Ils ont pris en main le camp de Drancy jusque-là dirigé par les autorités françaises.
Le régime du camp sévère devient sous la férule des SS – et d’abord du Hauptsturmführer-SS, Alois Brunner – l’antichambre de la mort.
On y frappe, on y torture, on y tue. On y est poussé dans les wagons plombés qui partent pour les camps d’extermination et d’abord Auschwitz.
La Gestapo ne connaît plus aucune limite territoriale. Ses hommes envahissent l’ex-zone sud, interviennent en plein cœur de Vichy – ainsi un magistrat est-il arrêté dans le bureau du garde des Sceaux !
Ils se font ouvrir les portes des prisons, arrachent les détenus à leurs cellules et les conduisent à Paris où, le plus souvent, ils sont torturés, exécutés ou déportés.
Les bourreaux sont fréquemment des Français. Une Gestapo « française » est dirigée par un gangster, Laffont, et un policier révoqué, Bony.
Cette bande de la « rue Lauriston », composée de condamnés de droit commun que Laffont a fait libérer de prison grâce à l’appui des autorités allemandes, est plus cruelle encore que la Gestapo qui opère en plusieurs lieux et notamment rue des Saussaies. On dénombre plus d’une dizaine de centres de torture à Paris.
Les rafles visant les Juifs réfugiés dans l’ancienne zone « libre » se multiplient. La police française exécute les ordres des autorités allemandes. Les Juifs sont traqués. Ils fuient les villes de la côte méditerranéenne et d’abord Nice et Cannes, et gagnent les villages et les cités des Alpes.
Heureusement, les départements du sud de la France sont occupés depuis le 11 novembre 1942 par les troupes italiennes qui s’opposent à ces rafles, à ces déportations.
« Cela, remarquent les Italiens, a été fait non sans rencontrer toutefois une certaine résistance dictée encore une fois chez les Français par le désir de voir se confirmer leur souveraineté. »
Pierre Laval et René Bousquet, le secrétaire général de la police française, sont en effet soucieux de la « souveraineté française », quitte à obéir aux nazis – comme lors de la grande rafle du Vélodrome d’Hiver le 16 juillet 1942 !
Paradoxe, aveuglément, on devient l’exécutant des ordres nazis afin d’affirmer qu’on est « souverain » !
Quand, le 3 janvier 1943, un attentat a lieu contre une « maison close » du quartier du Vieux-Port à Marseille fréquentée par les soldats de la Wehrmacht, le problème de l’attitude des autorités françaises se pose aussitôt.
L’attentat a provoqué la mort de plusieurs « clients » des prostituées, autant d’Allemands que de Français. Mais Hitler, au vu du rapport qui lui est transmis, est emporté par la colère. Il convoque Himmler :
« La ville de Marseille est un repaire de bandits, dit-il. Cela a existé de tout temps ; mais aujourd’hui, c’est l’Allemagne qui en supporte les conséquences. »
Il serre les poings, les brandit.
« Il n’y a qu’une mesure à prendre. D’après les renseignements qui me sont donnés, tous les bandits sont concentrés dans le quartier du Vieux-Port. Il y a dans ce quartier des souterrains ; il y a des moyens d’action exceptionnels. On me signale qu’un grand nombre de déserteurs allemands y sont cachés. Il n’y a donc qu’une solution : je donne l’ordre de raser tout ce quartier du Vieux-Port. »
Oberg, le représentant de Himmler en France, se rend aussitôt à Marseille, fustigé par Himmler qui l’accuse de ne pas avoir signalé ce que le Führer vient de lui révéler. Les instructions du Führer doivent être exécutées sans délai.
Oberg annonce à René Bousquet que la police allemande va encercler le 1er arrondissement de Marseille, arrêter les 50 000 personnes qui l’habitent. Elles seront déportées. S’il y a des résistances, elles seront brisées à l’aide de tanks, puis le quartier sera détruit.
