur le front de l’Est, l’armée Rouge enfonce les lignes allemandes tout au long de 300 kilomètres. Elle progresse en profondeur de 50 à 100 kilomètres, et reprend mille agglomérations.
Dans le Pacifique, les Américains chassent île après île les Japonais des territoires qu’ils avaient conquis en 1941-1942. L’US Air Force est maîtresse du ciel et commence systématiquement à bombarder le Japon.
Sur le front d’Italie, la bataille est engagée par les Anglo-Américains et le corps expéditionnaire français dans les Apennins, sur le fleuve Garigliano. C’est le sort de Rome qui se joue.
Sur mer, les Alliés ont déjà remporté la victoire.
Jamais autant de convois n’ont traversé l’Atlantique avec aussi peu de pertes.
Et le 26 décembre, au large du cap Nord, la Royal Navy coule le croiseur Scharnhorst, le fleuron de la marine allemande.
Quant au ciel d’Europe, il appartient aux Alliés.
Dans les derniers jours de décembre, ils déversent des milliers de tonnes de bombes sur l’Allemagne, au cours de 3 000 sorties de bombardiers !
Dans chaque nation d’Europe occupée, la Résistance multiplie les sabotages, les attentats.
En France, le Conseil National de la Résistance affirme :
« La Résistance doit se battre ou disparaître.
« Après avoir agi de façon défensive, elle a pris maintenant un caractère offensif et seul le développement offensif des Français contre l’ennemi permettra à la Résistance de subsister et de vaincre. »
En ce mois de décembre 1943, la Résistance livre jour après jour la « bataille du rail ».
Lignes et ponts coupés, locomotives sabotées dans les dépôts des gares, trains allemands détruits sont quotidiens.