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Véritablement, cet homme nerveux et volontaire est un symbole, l'aboutissement d'une tradition nationale et militaire. Il doit rejoindre l'Italie du Nord pour prendre son périlleux commandement.

Le 11 août 1944, il saute en parachute avec le capitaine Churchill d'un avion Halifax. Il se blesse et tout de suite il faut combattre car la Garde nationale républicaine cerne le petit groupe de partisans qui attend le général.

Quelques semaines plus tard, deux « politiques », Parri, du Parti d'Action, et Longo, du Parti communiste, vont assister Cadorna dans ses fonctions.

Ce triumvirat militaire est à l'image de la Résistance italienne.

Quand le vendredi 31 mars 1944 les miliciens fascistes qui cernent le dôme de Turin arrêtent les uns après les autres les membres du Comité militaire piémontais de la Résistance qui devait se réunir dans l'église, ils constatent qu'il y a, parmi les prisonniers un général (Perotti), deux officiers, un démocrate-chrétien, un socialiste et un communiste.

Lorsque le juge prononce sa sentence, condamnant les accusés à la peine de mort, le général Perotti se lève et dit d'une voix forte :

« Messieurs les officiers, garde-à-vous ! »

Tous les accusés se lèvent.

« Vive l'Italie », crie le général.

« Vive l'Italie », répondent les accusés.

C'est bien une nouvelle Italie qui surgit ainsi de cet abîme qu'a été le 8 septembre 1943 et l'armistice italien de Cassibile.

Un nouveau Risorgimento anime le peuple de la péninsule, mais plus profondément que celui qui a conduit à l'unité en 1870 : les masses ouvrières et paysannes sont descendues dans l'arène aux côtés de ces militaires et de ces intellectuels qui ont été déjà les figures de proue du premier Risorgimento.

Le 1er mars 1944, les ouvriers de Turin et de Milan se mettent en grève malgré les Allemands et les fascistes. En juin, à la Fiat, la grève recommence pour empêcher le démontage et l'envoi des machines en Allemagne.

Les industriels soutiennent souvent ces mouvements, même si par ailleurs ils continuent à traiter avec les autorités d'occupation.

Cette unanimité nationale qui isole chaque jour davantage les Repubblichini a eu sa préface dans l'Italie du Sud.

En effet, le leader du Parti communiste, Togliatti, revenu d'URSS, a accepté, à la surprise de beaucoup, d'entrer dans le gouvernement du maréchal Badoglio, entraînant les autres partis antifascistes à sa suite.

Le roi pour sa part, afin de préserver le principe monarchique, décide de céder dès la libération de Rome la place à son fils Umberto qui agira en tant que lieutenant-général du royaume : ainsi la question du choix des institutions est-elle remise à la paix.

Pour l'instant, c'est la guerre, et le colonel Montezemolo, courageux monarchiste, est dans Rome occupée aux côtés du socialiste Buozzi ou du communiste Giorgio Amendola, le fils de l'ancien leader libéral assassiné.

Certes, les arrière-pensées des uns et des autres n'ont pas disparu, mais la signification de l'action commune est plus importante que les divergences qu'elle recouvre.

Pour l'instant, c'est la guerre, et la guerre est cruelle.

5.

Rome, mars 1944.

Dans la ville, le printemps éclate. Le 12, le pape Pie XII parle et la foule s'est massée place Saint-Pierre. Elle crie : « Pace Pacelli ! » La Milice arrête quelques partisans qui, mêlés aux pèlerins, criaient : « Les Allemands à la porte ! » et distribuaient des tracts.

Le ciel est limpide ; dans les jardins de la villa Borghèse, la vie, gaiement, enfièvre chaque buisson, chaque pousse.

23 mars, via Rasella : un balayeur pousse sa poubelle. Au bout de la rue apparaît un détachement de Südtiroler Ordnungsdienst, miliciens volontaires du Tyrol du Sud.

Le balayeur allume une mèche dans sa poubelle et se retire en courant. C'est le gappista Bentivegna : quelques autres gappisti écartent des enfants.

