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Max Gallo

de l'Académie française

Une histoire de la Deuxième Guerre mondiale

1944-1945

Le triomphe de la liberté

Récit

XO ÉDITIONS

© XO Éditions, Paris, 2012

ISBN : 978-2-84563-522-7

« Je ne peux abandonner la ville qui est la capitale du Reich... Par le sacrifice de nos soldats et ma présence à leurs côtés jusque dans la mort, les semences de l'histoire allemande vont à nouveau germer et donneront lieu à la brillante renaissance du mouvement national-socialiste et à la mise sur pied d'une véritable communauté populaire... »

Adolf HITLER, Testament politique, 29 avril 1945

« La guerre est gagnée ! Voici la victoire ! C'est la victoire des Nations unies et c'est la victoire de la France. »

Général DE GAULLE, discours radiodiffusé, 8 mai 1945

« À quoi bon punir les hitlériens pour leurs crimes si le règne de la loi et de la justice ne s'établissait pas, si des gouvernements totalitaires ou policiers devaient prendre la place des envahisseurs allemands... Je vous avais annoncé des choses terribles au début de ces cinq années ; vous n'avez pas faibli et je serais indigne de votre confiance et de votre générosité si je ne criais pas, une fois encore : "En avant, inflexibles, droits, indomptables, jusqu'à ce que notre tâche soit tout entière accomplie et que le monde entier soit sain et sauf." »

Winston CHURCHILL, allocution à la BBC, 13 mai 1945

Prologue

« Malgré toutes les actions diaboliques de nos adversaires, cette lutte se terminera en fin de compte par la plus grande victoire du Reich allemand. »

Discours du FÜHRER

pour célébrer le onzième anniversaire

de sa prise du pouvoir,

30 janvier 1944

Ce 1er janvier 1944, de Gaulle, d'une voix forte, répond aux vœux que vient de lui adresser le doyen du corps diplomatique présent à Alger auprès du Comité Français de Libération Nationale (CFLN), véritable Gouvernement Provisoire de la France Combattante.

De Gaulle paraît plus assuré que jamais, brandissant souvent les poings, bras repliés, corps altier.

Il a reçu la veille - dernier jour de cette année terrible que fut 1943 - une invitation à dîner de Winston Churchill qui est en convalescence à Marrakech.

Les temps changent.

Il y a juste six mois, le Premier ministre anglais adressait aux rédacteurs en chef des journaux britanniques une circulaire secrète dont de Gaulle avait eu connaissance.

Churchill écrivait :

« De Gaulle doit tout à l'aide britannique et au soutien britannique, mais ne peut être considéré comme un ami loyal de notre pays. Il a semé un courant d'anglophobie partout où il s'est rendu... Il a un penchant manifeste pour le fascisme et la dictature ! »

Ces accusations, ces critiques, Churchill, répétant les propos de Roosevelt, les a maintes fois reprises, s'interrogeant : « De Gaulle, un grand homme ? Il est arrogant, il est égoïste, il se prend pour le centre de l'univers. »

Mais ce 31 décembre 1943, Churchill invite le général à Marrakech.

« Nous aurions ainsi l'occasion d'avoir des entretiens dont le besoin se fait sentir depuis si longtemps. Ma femme est avec moi et si Mme de Gaulle voulait bien accepter de vous accompagner, nous en serions tous les deux ravis. »

De Gaulle regarde les diplomates qui se pressent autour de lui dans le grand salon de la présidence du CFLN.

Le bruit de l'invitation de Churchill doit déjà résonner dans tout Alger.

« L'année 1944, dit de Gaulle, cette année qui commence, trouve la plus grande partie du monde encore engagée dans les épreuves d'une guerre sans exemple, elle semble cependant apporter aux peuples une espérance de paix. »

Il s'interrompt.

Il a appris il y a quelques jours que des dignitaires nazis aussi proches de Hitler que Goebbels, Himmler, Goering, envisagent une paix de compromis avec Churchill ou même Staline.

Que des généraux - et même des maréchaux - de la Wehrmacht ont un objectif identique, persuadés qu'un renversement d'alliances peut se produire, si Hitler est écarté, tué.

Une coalition « occidentale » pourrait alors se constituer face à la menace bolchevique.

Et peut-être à Londres ou à Washington certains pensent de même.

Mais c'est le devoir - et l'intérêt - de la France d'empêcher ce « retournement ».

De Gaulle reprend la parole, évoque « la cruauté du conflit qui ravage la terre ». Puis, haussant le ton, martelant chaque mot, il dit qu'il faut supprimer les causes de ce conflit.

« C'est-à-dire en premier lieu les ambitions sans frein et les abus abominables de la force, imputables à ceux qui en Europe et en Asie en ont fait les règles de leurs actes, parce qu'ils sont les vices de leur nature. »

Telle est la position de la France : reddition inconditionnelle du IIIe Reich et de l'empire du Soleil Levant, ce Japon militarisé et conquérant.

« Dieu veuille que l'année 1944 apporte à l'univers le terme de ses souffrances par le triomphe de la justice ! »

Les Allemands souffrent.

Leurs villes brûlent, bombardées jour et nuit par les escadrilles de la Royal Air Force et de l'US Air Force.

Mille cinq cents tonnes de bombes larguées par mille avions de la RAF tombent en un seul jour du mois de janvier 1944 sur Berlin.

Le ciel et le sol semblent ne plus être qu'un seul et immense brasier dans lequel s'enflamment et se consument en quelques secondes des milliers de corps et, parmi eux, tant de corps d'enfants. Ces incendies, ces destructions, cette tuerie de civils sont les emblèmes noir et rouge de ce mois de janvier 1944.

Et d'autres Allemands, juifs, débarquent des wagons à bestiaux à Auschwitz.

Ces déportés arrivent du ghetto-camp de concentration de Theresienstadt. Ils passent en longues files apeurées, stupéfaites, devant un SS, et parfois le docteur Mengele - médecin du camp qui recherche des cobayes pour ses expériences criminelles et folles - participe à la sélection des détenus.

La « secrétaire » des SS, une détenue d'une vingtaine d'années, murmure à une fillette de 13 ans, Ruth, qui piétine dans la file : « Dis que tu as 15 ans. »

Au SS qui la questionne :

« Toi ! Quel âge as-tu ? »

Elle répond :

« J'ai 15 ans. »

Le SS hésite.

« Elle est encore bien petite », dit-il.

Il est le maître de la vie et de la mort.

L'une des files de déportés conduit aux chambres à gaz, l'autre vers le camp de travail.

La secrétaire du SS examine la fillette.

« Mais elle est solidement bâtie, dit-elle. Elle a des jambes musclées, elle peut travailler, regardez ça ! »

C'est un marché aux esclaves, une foire où l'on évalue la qualité du bétail.

Le SS cède et la secrétaire relève le numéro de Ruth.

« Je viens d'obtenir un sursis », murmure Ruth.

Pour des centaines de milliers d'autres - plusieurs millions - il n'y a pas de sursis.