René Bousquet et le préfet régional Lemoine obtiendront que l’opération soit conduite par la police française.
Elle débutera le 24 janvier 1943 à 5 heures du matin. Les destructions seront moins étendues que celles prévues par les Allemands, et les « déportés » ne seront que… 20 000, dont la moitié seront internés dans un camp « français » à Fréjus et éviteront ainsi le départ pour le camp de Compiègne puis les camps de concentration en Allemagne.
Moindre mal ?
Ce qui demeure, c’est que l’ordre du Führer a été exécuté par les forces de l’ordre françaises, que l’État français n’existe plus, que l’illusion entretenue de juillet 1940 au 11 novembre 1942 est morte.
La police de Pétain et de Laval n’a pas conduit à préserver la souveraineté française dans le cadre d’une « collaboration », elle a abouti – ainsi que de Gaulle le martèle depuis le 18 juin 1940 – à la soumission.
Et les Allemands exigent toujours plus.
Ils ont réussi à occuper la Tunisie où en novembre 1942 les Américains – étrange et grave oubli – n’ont pas débarqué. Les troupes françaises présentes dans le protectorat tunisien tentent en vain de s’opposer aux parachutistes allemands.
La Wehrmacht occupe la Tunisie. Mais le Grand Quartier Général allemand, installé à Tunis, semble ne pas vouloir s’emparer de la flotte française ancrée dans la rade de Bizerte.
Lorsque l’amiral Derrien, qui la commande, est convoqué à l’état-major allemand, il ne se doute pas – après plusieurs semaines de relations courtoises – que le général Nehring va lui donner trente minutes pour livrer intacts tous les vaisseaux français, la seule force militaire dont dispose Vichy.
Si l’ultimatum n’est pas exécuté, dit Nehring, « les équipages seront tués jusqu’au dernier officier et marin. On ne fera pas de prisonnier ».
Que faire ?
La Tunisie est entre les mains allemandes.
6
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C’est vers la Tunisie, désormais occupée par plus de 200 000 soldats allemands et italiens, que, en ces premiers jours de l’année 1943, se dirige Rommel.
Longue retraite depuis sa défaite à El-Alamein face à la VIIIe armée britannique du général Montgomery – « Monty ».
Rommel est sans illusions.
Il a installé son poste de commandement dans la ferme d’un colon, à la frontière nord de la Tripolitaine. Il lui faut atteindre le sud de la Tunisie, faire la jonction avec les forces allemandes et italiennes qui s’y trouvent.
Mais il est lucide et amer : il lui faudrait recevoir 50 tonnes de munitions et 1 900 tonnes d’essence par semaine et on lui en livre 30 et 800 tonnes !
Comment faire face au déferlement britannique ?
Il aperçoit dans un nuage de poussière une masse de 200 tanks anglais. Le ciel est, nuit et jour, occupé par des bombardiers et des chasseurs de la Royal Air Force.
La mer est parcourue par des vedettes rapides anglaises.
« Elles viennent de couler dix sur quatorze de nos chalands d’essence à l’ouest de Tripoli. »
« Terrible nouvelle. »
Rommel songe aussi à ce front de l’Est, à la VIe armée encerclée à Stalingrad. Tout semble s’effondrer.
« Paulus est encore plus mal en point que moi, note-t-il. Il a affaire à un adversaire plus inhumain. Nous ne pouvons plus mettre notre espoir qu’en Dieu qui ne nous abandonnera pas complètement. »
Il a besoin de se confier, de faire part à son épouse de ses doutes et de ses colères.
Car Mussolini le harcèle, lui demande de ne pas évacuer la Tripolitaine, symbole de l’lmpero, cet Empire colonial italien que le Duce rêvait de bâtir.
« Vives réprimandes de Rome parce que nous ne résistons pas davantage à la pression ennemie, note-t-il. Nous voulons nous battre et nous nous battrons aussi longtemps que nous le pourrons. »