Une minute s'écoule puis l'explosion secoue le quartier : une cinquantaine de soldats gisent sur le sol. Les gappisti tirent sur le reste de la colonne et se dispersent.

Le silence retombe sur Rome. Il est 15 h 26. La lumière est déjà plus douce, couronnant les toits et les coupoles d'ocre doré.

Bientôt les habitations de la via Rasella et des vie dal Traforo et des Quattro Fontane sont saccagées par les SS. Les locataires sont malmenés, raflés.

Dans la ville, le bruit de l'attentat commence à se répandre. Le commandant de la place de Rome, le général Maelzer, le chef de la police Kappler et le maréchal Kesselring se mettent en contact avec le quartier général du Führer.

Hitler demande que l'on fasse sauter tout le quartier avec ses habitants.

Finalement, le système des otages est appliqué. Caruso, le questore, déclare qu'il a déjà des détenus politiques condamnés à mort : on décide de les exécuter à raison de dix otages pour un Allemand tué.

En fait, on choisit tout simplement des détenus politiques ou des Juifs sans se soucier de savoir s'ils sont jugés ou non. En hâte, on les embarque sur des camions et on se trompe puisqu'on entasse 335 otages au lieu de 320 (il y a eu 32 Allemands tués). Ces 15 hommes de plus sont l'arbitraire de l'arbitraire.

Le convoi se dirige vers la via Ardeatina. Là s'ouvrent des galeries dans des carrières.

Un à un, les 335 otages - le colonel Montezemolo et des généraux, des Juifs et des ouvriers, des journalistes et des cinéastes - sont abattus d'une balle dans la nuque, obligés de grimper sur les corps des premiers tués pour prendre place en attendant le coup libérateur.

La tuerie dure du 24 mars au soir au 25 à 9 heures du matin. Puis les galeries sont minées et bientôt des explosions sourdes retentissent, enfouissant les cadavres sous les blocs.

Ce matin-là, officiellement, la nouvelle de l'attentat et des représailles est donnée par le commandement allemand. Les journaux fascistes eux-mêmes se taisent : 335 personnes, c'est presque la population d'un bourg.

Un lourd manteau d'horreur et de terreur couvre Rome. La ville ne s'insurgera pas.

Peut-être est-ce là le but recherché par les nazis : la capitale proche du front doit subir l'occupation sans se révolter ; sans doute aussi veulent-ils opposer, à propos des moyens d'action de la lutte clandestine, le Centre militaire badoglien et les gappisti communistes en montrant à la population de la Ville Sainte, le prix du sang allemand.

Et la guerre continue, se nourrissant de sa longueur même, paraissant reproduire les mêmes épisodes comme si la tragédie ne devait pas voir de fin et comme si, de sursis en sursis, Mussolini et Hitler pouvaient éternellement gouverner.

Le 22 avril, les deux hommes se rencontrent à Klessheim, dans ce château où Ciano, jadis, a dîné avec Ribbentrop.

Hitler, vieilli, nerveux, mâchonne sans interruption les comprimés du docteur Morell. Mussolini expose ses doléances et pour une fois le Führer le laisse parler sans l'interrompre. Désormais, les avis et les conseils de Mussolini ont si peu d'importance !

Le maréchal Graziani dresse un tableau des besoins de l'armée républicaine italienne, parle de la nécessité impérieuse de sa reconstitution. Hitler pour toute réponse rappelle comment le 25 juillet 1943 le fascisme s'est effondré. Mussolini, humilié, doit de nouveau se justifier.

« La force du Parti fasciste, dit-il, était à ce moment-là avec les armées. À l'intérieur, il n'y avait que les femmes, les jeunes et les vieux. »

Puis, tout en parlant, Mussolini quitte la réalité, évoque ses rêves de conquête, l'Égypte et l'Afrique, tout ce qui a été perdu par la faute des généraux et du roi. Mais cela ne se reproduira pas, dit-il. Il est enchanté que les internés italiens restent en Allemagne, il est prêt à « appeler la classe 14 pour le Gauleiter Sauckel, les classes 16 et 17 pour le maréchal Goering, vingt classes s'il le faut pour les employer dans les bataillons de travail ».